Tout·e lecteur·rice aguerri·e sait combien il est impossible de répondre à la question, pourtant répandue, « Quel est ton livre préféré ? ». Comment choisir, comment se rappeler de tous les romans qu’on a dévorés au cours de sa vie ? Pour moi, celui qui garde, toutefois, une place de choix sur l’interminable liste de mes livres « préférés », est le premier que j’aie vraiment lu. Lu avec obsession, lu et avoir été absorbée, lu et n’avoir rien voulu lire d’autre après l’avoir terminé.
Lorsque j’avais huit ans, mes parents m’ont offert le premier tome de la série Amos Daragon, de Bryan Perro, et je n’exagère pas en vous disant que ce livre a changé ma vie. Pendant presque un an, je n’ai lu et relu que les douze tomes de cette série – j’avais carrément mémorisé certains passages.
Une portée audacieuse
Une grande part de mon attrait pour la série était, hormis, évidemment, la qualité de l’écriture, sa complexité. En douze tomes, Bryan Perro se permet de peindre une aventure fantastique avec une dimension que je n’ai revue que lors de ma lecture du Seigneur des Anneaux, quelques années plus tard. Comme élément déclencheur, Amos, jeune garçon rusé, se voit attribuer la destinée de Porteur de masques. Il doit dès lors retrouver les quatre masques des quatre éléments pour pouvoir maîtriser ceux-ci et, aidé de ses ami·e·s – un hommanimal capable de se transformer en ours, une sorcière pratiquant la nécromancie, et une gorgone –, découvrir les trois autres Porteur·euse·s et rétablir l’équilibre du monde (rien que ça).
Bryan Perro ne sous-estime pas la capacité de compréhension de ses lecteur·rice·s, peu importe leur âge – il ne réduit pas la qualité de son écriture ni la complexité de son univers simplement parce qu’il compose un roman jeunesse. Il crée un monde fantastique, intègre d’innombrables créatures mythiques, et fait voyager Amos non seulement à travers plusieurs royaumes, mais plusieurs dimensions, dont l’Enfer. Au-delà de cela , ses romans abordent le racisme, la guerre, la mort, et déconstruisent le thème du conflit entre le « bien » et le « mal », en fixant comme but non pas la victoire de l’un, mais l’équilibre entre les deux. On entend souvent certaines personnes se questionner sur la capacité des enfants à comprendre certains thèmes. D’après mon expérience, il suffit de leur expliquer. Amos Daragon aborde des sujets difficiles avec clarté et précision, sans mettre des gants blancs, faisant confiance – avec raison – à son lectorat pour les comprendre.
Une lecture marquante
J’ai lu Amos Daragon et ça a changé ma vie, mais j’aurais bien pu lire autre chose, sur un tout autre sujet, et écrire un article semblable sur un livre entièrement différent. L’important, c’est que, lorsque j’apprenais à aimer la lecture, j’ai eu la chance d’avoir accès à des romans jeunesse complexes et captivants, des romans que je lisais sous mes draps à la lumière d’une lampe de poche parce que j’étais incapable d’attendre jusqu’au lendemain. Amos Daragon m’a appris à aimer la lecture de tout mon être, et je souhaite que tous·tes les enfants puissent connaître leur version de cette œuvre.