L’oeuvre de Jane Austen est souvent synonyme de romans à l’eau de rose, dont une grande partie traite de commérages et d’autres affaires mondaines de l’époque victorienne. Ses romans se passent dans un contexte historique et social bien particulier : celui de la bourgeoisie rurale anglaise du 18e siècle. Pourtant, Austen demeure une autrice intemporelle ; son oeuvre continue à émouvoir et à faire rêver, même plusieurs siècles plus tard.
J’ai décidé de lire Orgueil et Préjugés car on m’avait promis une histoire d’amour mythique, des personnages captivants et un homme connu de tous : le ténébreux Fitzwilliam Darcy, le tout premier « mauvais garçon » par excellence.
Un an plus tard, j’en suis à ma troisième lecture. Et, de plus en plus, je me conforte dans l’idée que l’intérêt de ce roman ne repose pas uniquement sur l’histoire d’amour entre Elizabeth Bennet et M. Darcy.
Ce que j’ai appris de cette oeuvre après m’être concentrée sur autre chose que la romance entre deux fort tempéraments, c’est que Jane Austen, à une époque où les artifices et les normes morales étaient de rigueur, a réussi à créer des personnages incroyablement humains.
Orgueil et Préjugés, écrit en 1813, retrace la romance entre Elizabeth Bennett et Fitzwilliam Darcy, deux personnages obstinés qui vont devoir laisser de côté, de toute évidence, leur orgueil et leurs préjugés sur l’un et l’autre. Elizabeth est une jeune femme enjouée, malicieuse et pleine de légèreté face aux enjeux sociaux de son époque. Fitzwilliam Darcy est un riche et bel héritier qui, aux premiers abords, paraît extrêmement froid et désagréable. Tous deux sont têtus mais de manières bien différentes.
Les premières lignes du roman annoncent la couleur : « Il est une vérité universellement admise : un célibataire en possession d’une fortune solide doit avoir besoin d’une femme. » En me lançant dans la lecture du premier chapitre, je n’étais pas tout de suite emballée. Les enjeux de la famille Bennet me semblaient assez anodins et peu adaptés à un·e lecteur·rice contemporain·e. Car c’est vrai qu’il peut être difficile de concevoir, en voyant l’importance accordée à la fortune au sein du mariage, que l’on puisse trouver de la romance dans un tel contexte. Souvent, il suffit que la famille d’une jeune fille s’accorde avec un riche héritier et la voilà mariée. Je me demandais donc, à la vue de cet environnement social fortement régulé et superficiel, comment Jane Austen avait-elle réussi à faire croire à ses lecteurs en une authentique histoire d’amour ?
En continuant ma lecture, j’ai réalisé que, dissimulés sous toutes ces manières et ces commérages, certains personnages se démarquent à leur façon, soit de façon évidente comme Elizabeth, soit plus implicitement comme Darcy. En étant profondément maladroit dans tous ses faits et gestes, celui-ci m’a semblé le plus intéressant et le plus humain.
Bien que Darcy puisse facilement être considéré comme l’un des personnages les plus énigmatiques du roman, du fait de sa froideur et de ses phrases déplacées, j’ai trouvé que son tempérament faisait de lui quelqu’un à qui l’on peut s’identifier plus facilement que ce que l’on pourrait croire, même plusieurs siècles plus tard. En lisant la première partie du roman, j’ai passé mon temps à me demander pourquoi Fitzwilliam Darcy était l’un des personnages les plus mythiques de la littérature romantique. Puis j’ai compris que, comme Elizabeth, le lecteur doit revenir sur sa première impression de cet homme qui semble haïr tout et tout le monde pour percevoir que Darcy n’est autre qu’un homme très maladroit et orgueilleux qui ne peut concevoir qu’Elizabeth rejette son affection.
Un changement de caractère de la part de deux personnages aussi orgueilleux qu’Elizabeth et Darcy semble, au premier abord, presque impossible. Et pourtant, ce qui rend Orgueil et Préjugés si captivant, c’est qu’il permet d’être témoin de la remise en question d’abord de Darcy, lorsqu’il se rend compte de l’affection qu’il porte à Elizabeth malgré le fait qu’il l’ait trouvée peu attirante lors de leur première rencontre, puis d’Elizabeth, qui réalise que son jugement du caractère de Darcy a été un peu hâtif. C’est ce qui fait que ces personnages soient dotés d’humanité et que même les personnages les plus obstinés puissent ‑certes non pas sans difficulté- faire un travail d’introspection.