Le 16 juin 2019, la CAQ (Coalition Avenir Québec), majoritaire à l’Assemblée nationale du Québec, adoptait la Loi sur la laïcité de l’État. La loi 21 interdisait alors pour la première fois le port de signes religieux aux employé·e·s de l’État en « position d’autorité ». Ceci incluait tout·e fonctionnaire public·que porteur·euse d’armes, mais aussi procureur·e·s, avocat·e·s ou professeur·e·s. La décision s’inscrivait dans une longue tendance de laïcisation de l’État québécois.
Contestations multiples
Depuis son avènement, la loi 21 a fait la une des journaux québécois, montréalais et mcgillois, d’autant plus que la polarisation autour du sujet est accrue. Ses partisan·e·s défendent la nécessité de détacher l’État de toute connotation religieuse, alors que ses détracteur·rice·s dénoncent une atteinte aux libertés individuelles.
Le vendredi 17 janvier, une manifestation mcgilloise réunissait plus d’une centaine d’étudiant·e·s en opposition à la loi 21. « Avec une seule loi, vous pouvez écraser les rêves de générations à venir », lisait-on sur une pancarte, ou même « la démocratie est bien plus que le règne de la majorité ». Asiyah Sidbique, étudiante de droit interrogée par Le Délit, critiquait cette loi qui « affecte injustement certains groupes précis, notamment les femmes musulmanes ». La manifestation – commencée en haut de la rue McTavish et finie à la place Émilie-Gamelin – s’est même vue rejointe par des étudiant·e·s de l’UQÀM.
La loi 21 interdisait pour la première fois le port de signes religieux aux employé·e·s de l’État en “position
d’autorité”
Le même jour, à la suite d’une motion adoptée à l’unanimité au conseil législatif, l’AÉUM (Association étudiante de l’Université McGill) envoyait un courriel (cependant non traduit en français) pour donner son soutien à la manifestation. « La loi 21 montre que le gouvernement est davantage intéressé par un sécularisme radical que par la liberté des travailleur·euse·s de se défendre de harcèlements » pouvait-on lire sur le courriel. L’Association étudiante de la Faculté d’éducation, de plus, déclarait officiellement une grève, les 17 et 20 janvier, à la suite d’un vote comptabilisant 94,6% de voix favorables (avec une participation de 24,4%). Vendredi le 17 janvier, finalement, L’AÉFA (Association étudiante de la Faculté des Arts) convoquait aussi une assemblée générale, dans la salle Leacock 132, pour voter une éventuelle grève étudiante. La motion a finalement échoué à atteindre le quorum de 500 personnes requises.
La loi 21 soulève de nombreuses questions au sein de la société québécoise, dont : la foi a‑t-elle sa place dans une culture séculière ? Relevant McGill (société formée de trois groupes chrétiens) organisait justement, ce lundi 13 janvier dans la salle Leacock 132, un panel sur la question. Razia Hamidi, Reuben Poupko et Sandra Yogendram, respectivement des intervenant·e·s des communautés musulmane, juive et chrétienne, discutaient l’impact de la loi sur les différentes communautés religieuses, ainsi que son ancrage dans les tendances modernes de la société québécoise. Les trois invité·e·s se sont montré·e·s opposé·e·s à la loi sur la laïcité de l’État.
Ornement ou identité ?
Questionné·e·s sur les conséquences directes de la loi sur les communautés religieuses, les intervenant·e·s se sont montré·e·s incisif·ve·s dès le début. Poupko parlait ainsi de l’impossibilité de porter une kippa en tant que professeur, sous cette loi, chose qu’il pensait ridicule. « Pour moi, ceci n’est pas un symbole religieux. C’est simplement un ornement pratique, non différent d’une casquette de baseball », disait-il à l’amusement du public. Au-delà des rires, néanmoins, Poupko semblait vouloir discréditer certaines des problématiques communes dans le débat sur la loi 21 : qu’est-ce qui fait d’un ornement vestimentaire un « signe religieux » ? Et comment trace-t-on la limite quant à l’éradication de ces signes religieux dans le secteur public ? Faut-il aller jusqu’à éliminer certaines coupes de cheveux considérées aussi comme ayant une « connotation religieuse » ? Poupko semblait voir dans ces questions un caractère absurde.
[Le multiculturalisme] sous-entendrait à présent l’interdiction de cultures privées dans l’espace
public
Les intervenant·e·s ont ensuite souligné l’importance des symboles religieux dans la vie des croyant·e·s, chose qui serait souvent incomprise dans une société marquée par le principe de laïcité. Pour Hamidi, il est impossible d’abandonner sa foi, quel que soit l’emploi qui le requiert, et « enlever [son] hidjab va à l’encontre de [sa] foi » affirmait-elle. Elle a ensuite poursuivi en présentant le dilemme auquel font face de nombreuses femmes musulmanes au Québec, suite à la promulgation de cette loi : « Soit elles quittent la province, soit elles doivent attendre jusqu’à ce que la loi soit contestée en justice » déplorait-elle.
Yogendram, à son tour, ajoutait que, « même si la loi n’a pas les mêmes implications pratiques sur la communauté chrétienne [celle-ci ne requérant le port d’aucun signe religieux visible], cela ne veut pas dire que l’affaire n’a aucune importance pour les chrétiens. […] Nous devrions faire face à l’injustice ». En tant que chrétienne, elle affirmait comprendre que « l’interdiction des symboles religieux est la même chose que l’interdiction des personnes ».
Unique multiculturalisme ?
La discussion sur la restriction de signes religieux a fait surgir une discussion sur le multiculturalisme au Québec. Selon Poupko, « la loi 21 [et la CAQ qui en est à l’origine] envoi[en]t un message clair : il n’y a qu’une seule façon acceptable de ressembler au Québec ; il n’y a qu’une façon acceptable de croire au Québec ». Poupko suggérait ainsi que ce ne serait pas un multiculturalisme laïque qui se cache derrière la loi 21, mais plutôt une volonté d’uniformisation séculière de la société.
De même, Hamidi déplorait une « ghettoïsation du multiculturalisme ». Le multiculturalisme ne serait plus un terme définissant une acceptation de toutes les cultures. Il sous-entendrait à présent l’interdiction de cultures privées dans l’espace public. Selon elle, cette ghettoïsation serait alimentée par une « peur croissante d’autrui » au sein de la société, se renforçant par un silence assourdissant autour du sujet. Y témoignent les « niveaux frappants de sentiments antisémites au Québec ». « Ce n’est pas des mots de nos ennemis que nous nous souviendrons, mais du silence de nos amis » nous avertissait-elle finalement en citant Martin Luther King.
Ainsi, Hamidi introduisait pour la première fois dans le débat la notion d’un laïcisme oppressif, soit un laïcisme qui s’introduirait dans la pratique religieuse individuelle. Poupko poursuivait cette idée en énonçant que « dans la majorité de l’Amérique du Nord, la laïcité est comprise comme : ‘‘l’État n’interviendra pas dans les affaires de la religion’’, mais au Québec, la laïcité est comprise comme : ‘‘la religion n’interviendra pas dans les affaires de l’État’’ » . Ce genre de pensée, selon lui, est inconcevable dans des pays comme les États-Unis (son pays d’origine), bien que présent dans certains pays européens comme la France, où le port de signes religieux visibles est interdit à l’école.
Hamidi introduisait pour la première fois dans le débat la notion d’un laïcisme oppressif, soit un laïcisme qui s’introduirait dans la pratique religieuse
individuelle
Poupko constatait un soutien écrasant pour la loi 21 au Québec : jusqu’à 70%, porté surtout par les Québécois·e·s francophones, selon lui. Entre ces partisan·e·s, le soutien de la population chrétienne (moins concernée que d’autres communautés religieuses) a notamment été questionné. Rappelons qu’il aura fallu trois mois additionnels, après la promulgation de la loi 21, pour retirer le crucifix du Salon bleu de l’Assemblée nationale du Québec (le 16 septembre 2019). Yogendram répondait être consciente du soutien, mais selon elle, « la popularité est une façon défectueuse de créer la moralité ». Elle concluait finalement : « les convictions religieuses ne sont pas privées ; elles n’existent pas seulement les dimanches matins », s’accordant ainsi avec les autres panellistes dans leur opposition à la loi 21.