SOIFS matériaux, dans une mise en scène de Denis Marleau et Stéphanie Jasmin, se veut être un monument, à l’image du cycle de 10 romans de Marie-Claire Blais qu’il reprend. La pièce est également fidèle au théâtre qui la présente, dont la mission est de promouvoir les œuvres expérimentales. L’écriture de l’autrice de 80 ans est substantielle, riche, soufflée. Les 62 points finaux que l’on peut compter à travers les 316pages qui constituent le premier roman de SOIFS, publié en 1997, sont témoins de la longueur haletante des phrases qui le constituent. On y retrouve presque Proust dans ses fresques démesurées ; le spectacle de quatre heures est homologue de l’ampleur de l’œuvre de Blais.
Narration et dramaturgie
Le texte de l’autrice se retrouve ainsi presque inaltéré : les 21 comédien·ne·s narrent leur propre histoire à la troisième personne, se perdant inévitablement à travers de longs monologues dont le registre soutenu et l’intensité émotionnelle, malgré leur efficacité, ont plutôt tendance à drainer de son énergie le·la spectateur·rice et à alourdir la durée du spectacle. Cependant, cette narration établit une sorte de distance entre les personnages ainsi qu’entre chaque personnage et lui-même, distance renforcée par le passage abrupt d’un monologue à l’autre. Par ce fait, les personnages s’isolent, amenant ainsi l’auditoire à se questionner sur l’individualisme de notre époque. C’est la fin du 20e siècle qui est ainsi étalée sur scène dans ses débats les plus intenses, où chaque personnage apporte à la pièce un enjeu. L’un déplore le racisme, une autre est victime de viol, son mari est tourmenté par les erreurs judiciaires, et ainsi de suite. La pièce traite de cette manière de prostitution, d’aide médicale à mourir, du VIH, des tueries de masse, de toxicomanie… La liste s’allonge et, tandis que certains enjeux solidifient le propos de la pièce, d’autres sont apportés rapidement sans réellement enrichir le spectacle.
Forces
Malgré les maladresses de la pièce, le rendu est impressionnant. Le jeu des comédien·ne·s est juste et se mêle à des projections d’eux-mêmes et d’images en gros plans de Key West, île floridienne où se déroule l’histoire. S’ajoutent également aux parcours touchants des personnages quelques performances musicales de la part d’un quatuor à cordes, d’un guitariste et d’un contrebassiste présents sur la scène au même titre que les personnages et qui colorent leurs monologues de morceaux émouvants, tels le Requiem de Mozart. Devant un spectacle d’une telle étendue, l’on ne peut que saluer le travail phénoménal accompli par l’équipe qui a su mettre sur pied une œuvre dramatique lourdement humaine.