Le Délit s’est entretenu avec Irène Cloutier, conseillère en planification au Bureau de la transition écologique et de la résilience à la ville de Montréal. Elle a animé le panel « Construire des villes et des économies inclusives durables et résilientes » au Sommet de la Jeunesse sur le Commerce Durable.
Le Délit (LD) : Comment définiriez-vous une ville durable, en 2020, avec les enjeux climatiques actuels ?
Irène Cloutier (IC) : Tout d’abord, j’ajouterais une ville durable et résiliente, car si on n’est pas résilients, comment peut-on être durables ? Ça inclut tous les éléments rattachés, bien sûr, à la lutte et à l’adaptation aux changements climatiques dans cette définition-là, mais c’est beaucoup plus large aussi. À la résilience urbaine, qui est mon domaine d’expertise, on tente de comprendre la ville et sa capacité ainsi que celle de ses citoyens, ses organisations, ses entreprises à s’adapter et à anticiper différentes perturbations. Les aléas climatiques font partie de ça, mais ce ne sont pas les seuls enjeux. Il y a toutes sortes d’autres risques, qu’ils soient technologiques, socio-économiques, démographiques ou encore industriels. Donc, une ville durable va intégrer la lutte et l’adaptation aux changements climatiques, mais aussi tous ces autres risques, pour ses populations et en particulier pour celles plus vulnérables. L’équité sociale dans la planification est extrêmement importante, car les plus vulnérables sont les moins préparés à ces situations.
LD : Durant votre intervention, vous avez souvent mentionné l’inclusivité et l’équité ; il existe un Conseil Jeunesse à la ville de Montréal qui permet aux jeunes de faire entendre leurs voix. Est-ce qu’il existe un comité de nature similaire pour les populations les plus démunies ?
IC : Il y a deux aspects à cette réponse. D’une part, il n’y a pas de comité mais il existe un « protecteur » aux personnes en situation d’itinérance, Serge Lareault, nommé il y a quelques années, ancien directeur du journal L’itinéraire. Il existe également un commissaire aux relations avec les peuples autochtones, ainsi que le Conseil Interculturel (CIM), qui représente les communautés immigrantes et les personnes racisées. D’autre part, il y a un très gros service de la diversité et de l’inclusion sociale, dont le rôle est la planification de la ville pour s’assurer qu’il y a une lutte efficace à la pauvreté et une intégration des personnes immigrantes. C’est dans ce service que le Bureau d’intégration des nouveaux arrivants de Montréal est situé. Le service s’occupe également de la sécurité urbaine et de la protection des jeunes en situation de gangs de rue, de la criminalité, de la résilience des communautés.
LD : Le phénomène de gentrification n’est-il pas un obstacle à l’inclusivité et à la résilience de la ville ?
IC : On parle aussi d’embourgeoisement maintenant, et il existe un aspect positif et négatif. Il faut comprendre que les quartiers, ça évolue, ça change, et parfois pour le mieux. Mais on doit garder une réflexion sur nos populations plus vulnérables dans ces quartiers-là, pour s’assurer qu’elles ne se sentent pas exclues lorsque leur quartier s’améliore. Quand on ajoute une piste cyclable, un parc, une infrastructure de métro, etc., on attire de nouveaux commerces également, améliorant le quartier, ce qui est positif. Mais, parfois, il y a des conséquences inattendues, comme, justement, l’embourgeoisement de ces quartiers. Les populations en perdent le contrôle et se sentent économiquement ou socialement exclues, puisqu’elles ne peuvent plus se permettre d’avoir un milieu de vie qui correspond à leurs moyens. C’est un enjeu complexe, qui touche à plein de domaines et je pense que c’est le défi justement d’amener les gens à interagir à l’intérieur de la ville pour aborder ça.
L’équité sociale dans la planification est extrêmement importante, car les plus vulnérables sont les moins préparés à ces situations.
D’ailleurs, une équipe de chercheurs du CHUM (Centre de recherche du Centre universitaire de l’Université de Montréal) travaille sur ce dossier. C’est le professeur Yan Kestens qui mène l’étude INTERACT, afin de comprendre comment les interventions urbaines ont un impact sur la santé des populations et aussi sur la gentrification des quartiers, pour essayer de mieux saisir le phénomène et de l’aborder de façon intelligente.
Madame Cloutier a finalement conclu qu’un Plan Climat devrait sortir au cours des prochains mois, contenant, entre autres, un plan d’action concernant les jeunes, plus spécifiquement les jeunes de milieux défavorisés.