Ibrahima Barry, Mamadou Tanau Barry, Khaled Belkacemi, Abdelkrim Hassane, Azzedine Soufiane, Aboubaker Thabti. Ces six noms sont ceux des victimes de l’attentat de la grande mosquée de Québec du 29 janvier 2017, tuées par Alexandre Bissonnette. Dépossédés de leurs propres vies dans un crime d’une violence inouïe, ils laissaient derrière eux leurs familles, 17 enfants sans pères, et une communauté musulmane québécoise bouleversée. Ce troisième anniversaire a marqué un temps de commémoration à travers la province, en souvenir de ceux assassinés et en solidarité aux huit blessés dans l’attentat terroriste.
Temps de mémoire
L’Église Saint-Mathieu de Sainte-Foy était un des lieux de rassemblement le soir du 29 janvier 2020, où un repas était offert aux familles des victimes, membres de la communauté et différentes personnalités politiques et religieuses. Le premier ministre québécois, François Legault, y a prononcé un discours dénonçant le caractère haineux du crime mais, comme le note Le Devoir, n’a pas utilisé le terme d’islamophobie pour caractériser l’attentat du 29 janvier. Selon le journal, cela dénotait avec les autres allocutions qui décrivaient généralement l’attentat comme une attaque anti-musulman et islamophobe. Boufeldja Benabdallah, président de la grande mosquée, a souligné la violence toujours vive que subit la communauté musulmane au Québec : « Le chemin est long pour rétablir la concorde avec le peuple québécois. » Cette atmosphère, faite de chants musulmans et d’un buffet, était pensée par le comité organisateur comme un moyen de solidariser musulman·e·s et non-musulman·e·s, afin de prêter collectivement prières et pensées à ceux morts aux mains de l’islamophobie.
Un rappel de la haine
Cet anniversaire était aussi l’occasion de faire un état des lieux des crimes haineux dans la province et d’en rappeler la saillance. Lors d’une conférence de presse donnée par Centre culturel islamique de Québec, Maryam Bessiri, co-porte-parole du comité citoyen de commémoration, a insisté sur le fait que ce moment de souvenir ne devait pas être cantonné à une seule journée, et que le combat contre l’islamophobie devait être un effort mené activement aussi par les non-musulman·e·s. Selon Statistique Canada, en 2018, le Québec arrivait au second rang de la province répertoriant le plus de crimes haineux (453 cette année-là), les minorités religieuses (musulmanes et juives) en étant les premières victimes.
Sur la page Facebook de François Legault, les commentaires haineux répondant à sa publication, spécifiant que le « peuple [québécois] n’est pas à l’abri de cette haine. Mais cette haine n’est pas celle du Québec », ont indiqué un sentiment anti-musulman présent chez une partie de son électorat. L’équipe du politicien a tenté de modérer ces commentaires islamophobes malgré leur affluence. CBC notait d’ailleurs que le premier ministre, habitué à utiliser les réseaux sociaux comme baromètre de sa popularité, s’est désolidarisé de ces commentaires en insistant qu’ils ne constituaient qu’une minorité de son audience.
Justice en cours
En février 2019, Alexandre Bissonnette était condamné à une peine de prison à vie avec libération conditionnelle après 40 ans. Alors que la défense a fait appel, estimant la peine trop dure, le directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) et la procureure générale du Québec contestent aussi en justice le jugement, estimé trop clément. Cet appel rouvre un chapitre judiciaire douloureux, laissant incertain quant à la peine que connaîtra l’assassin. Mustafa Farooq, membre du Conseil national des musulmans canadiens, a noté l’inquiétude des familles des victimes en vue d’un nouveau jugement.