Tout a commencé par un croquis. Un manteau de cheviotte couleur jonquille descendant jusqu’en dessous du genou, largement échancré sur les épaules et ouvert en V dans le dos. C’est avec cette tenue à la fois classique et osée que Karl Lagerfeld, alors âgé de 21 ans, remporte le 1er prix du Concours du Secrétariat International de la Laine, dans la catégorie « manteaux ». C’est par ces quelques traits fins que le jeune Karl, alors inconnu du grand public, se retrouve propulsé dans le monde de la mode parisienne. À ce même concours a participé un certain Yves Saint-Laurent. Ces deux légendes de la mode se retrouvent en 1954 sur le même podium, Saint-Laurent ayant gagné le 1er prix dans la catégorie « robe de soirée ». Les deux amis, inséparables à l’époque, vont révolutionner le monde de la haute couture.
Les prestigieuses maisons
Karl Lagerfeld est engagé comme apprenti chez Balmain, et Christian Dior prend Yves Saint-Laurent sous son aile. La maison Dior est alors à l’époque beaucoup plus désirable et en vogue, Balmain cultivant une clientèle plus conservatrice et moins glamour. En 1959, Karl Lagerfeld gravit les échelons jusqu’à être nommé directeur artistique de la maison Patou. Deux ans plus tôt, le couturier Christian Dior est foudroyé par une crise cardiaque. Yves Saint-Laurent est alors nommé directeur artistique de la prestigieuse maison de couture. Les deux hommes se talonnent, mais Saint-Laurent prend de l’avance. À la tête de Dior, Saint-Laurent présente sa première collection intitulée Trapèzes, où les robes ajustées à la poitrine faisant disparaitre la taille en s’évasant autour du corps, et ce jusqu’aux genoux font sensation. Yves Saint-Laurent fait revivre « l’esprit Dior » tout en gardant les codes de la maison. De son côté, Lagerfeld s’attèle chez Patou sans pour autant connaître un succès aussi important que celui de son ami rival. Le jeune couturier y apprend le métier, à un tel point qu’il est capable de dessiner en quelques minutes un croquis parfait annoté de tous les détails techniques nécessaires aux couturières et aux premières d’atelier. Saint-Laurent connaît le succès ; Karl Lagerfeld, lui, s’y prépare.
Mondrian & Tailleur Chanel
Pierre Bergé pousse Yves Saint-Laurent à fonder sa propre maison, dont la première collection voit le jour en 1962. En passant des célèbres robes Mondrian à la collection Hommages de 1990, Saint-Laurent marque les esprits. De son côté Karl Lagerfeld entre chez Chanel en 1983 en tant que directeur artistique. Malgré la renommée de la maison, Chanel connaît d’importants soucis financiers. En retravaillant l’emblématique tailleur Chanel et en utilisant majoritairement du noir et blanc tout en remettant au goût du jour la mini-jupe et le jeans, Karl Lagerfeld réalise l’impossible et fait de la marque Chanel un incontournable du luxe. Lagerfeld est maintenant présent partout. Il travaille pour Fendi & Chloé et crée sa propre marque de vêtements : Karl Lagerfeld. Il enchaîne les collaborations tout en perpétuant les fameux défilés Chanel au Grand Palais à Paris, tous plus surréalistes les uns que les autres. Alors que l’un ne s’arrête jamais de travailler, l’autre prend sa retraite en 2002. À 71 ans, Yves Saint-Laurent s’éteint le 1er juin 2008 à la suite d’un cancer du cerveau.
Karl Lagerfeld ôte ses lunettes noires et défait son catogan blanc le 19 février 2019. À 85 ans, il décède des suites d’un cancer de la prostate. Il aura marqué pendant plus de 60 ans le monde de la mode et de la haute-couture.
Erratum : Cet article affirmait dans sa version originale qu’Yves Saint-Laurent et Karl Lagerfeld avaient tous deux remporté le premier prix de la catégorie « manteaux » ex-aequo en 1954. Karl Lagerfeld et Yves Saint-Laurent ont tous les deux été récompensés, dans deux catégories distinctes. Nous nous excusons pour toute confusion que cela aurait pu engendrer.