À l’occasion de l’édition spéciale activisme et justice climatique, Le Délit a rencontré Geneviève Paul, juriste et directrice générale du Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE). Un groupe de juristes intéressés par les aspects juridiques des enjeux environnementaux donne naissance à ce centre en 1989. L’occasion de présenter son parcours et les missions du CQDE, mais aussi de discuter des dispositifs juridiques qui existent pour protéger l’environnement.
Le Délit (LD) : Pour commencer, pouvez-vous nous parler de votre formation et de votre parcours ? Qu’est-ce qui vous a amenée à vous spécialiser dans le droit de l’environnement ?
Geneviève Paul (GP) : L’équipe du CQDE est principalement composée d’avocates et d’avocats. Pour ma part, j’ai une formation en sciences politiques et en droit. J’ai une maîtrise en droit international des droits de la personne de l’Université d’Essex en Angleterre. J’ai débuté ma carrière en travaillant à l’international pendant près de dix ans.
Depuis plus de dix ans, je contribue activement aux débats pour l’avancement des droits humains et de la protection environnementale sur le plan international ainsi qu’au Canada. Avant d’intégrer la Fédération Internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) à Paris, j’ai travaillé en éducation aux droits humains à Droits & Démocratie avec des groupes universitaires à travers le Canada. À la FIDH, j’ai dirigé le bureau Mondialisation et droits humains du secrétariat international, où j’ai été amené à réaliser de nombreuses missions d’enquête internationale en Amérique latine et en Asie portant principalement sur les impacts environnementaux et sociaux liés aux secteurs extractif et du textile, en soutien aux nombreuses communautés affectées par des mégaprojets.
J’ai aussi activement participé aux débats entourant la responsabilité des entreprises multinationales, la participation citoyenne et l’accès à la justice au sein des Nations Unies et auprès de l’Union européenne. J’ai rejoint le CQDE à titre de directrice générale en septembre 2018.
Je travaille donc depuis plusieurs années sur les impacts de la mondialisation économique sur l’environnement et les droits des communautés affectées. Malheureusement, certaines problématiques rencontrées au Québec sont similaires à d’autres situations sur lesquelles j’ai travaillé à l’étranger. Je suis donc heureuse de pouvoir travailler sur des enjeux touchant le Québec aux côtés de groupes et citoyens mobilisés à travers la province.
Les enjeux environnementaux auxquels nous faisons face sont énormes et directement liés avec la protection de nos droits : le droit est un outil puissant que nous devons saisir et nous approprier pour assurer la protection du droit à un environnement sain et respectueux de la biodiversité, droit protégé par la Charte des droits et libertés du Québec.
LD : Quels sont le rôle et les missions du Centre québécois du droit de l’environnement ? Comment communique-t-il avec d’autres entités, comme le gouvernement canadien ?
GP : Le CQDE est le seul organisme à but non lucratif au Québec à mettre son expertise juridique au service de la protection de l’environnement et des citoyens. Le centre informe les citoyens sur leurs droits environnementaux, travaille à améliorer le cadre juridique actuel et effectue des interventions devant les tribunaux pour défendre la perspective citoyenne environnementale. Nous interagissons avec le gouvernement provincial et fédéral en fonction des dossiers. Par exemple, nous avons travaillé en coalition avec d’autres organismes à but non lucratif pour assurer le passage de la réforme fédérale d’évaluation d’impact des projets, tels que des mégaprojets comme des pipelines (C‑69).
L’état du droit actuellement au Canada est que l’on peut détruire l’environnement et en arriver de manière tout à fait légale à des écosystèmes invivables
LD : Pouvez-vous identifier les principaux enjeux concernant l’environnement au Québec et les dispositifs juridiques qui peuvent être utilisés afin d’aborder ces enjeux ?
GP : Les enjeux sont très nombreux ! Parmi les principaux enjeux, nommons la perte de la biodiversité et la crise climatique. Le droit doit évoluer pour pouvoir répondre aux enjeux environnementaux actuels et assurer, notamment, une justice environnementale pour toutes et tous. Par exemple, il est important que le gouvernement du Québec adopte une « loi climat » lui permettant de véritablement considérer les impacts environnementaux des décisions de société que nous faisons, et notamment des décisions de l’appareil gouvernemental. Le gouvernement travaille actuellement sur le projet de loi 44 portant sur la gouvernance climatique : nous estimons qu’il est nécessaire et urgent d’y inclure les éléments clés d’une loi climat (budget carbone, cibles de réduction des GES, participation citoyenne, analyse climatique, transparence, mécanismes de reddition de comptes), mais aussi la question de l’adaptation aux changements climatiques pour s’assurer de ne laisser personne derrière – et notamment les personnes et groupes plus vulnérables.
LD : D’un point de vue de cette lutte pour la justice climatique, quels ont été vos ressentis face aux différentes approches utilisées par le CQDE, comparé à vos anciennes occupations ?
GP : Chaque organisme et chaque acteur de la société peut jouer un rôle vers une justice climatique, en commençant par les gouvernements qui ont la responsabilité d’assurer la protection de notre environnement et de nos droits.
L’histoire du droit nous enseigne le rôle de la désobéissance civile pacifique dans la revendication des droits collectifs et l’avancement du droit
LD : Lors d’une conférence sur la place de la justice pour sauver la planète que vous avez animée, Olivier Huard (activiste-grimpeur et formateur pour Greenpeace et Extinction Rebellion) avait expliqué que selon lui, parce que la loi est une construction humaine, lorsque celle-ci va à l’encontre de l’humanité, il est nécessaire de l’enfreindre pour mettre en avant l’importance de la changer. Que pensez-vous de la désobéissance civile ? Comment pensez-vous que nous pouvons concilier le militantisme et la loi ?
LD : Même si le CQDE ne prône ni ne pratique pas la désobéissance civile, l’histoire du droit nous enseigne le rôle de la désobéissance civile pacifique dans la revendication des droits collectifs et l’avancement du droit. Dans ce cas-ci, la désobéissance civile se situe dans un contexte d’urgence climatique et d’effondrement de la biodiversité qui menace la survie de l’humanité, et réagissant aux actions insuffisantes de nos gouvernements pour réduire nos émissions des gaz à effet de serre et protéger la biodiversité.
L’état du droit actuellement au Canada est tel que l’on peut détruire l’environnement et en arriver de manière tout à fait légale à des écosystèmes invivables. Face à ce constat-là, nous pouvons nous attendre à ce que des individus ou des groupes de protection de l’environnement en viennent à poser des gestes qu’ils considèrent légitimes pour assurer le respect de leurs droits. Dans tous les cas, les changements demandés interpellent directement l’État pour que celui-ci remplisse son obligation de protéger les citoyennes et les citoyens et le bien commun au sens large.
LD : Pour vous, quel est le rôle des universités dans les questions environnementales (grèves pour le climat, désinvestissement des énergies fossiles…)?
GP : Les universités jouent un rôle fondamental dans les questions environnementales : d’un point de vue juridique, les universités jouent un rôle essentiel de formation des futurs avocats et d’un point de vue de recherche sur les manières dont le droit devrait progresser pour répondre aux crises environnementales auxquelles nous faisons face.
LD : Pour finir, pouvez-vous nous présenter le dispositif que le CQDE a mis en place pour soutenir les étudiants universitaires qui souhaiteraient devenir avocats en droit de l’environnement ?
GP : Le CQDE a mis sur pied une clinique juridique qui permet à des étudiants et étudiantes en droit de se former en droit de l’environnement et de s’impliquer directement au sein de notre organisation. Les étudiants prennent part à la clinique dans le cadre de « cours-stage » ou encore en réalisant au CQDE leur stage du Barreau. Nous recevons chaque année des étudiantes et étudiants de McGill. N’hésitez pas à nous contacter pour plus d’information !