« L’administration James est fermée pour la journée jusqu’au désinvestissement des énergies fossiles » pouvait-on lire en anglais sur une pancarte collée sur la porte du bâtiment de l’administration de l’Université McGill ce mardi 18 février. Le groupe Divest McGill, qui milite pour le désinvestissement des énergies fossiles, a bloqué l’accès au bâtiment pendant huit heures afin de demander à McGill le « désinvestissement immédiat » des entreprises TC Énergie et Teck Resources. Le Délit se penche sur ce blocage et fait le point sur les actions menées par Divest.
En solidarité avec Wet’suwet’en
TC Énergie est l’entreprise derrière le projet de pipeline Coastal GasLink dont le tracé prévoit de traverser le territoire revendiqué par la Première Nation Wet’suwet’en, provoquant de vives oppositions. TC Énergie « a amené la Gendarmerie Royale du Canada [GRC, ndlr] sur le territoire Wet’suwet’en pour arrêter violemment et expulser des protecteurs de la terre, qui ne font que vivre ici et défendre leur terre » explique Laura Mackey, membre de Divest McGill interrogée par Le Délit. « Nous croyons que notre université ne devrait pas investir dans une entreprise qui est violente envers les peuples autochtones » résume-t-elle. Selon un document public du Service des Placements de McGill, la valeur des actions de TC Énergie détenues par l’Université s’élevait à 5 847 271$ au 31 décembre 2019.
Ce blocage a lieu alors que se sont multipliées depuis le début du mois à travers le pays les actions en solidarité avec Wet’suwet’en, dont notamment des blocages de voies ferrées. Divest McGill avait déjà affiché son soutien à la Première Nation lors d’un rassemblement sur le campus le 16 février. « Lorsque nous avons mené le blocage, nous étions conscients du fait que les actions disciplinaires auxquelles nous aurions pu faire face ne sont rien par rapport à ce à quoi les protecteurs de la terre en Colombie-Britannique ou aussi les gens qui bloquent des voies ferrées à travers le pays doivent faire face. […] Mais nous voulions intentionnellement utiliser notre espace en tant que campagne de désinvestissement pour élever ce message d’une manière où nous étions capables de le faire » souligne Laura.
Le blocage demandait également le désinvestissement de Teck Resources, entreprise qui menait jusqu’à ce dimanche 23 février le projet de mine Frontier en Alberta. Pour Laura, ce projet minier de sables bitumineux « étendrait l’économie carbonée du Canada au moins jusqu’en 2067, date à laquelle le pétrole cesserait d’être extrait de la mine. Nous ne croyons pas que notre université doive investir dans une entreprise qui s’oppose si directement à ce que tous les scientifiques disent qu’il faut faire avec notre économie et sa dépendance aux énergies fossiles ». « Comme le portfolio de McGill est intentionnellement non transparent, nous pouvons seulement voir une partie de ce dans quoi McGill investit. La partie que nous pouvons voir ne dit pas que McGill investit dans Teck Resources. Cependant, ils pourraient avoir investi dans Teck Resources, c’est peut-être dans la partie de leur portfolio qui nous est cachée. Nous demandons donc une déclaration de non-investissement dans Teck Resources, disant qu’ils n’investissent pas actuellement dans Teck Resources et qu’ils n’investiront jamais dans Teck Resources. Ou, s’ils peuvent dire qu’ils investissent actuellement dans Teck Resources, nous voulons qu’ils désinvestissent » précise-t-elle. Vendredi le 21 février, 42 prix Nobel publiaient une lettre dans The Guardian pour demander à Justin Trudeau l’arrêt du projet Frontier et la fin de l’expansion du secteur des énergies fossiles. Ce dimanche dans une lettre adressée au ministre fédéral de l’Environnement, Jonathan Wilkinson, l’entreprise annonçait renoncer au projet.
Au cours de cette action cependant, Divest ne perdait pas de vue son objectif final. Le blocage avait aussi pour but de demander à nouveau le désinvestissement total des 200 plus grandes compagnies d’énergies fossiles et réclamait, selon leur communiqué de presse, une déclaration de McGill « reconnaissant les graves torts sociaux causés par l’industrie des énergies fossiles ».
Réaction de McGill
Contactée par Le Délit, l’administration de l’Université McGill a réagi à travers un communiqué transmis aux médias reconnaissant « le droit de ses étudiants à manifester pacifiquement sur le campus », ajoutant que « l’Université a également la responsabilité de protéger les droits des étudiants, des professeurs et du personnel à mener leurs travaux sans menacer la sécurité des personnes ou des biens. Conformément à la recommandation du Comité consultatif sur les questions de responsabilité sociale (CAMSR) en décembre dernier, l’Université prévoit de réduire l’empreinte carbone de ses placements, y compris ceux dans l’industrie des combustibles fossiles ». Le blocage de Divest a perturbé une réunion du CAMSR. Le comité avait recommandé à McGill en décembre dernier la réduction de l’empreinte carbone de ses placements tout en se positionnant contre le désinvestissement total. Pour Laura, il n’y a pas de doute, il s’agissait là de « greenwashing fortement masqué ».
Si le blocage a eu une forte résonnance symbolique, Divest est loin d’en être à sa première action
Divest
Si le blocage a eu une forte résonance symbolique, Divest est loin d’en être à sa première action. La campagne pour le désinvestissement des énergies fossiles débutait en 2012. Robin Reid-Fraser, alors vice-président externe de l’Association étudiante de l’Université McGill (AÉUM) lançait un projet de recherche, d’abord dénommé Decorporatize McGill, aux côtés de Christopher Bangs et David Summerhays. Le 1er février 2013, le groupe soumettait une première pétition au CAMSR pour demander le désinvestissement, signée par 1200 membres de la communauté mcgilloise. Le 23 mai, première déception pour le groupe : le CASMR rejetait la demande, invoquant un « manque de preuves du préjudice social [des activités des compagnies d’énergies fossiles] ». En 2015, deuxième tentative. Cette fois, Divest s’appuyait sur un document de recherche de 150 pages et une pétition récoltant 1300 signatures. Le vent semblait cette fois avoir tourné en la faveur du groupe, récompensé à la cérémonie des Catalyst Awards organisés par le McGill Office of Sustainability.Mais ceci n’empêchait pourtant pas CAMSR de rejeter à nouveau le désinvestissement en 2016.
Le combat ne s’arrêtait cependant pas là pour Divest : le 12 septembre 2018, le Sénat de McGill adoptait une motion déclarant que « le Sénat, à travers le principal, conseille au Conseil des gouverneurs de désinvestir les dotations dans toutes les entreprises dont le premier commerce est l’extraction, la distribution et/ou la vente d’énergies fossiles ». Le CAMSR a alors de nouveau été mandaté par le Conseil des gouverneurs pour examiner la question. Entre temps, l’AÉUM adoptait en octobre 2019 un moratoire bloquant tout nouveau frais institutionnel obligatoire jusqu’à ce que McGill retire les actions de son fonds de dotation des 200 plus importantes compagnies d’énergies fossiles. Ceci quelques semaines avant le nouveau refus du CAMSR, préférant recommander la réduction de l’empreinte carbone des placements plutôt que le désinvestissement total. « Bien sûr, nous n’avons pas atteint notre objectif de désinvestissement total » reconnaissait Laura, « cependant, nous avons changé leur [celle du Conseil des gouverneurs, ndlr] discussion sur le sujet. Le Conseil des gouverneurs pensait, en particulier en 2016, qu’ils pourraient rejeter le désinvestissement des énergies fossiles et en avoir terminé avec cet enjeu. Ils n’attendaient pas que nous revenions aussi fort et aussi ardemment. Et à cause de cela, ils ont sorti leur plan pour décarboniser leurs dotations. […] C’est tellement en dessous de ce qu’il faut faire mais […] c’est probablement quelque chose qui ne se serait pas produit si nous n’avions pas demandé le désinvestissement ».
Et maintenant ?
Depuis décembre, la lutte pour le désinvestissement est loin de s’essoufler. Au lendemain des recommandations du CAMSR, Divest publiait une vidéo parodique intitulée « Paid by McGill ». De plus, Divest McGill s’inscrit aujourd’hui dans un mouvement international de désinvestissement. « Durant le mois dernier, nous avons renouvelé notre réseau et nos relations avec les autres groupes » explique Zahur Ashrafuzzaman, lui aussi membre de Divest McGill. Preuve que la mobilisation ne se cantonne pas à McGill, en novembre 2019, la Fondation de l’Université Concordia s’engageait à cesser d’investir dans le secteur du charbon, du pétrole et du gaz d’ici les cinq prochaines années. D’ici avril, le CAMSR soumettra au Conseil des gouverneurs un plan d’application de la politique de décarbonisation. Dans une interview accordée au Délit après sa démission, cependant, le professeur Mikkelson déclarait : « je ne serais pas surpris qu’en nous apportant plus de détails comme promis, en avril prochain, ils changent finalement d’avis ».