Le Délit (LD) : Bonjour, professeur Mikkelson, et merci de nous accorder un peu de votre temps. Tout d’abord, comment allez-vous, et comment avez-vous vécu ces dernières semaines ?
Gregory Mikkelson (GM) : Et bien, évidemment ç’a été une décision très difficile. L’on ne peut jamais trop savoir comment les autres vont réagir, mais j’ai été très chanceux puisqu’en général, mes collègues de la Faculté d’environnement et du Département de philosophie ainsi que leurs étudiants m’ont exprimé beaucoup de soutien. Ç’a été un soulagement, je dirais, mais aussi une grande satisfaction.
Ce à quoi je ne m’attendais pas cependant, c’était que les médias s’y intéresseraient autant. Lundi dernier, en revenant d’une réunion, je vois un message de la CBC sur mon téléphone. Je me dis « bon okay, j’imagine que si c’est la CBC, il faut que je réponde tout de suite, alors que tout est encore chaud », puisque bien qu’il y ait eu une très bonne couverture des mouvements pour le désinvestissement par les médias étudiants, il y en a eu très peu dans les grands médias. Et tout d’un coup, à partir du 13, je n’ai pas arrêté de recevoir des courriels, des coups de téléphone, des messages textes… De la CBC, de la CTV, du Devoir, de la Gazette, etc. Au départ, ma décision était une affaire de conscience : nous avons fait tout ce qu’il était possible et imaginable de faire, nous avons rallié toutes les facultés et le Sénat pour le désinvestissement, je veux dire, jeez, que peut-on faire d’autre ? Si les gens qui contrôlent cet endroit se soucient si peu non seulement de notre futur, mais aussi de ce qu’on veut, nous, alors que nous l’avons rendu très clair, et bien je ne peux plus travailler ici. C’était ça, mon intention première en démissionnant. Mais avec cet intérêt des médias, j’ai réalisé que ma décision pouvait avoir de la valeur, puisqu’elle a attiré leur attention sur les positions régressives de McGill comme jamais auparavant. Il a fallu que quelqu’un démissionne à cause du refus de désinvestir pour qu’on en parle enfin !
LD : Comment, et en combien de temps avez-vous pris cette décision ? Comment l’avez-vous communiquée ?
GM : Beaucoup d’entre nous ont travaillé d’arrache-pied pour s’assurer que la décision de l’administration du 5 décembre soit la bonne. Mais avec de plus en plus de signes non prometteurs, avec l’administration qui continuait à systématiquement changer de sujet et à donner les mêmes excuses, j’ai commencé à me demander : s’ils refusent de désinvestir pour la troisième fois, est-ce je peux continuer à travailler ici ? Je me suis, en quelque sorte, fait une promesse à moi-même. Après, j’ai encore pris quelques jours pour me décider, puisque c’est une décision énorme, mais je l’ai finalement fait.
Démissionner a été assez simple. Je l’ai annoncé au doyen de la Faculté des arts, puis à mes collègues, ce qui a été un peu plus long. Mais au final, tout ça a été très rapide. Le seul retour que j’aie eu de l’administration, c’est qu’on a accepté ma démission.
Toute leur approche est non seulement anti-démocratique, mais aussi incompétente
LD : Pendant vos nombreuses années de combat pour le désinvestissement, vous avez rencontré une résistance forte de la part de l’administration, notamment l’année dernière, au Sénat, où celle-ci déclarait que la plupart des membres du Sénat (des étudiant·e·s et professeur·e·s élu·e·s) n’étaient pas qualifié·e·s pour donner leur opinion sur le sujet. Que pensez-vous de l’argument « vous ne savez pas de quoi vous parlez » ?
GM : C’est incroyablement insultant. C’est insultant, mais aussi ridicule si l’on regarde les rapports que le Conseil des gouverneurs a lui-même produits. Leur rapport de 2016 – la seconde fois où il a refusé de désinvestir – n’aurait pas obtenu une note passable si c’était un travail d’université de premier cycle. Il était si mauvais ! Aucune preuve, des arguments clairement fallacieux, et ils ont passé 13 mois dessus, donc ils auraient eu une pénalité de retard en plus. Et même le plus récent : certaines de ses sources attentivement sélectionnées n’ont même pas été publiées ou évaluées par des pairs, ils ont simplement trouvé des gens qui disaient ce qu’ils avaient envie d’entendre, plutôt que de réellement faire face aux preuves. Ils disent qu’il y aurait des conséquences négatives à désinvestir, alors que l’Université de Californie, qui a des fonds dix fois plus importants que les nôtres, a montré exactement l’inverse ! Ils ont justement dit avoir désinvesti pour des raisons financières puisque le secteur des énergies fossiles devient moins viable et plus risqué pour des investissements.
En bref, toute leur approche est non seulement antidémocratique, mais aussi, on pourrait le dire, incompétente. En y appliquant des standards académiques normaux, leur travail se révèle en manque total de rigueur.
LD : Quels sont les autres outils de l’administration pour faire blocage, notamment au niveau institutionnel ?
GM : Il y en a beaucoup. Déjà, la haute administration contrôle le Sénat puisque la principale en est la présidente. La principale décide aussi des sujets abordés au Sénat, et le vice-principal exécutif et vice-principal aux études nomme les membres aux positions les plus élevées. C’était un réel combat de simplement pouvoir parler de désinvestissement au Sénat. En plus de cela, une loi officielle du Sénat, la 6.3.9, dit qu’en cas de désaccord entre le Sénat et le Conseil des gouverneurs, il faut former un comité joint afin de trouver une solution, mais ça aussi, ils ont refusé de le faire. L’administration a enfreint ses propres règles.
Sinon, le délai que prend systématiquement McGill est une autre sorte de tactique. On nous dit juste « oh, désolés, ne vous inquiétez pas, nous vous dirons ce qu’il va se passer ». Et même maintenant, on nous demande encore d’attendre jusqu’en avril, puisque nous n’avons pas encore les détails des décisions du 5 décembre. Ils emploient le mot « décarburer », mais ne disent pas à quel point, et ne disent rien d’autre.
D’ailleurs, une chose sur laquelle j’aimerais insister, puisqu’elle a déjà été sujet à beaucoup de confusion, est que cette « décarburation » se situe en fait à des kilomètres du désinvestissement. Ce que le conseil appelle « décarburation » est basé sur « l’empreinte carbone d’une compagnie ». L’idée, c’est que si l’empreinte d’une compagnie est trop élevée, McGill diminue ses investissements dans celle-ci, ou vendra toutes ses parts pour les réinvestir dans des compagnies à empreinte moins élevée. Mais ce qu’ils ne rendent pas clair du tout dans le rapport, c’est que leur définition d’empreinte carbone ne prend pas en compte toutes les émissions qui ont lieu après que la compagnie a vendu ses produits. Ainsi, dans le cas des compagnies d’énergies fossiles, McGill les laisse s’en tirer en ce qui a trait à tout le mal qu’elles causent indirectement, par l’utilisation de leurs produits. Donc pour faire analogie, McGill a désinvesti des compagnies de tabac précisément à cause du mal que l’usage de leurs produits engendrait. Mais elle a choisi de ne pas le faire pour les compagnies d’énergies fossiles. Le but principal du désinvestissement est de garder les combustibles fossiles dans la terre : si on brûle plus de 20% de ceux qu’on a déjà découverts, les choses empireront de manière inimaginable. Mais le conseil a décidé qu’il ne rendrait ces compagnies responsables que des émissions causées par l’extraction des combustibles, mais ça s’arrête là. C’est un point crucial : la principale a plusieurs fois utilisé le terme « désinvestir » et je l’ai vu dans plusieurs articles disant que « McGill avance vers le désinvestissement… » Eh bien non, justement, McGill l’a spécifiquement refusé.
LD : Tous les événements autour du désinvestissement nous ont montré le fossé énorme qu’il peut y avoir entre ce que veut la communauté mcgilloise et les actions de l’administration. Que peut faire un groupe alors qu’il a l’impression qu’il parle à un mur ?
GM : Et bien, je pense que si on veut que McGill désinvestisse, il va falloir qu’elle se démocratise. Et ça, ça veut dire changer les règles de base qui dictent qui siège au Conseil, qui contrôle le Sénat, qui peut voter au Sénat. En ce moment, ce n’est pas seulement la haute administration qui peut voter au Sénat en plus de tous ceux qui ont été élus, mais aussi tous les doyens, qui sont aussi nommés par celle-ci. Je ne pense pas que ça devrait être le cas. Je pense que le Sénat devrait être entièrement représentatif, que l’administration devrait y avoir une voix, mais ne pas voter. Ceux qui votent au Sénat, un corps démocratique, devraient tous avoir été élus démocratiquement par des étudiants et des membres des facultés. Donc oui, je pense que si on veut d’importants changements, positifs, à McGill, il faudra qu’elle se démocratise.
McGill va désinvestir. La seule question est de savoir jusqu’à quand ils traîneront avant de le faire
LD : Et maintenant ? Qu’est-ce qui vous attend ?
GM : Je vais certainement continuer à apprendre et à agir pour les enjeux environnementaux, qui constituent le défi du 21e siècle. Je viens de joindre le conseil d’administration d’une super organisation de conservation dans le nord du Vermont. Ultimement, j’aimerais trouver quelque chose qui me permette de continuer à utiliser les compétences de recherche, d’écriture et d’enseignement que j’ai développé en tant que professeur, mais rien n’est encore décidé. Je suis venu à McGill pour l’opportunité de travailler en environnement, tout en continuant à développer mes intérêts philosophiques, donc j’imagine que d’une manière ou d’une autre, je poursuivrai ces intérêts pour le reste de ma vie.
LD : Pour ceux·celles qui restent et qui vont continuer à faire pression : gardez-vous espoir ?
GM : Oui. Je pense que la pression monte, non seulement de l’intérieur, mais aussi de l’extérieur, avec l’UBC (Université de la Colombie-Britannique, ndlr), Concordia, l’UQAM… McGill va désinvestir. La seule question est de savoir jusqu’à quand ils traineront avant d’enfin le faire. Continuez à avancer, afin qu’ils le fassent plus tôt que tard. Et je le pense vraiment, je ne serais pas surpris qu’en nous apportant plus de détails comme promis, en avril prochain, qu’ils changent finalement d’avis. Je ne serais pas si surpris. Donc n’abandonnez pas (rires).