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Réapprendre à respirer

La poésie comme une remontée à la surface.

Parker Le Bras-Brown | Le Délit

Ce que je préfère du Salon du livre de Montréal, c’est m’y rendre seule et y rester des heures, pour flâner, fouiner et dénicher. La vie en apnée est le premier recueil de poésie de l’auteur Philippe Labarre, enseignant de français au collège Ahuntsic. C’est aussi l’un de ces livres que l’on découvre au kiosque de L’Hexagone entre Gaston Miron et Denise Boucher et qui marque avec la même intensité. 

La mer comme support

Le recueil, publié en 2017, déferle sur le·la lecteur·rice le parcours difficile du narrateur en six étapes et quelques cent poèmes. À travers « Rivages », « Récifs », « Glacis », « Fosses », « Dorsales » et « Surfaces », c’est la vie en apnée, c’est lentement apprendre à refaire surface, à reprendre vie et à s’épanouir, après le mal-être et le deuil amoureux. Philippe Labarre nous livre son émotion comme une longue vague à chevaucher, nostalgique d’un amour perdu. Il raconte la solitude en détresse, l’arrivée de quelqu’un à aimer comme une bouée, les épreuves de la rupture et le long processus d’acceptation de soi. Bien que cette émotion soit familière pour plusieurs, l’auteur parvient à la fois à la rendre unique, et à interpeller le·la lecteur·rice en déployant le large référent de la nature et de la mer. 

« Tu dérivais en ruines. Tu étais torrent d’asphalte gercé, tu t’écoulais en fragments dépecés sur le vif hurlé de l’abandon. Mais ton sang noirci par des hivers trop longs. Ton sang durci à l’air glacial des fins du monde emmaillottait ta vie défaite en millions de chrysalides. Pour que tu renaisses essaim de réverbères. » 

Labarre construit ainsi une imagerie fouettante, qui frappe au visage comme une pluie battante. L’amour devient lumière chaude, saison fertile ; le deuil se fait hiver, humidité et tempête ; la renaissance est matin, mousse et dégel. 

Rythmique évocatrice

Les poèmes, brefs et numérotés, retracent le travail de longue haleine de Labarre réalisé pendant un long voyage, le défi personnel d’écrire trois poèmes par semaine. Ils sont le fruit d’une sélection et d’un retravail méticuleux. À chaque poème est donnée une page, l’espace nécessaire pour respirer, pour s’épanouir. Les vers, irréguliers, ont le rythme du ressac ; les phrases qui les composent donnent l’image d’un désordre émotionnel dans leurs longueurs disparates. Néanmoins, ces longueurs donnent le souffle des poèmes, accentué par la narration à la deuxième personne qui universalise le propos et se lit comme une conscience intérieure. Ce tu qui donne vie au recueil, qui soutient son sujet et qui, tout au long de l’œuvre, subit une transformation perpétuelle, clôt le dernier poème en devenant un je triomphant.

« Tu t’es couché nu comme une larme.

Tu t’es endormi. Puis tu as rêvé à ta mort triste comme un sourire perdu. C’est ainsi que tout reprend vie. 

Qu’on se relève un matin sans peine. Un rire fou en plein ventre. Le besoin irrésistible de dire je. »


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