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Activisme climatique connecté

Instagram et activisme climatique : un duo efficace ?

Béatrice Malleret | Le Délit

Si l’on clique sur le bouton « explorer » de l’application Instagram, le nombre de hashtags est vertigineux. Ces mots-clés, ajoutés sous une image par un·e utilisateur·rice et précédés du symbole dièse, permettent d’accéder à des images liées à un sujet spécifique. Une recherche plus précise permet de se rendre compte que le nombre de ces hashtags liés à la question climatique est lui aussi élevé. Défilent #justiceclimatique #environnement #climat… Le hashtag #climatechange compte 3 545 013 publications au moment de l’écriture de cet article. Tout cela sans compter les nombreux comptes des différentes associations et activistes tels que les comptes des différents chapitres universitaires de @climatejustice.

  

Montrer pour dénoncer 

Cette profusion de comptes et d’images défendant l’idée d’une justice climatique laisse penser qu’Instagram semble être un foyer dynamique pour l’activisme environnemental. Cela peut être lié à plusieurs facteurs, l’un étant le nombre d’utilisateur·rice·s potentiel·le·s que la plateforme peut atteindre. Plus d’un milliard de personnes utilisent Instagram chaque mois, 500 millions de personnes utilisent les stories (images éphémères, publiées par les utilisateur·rice·s pour une durée de 24h sur leur profil) chaque jour, et 63% des profils se connectent chaque jour au moins une fois. Instagram tire sa popularité de son format. Les images sont nombreuses, et les textes sont courts. La plateforme joue sur le contenu visuel plutôt qu’écrit.

C’est précisément pour cette raison que l’activisme lié à la justice climatique fonctionne bien sur Instagram. Les effets des changements climatiques paraissent beaucoup plus tangibles lorsqu’ils sont vus : l’impact des images est indéniable. En décembre 2017, le photographe canadien Paul Nicklen, connu pour ses photos animalières, poste une vidéo d’un ours polaire très amaigri sur son compte Instagram. Dans la légende de cette photo, il écrit : « c’est à ça que la privation de nourriture ressemble. » Il y décrit son émotion et celle de son équipe et appelle à une action directe et concrète. Cette photo, relayée quelque temps plus tard par de nombreux médias, suscite une émotion vive auprès du public. Elle devient l’un des symboles des effets dévastateurs des bouleversements climatiques. S’il a été reproché aux auteur·rice·s de la vidéo d’instrumentaliser la souffrance de l’animal, elle a tout de même atteint une portée très importante et a mis le doigt sur un problème existant. Ce n’est pas la seule image marquante présente sur le réseau social.

Si les photos et vidéos de fonte des glaces, de catastrophes écologiques causées par les humains ou non, sont particulièrement puissantes, une autre catégorie d’images est également frappante : celle des mouvements eux-mêmes. Les images de mobilisations, de marches, des actions collectives circulent également sur la plateforme. Les images de la marche du 27 septembre à Montréal font d’ailleurs partie de celles qui ont rencontré un grand succès sur le réseau social. 

De nombreux comptes ont également une visée éducative. Ces profils, qui sont souvent ceux d’organisations, mais aussi d’individus, proposent des explications et une déconstruction de la crise climatique. Cela permet de vulgariser certains concepts qui peuvent apparaître comme distants ou abstraits. Les enjeux scientifiques, sociétaux, politiques sont alors simplifiés et rendus plus accessibles. 

Réseau et responsabilisation

La qualité visuelle d’Instagram lui permet d’offrir une approche différente de celle offerte par d’autres réseaux sociaux comme Twitter ou Facebook, plus basé sur un format de nouvelles écrites, et donc parfois moins percutante. Les différentes fonctionnalités d’Instagram, telles que les hashtags ou les stories, permettent de montrer la globalité des mouvements. Des comptes comme @fridaysforfuture (Vendredis pour le futur), rassemblent les images de ce mouvement à travers la planète. Le compte propose aussi une liste récapitulative du nombre de villes participant au mouvement ou encore le nombre de personnes prenant part aux événements.

Les fonctionnalités permettent aussi — dans une certaine mesure — de donner la voix aux personnes et mouvements minoritaires. Éviter d’uniformiser la cause climatique est essentiel, surtout lorsque la rhétorique principale est celle d’une seule partie de la population mondiale. C’est ce qu’a soulevé l’activiste ougandaise Vanessa Nakate lorsqu’elle a été coupée d’une photo prise lors du Forum de Davos la représentant aux côtés d’autres jeunes activistes pour le climat. La photo ne montrait alors plus que des activistes blanc·he·s. Elle a alors reposté la photo originale et dénoncé les médias qui ne citaient pas son nom ou sa présence. La présence d’un mouvement sur une plateforme comme Instagram lui permet de toucher une grande audience, mais permet aussi à cette audience de le critiquer et d’en tenir les têtes de file responsables. 

Mieux vaut en rire

Si Instagram permet un activisme que l’on pourrait qualifier de formel ou de direct, certains profils proposent des alternatives qui permettent d’alléger la gravité du sujet. C’est notamment le cas des comptes humoristiques, souvent très cyniques, qui dénoncent eux aussi l’urgence de la situation climatique ainsi que l’hypocrisie et l’inaction des gouvernements. Une audience large est touchée par ces profils, tel que le compte @climemechange qui rassemble plus de 68 000 abonné·e·s.  Par le biais de memes  — ces images accompagnées d’un court texte — ces profils apportent une dose d’humour à la question climatique. Ces comptes n’ont pas nécessairement pour visée de dédramatiser, mais plutôt d’ironiser la situation. Il est possible d’y voir une tentative d’exprimer des inquiétudes liées à l’écoanxiété. Les auteur·rice·s rivalisent d’imagination afin d’exploiter ce format simple, mais percutant et efficace.

Instagram comme solution ?

Instagram fait partie du groupe Facebook Inc qui conserve avant tout un but commercial. Elles participent à la diffusion d’un commerce ayant des impacts destructeurs sur l’environnement. La visibilité permise grâce à Instagram est à double tranchant quand elle en vient aux questions environnementales. Les placements de produits, les publicités, et autres ressorts économiques sont monnaie courante sur la plateforme. Cette dernière possède même une fonctionnalité permettant de magasiner en ligne à même l’application. Les publicités ne sont d’ailleurs pas complètement dissociées de la question environnementale. Dans un soi-disant effort de conscientisation, Instagram et de nombreuses entreprises présentent des produits qui seraient « la » solution aux changements climatiques. Ces publicités sont d’autant plus ironiques, car Facebook détient des accords commerciaux avec le secteur pétrolier.

Facebook et Instagram détiennent donc — comme de nombreuses autres grandes plateformes — une responsabilité certaine face à la crise climatique. Cependant, ces plateformes restent des outils de communication puissants. Elles permettent une cohésion dans les mouvements sociaux, ainsi qu’une coordination qui ne serait pas envisageable sans leur existence. Instagram facilite un accès plus large et plus global au mouvement environnemental qu’il serait dommage de ne pas exploiter.


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