Du 3 au 9 février se déroulait la semaine nationale de sensibilisation sur les troubles alimentaires. Pourtant, interrogé·e·s par Le Délit sur la définition d’un trouble de conduites alimentaires (TCA), les étudiant·e·s de McGill se sont montré·e·s généralement maladroit·e·s, voire incapables de répondre à la question. Un TCA, selon l’Association américaine de psychiatrie, est un trouble psychique où les comportements alimentaires d’un individu sont perturbés, au point d’avoir un impact négatif sur la santé mentale et physique de l’individu.
À l’occasion de cette semaine de sensibilisation, le Centre de ressources sur les troubles de l’alimentation (CRTA) de l ‘AÉUM organisait un panel sur l’alimentation et la santé mentale dans le contexte mcgillois. La discussion, organisée le mardi 5 février au bâtiment Brown, réunissait les intervenantes Audrey Woo, Aiden Mehak, et Catherine Zambrano – respectivement une responsable d’étage (floor fellow, en anglais), une assistante d’enseignement (TA, en anglais) et étudiante doctorante et une ancienne athlète varsity en patinage artistique – pour discuter des causes, conséquences et solutions des TCA chez les étudiant·e·s mcgillois·es.
Aux sources du problème
Au cours de la discussion, de multiples facteurs ont été identifiés comme étant à l’origine des troubles de conduite alimentaire. Pression sociale et pression de performer ne sont que quelques-unes des principales causes de TCA identifiées par les panélistes.
Audrey, responsable d’étage, constatait à quel point la transition vers l’université peut être « stressante » pour les étudiant·e·s de première année en particulier. « Nos relations à la nourriture sont empirées lorsque nous arrivons dans un nouvel environnement […] avec de nouvelles personnes, de nouvelles responsabilités », affirmait-elle. Elle citait notamment « la pression sociale de se faire des amis, d’exceller sur le plan académique » et « la peur de prendre du poids, connue comme Freshman 15, » en tant que causes des TCA pour les étudiant·e·s de première année.
Catherine, ancienne athlète, affirmait aussi être « hypersensible » par rapport à son corps lorsqu’elle faisait du patinage artistique de haut niveau. Elle voyait les patineuses professionnelles à la télévision et se disait qu’elle devait « ressembler à elles si [elle] voulait être à la hauteur ». « Il y avait une grande attention sur notre poids, lorsque je faisais du patinage », affirmait-elle. « Nous étions pesées chaque semaine. Je me souviens encore d’une fois où j’avais perdu particulièrement beaucoup de poids, et l’entraîneur me dit : “ c’est fantastique ! Comment as-tu fait ? ”. La raison était que j’avais un trouble de l’alimentation, à l’époque ».
Une stigmatisation sociétale
La récurrence des TCA serait aussi liée à leur forte stigmatisation, selon les panélistes, dont la tendance serait désormais sociétale. « Tout le monde avait une mentalité similaire, dans l’équipe », poursuivait Catherine à propos de son équipe de patinage. Il « était très normalisé », selon elle, de prendre des mesures extrêmes pour perdre du poids. Ce serait « même encouragé », au point où « une amie à [elle] a eu une rupture émotionnelle à cause de la pression ».
Aiden, étudiante au doctorat en psychologie clinique, a aussi parlé du « sentiment d’être gros·se, d’être en surpoids, et comment cela ne correspond pas avec le poids réel d’une personne ». Selon elle, il y aurait un « biais de poids, […] une discrimination contre le poids » dans notre société, procurant une « grande honte » aux personnes dont le poids serait supérieur à celui des standards de beauté. « Nous apprécions la minceur, et toute personne non mince est considérée paresseuse », poursuivait-elle. « Les gens croient que c’est un choix, alors que ce ne l’est pas. C’est en réalité surtout un mélange de génétique, de biologie, et, dans une certaine mesure, de socialisation de l’individu ».
Tout le monde avait une mentalité similaire, dans l’équipe.
Audrey constatait un phénomène similaire lorsqu’elle disait que « ces genres de commentaires, nous les entendons même lorsque nous retournons à la maison pendant les vacances, et que nous sommes dans des cultures différentes. Les parents nous disent “Tu as gagné un peu de poids, dis donc!” en rigolant, sans se soucier des conséquences psychologiques de ce genre de commentaires ». Un membre du public intervenait à la suite de ce commentaire, disant à son tour : « Dans mon pays [l’Espagne, ndlr], les troubles alimentaires ne sont même pas une conversation. […] Chez nous, la saison de plages dure pratiquement six mois chaque année, ce qui veut dire que, pendant la moitié de l’année, les hommes se soucient de leur corps, allant jusqu’à éprouver de l’anxiété face à l’idée d’être jugés en maillot de bain ».
Systèmes d’aide insuffisants
La discussion a, par ailleurs, beaucoup tourné autour de l’idée que les ressources seraient insuffisantes pour convenir aux besoins de toutes les personnes souffrant de TCA. Questionnée à savoir si la stigmatisation affecte le financement de la recherche autour des TCA, Aiden répondait « oui, à 100% ». Elle poursuivait : « nous devons demander au gouvernement de nous accorder un financement, et ceci beaucoup plus que d’autres secteurs de recherche ». Le financement gouvernemental de la recherche sur les TCA au Canada s’élève à environ 2,41 dollars par personne touchée, contre 462,14 dollars par personne autiste et 103,31 dollars par personne schizophrène, d’après l’Association mondiale de la psychiatrie.
En plus du financement de la recherche, l’accès à l’aide à McGill pour les personnes vulnérables serait d’autant plus difficile, selon les panélistes. En 2018, McGill cessait de financer son programme dédié aux TCA, comme le déplorait Sophia Esterle, ancienne vice-présidente aux Affaires étudiantes de l’AÉUM – présente au panel – dans une entrevue au Délit en janvier 2019. Les délais de fonctionnement du Pôle bien-être de McGill ont aussi été critiqués, certains étudiants devant attendre jusqu’à 80 jours pour un rendez-vous avec un thérapeute, comme le publiait Le Délit en novembre 2019. Audrey estimait de plus que les responsables d’étages ne disposent pas d’assez de moyens pour subvenir aux besoins des étudiant·e·s. « Ce serait génial si nous avions un guide de ressources, une trousse à outils », disait-elle « et je pense aussi qu’on pourrait avoir davantage de formation en la matière ». Elle s’alignait avec les autres panélistes en affirmant que « le Pôle bien-être, de par sa bureaucratie, ne semble pas accessible aux étudiants. […] Passer par les services de santé mentale à McGill prend tellement de temps. Il semble que l’on tourne en rond ». Elle concluait qu’il y a « une pénurie de professionnels de la santé. Nous n’avons pas l’infrastructure nécessaire pour traiter les étudiant·e·s de cette université ».