Lorsque l’on discute des causes sociopolitiques qui animent le nationalisme québécois, force est de constater que ce mouvement est resté plutôt cohérent avec lui-même depuis le début du 20e siècle. Les nationalistes québécois, d’une génération à l’autre, ont, par exemple, toujours fondé leur action politique sur la défense du français et sur l’autonomie — voire l’indépendance — de la province. La liberté d’entretenir un rapport à la religion différent de celui du Canada anglais — que ce soit un rapport plus étroit, à l’époque du clérico-nationalisme catholique, ou plus axé sur la laïcité, aujourd’hui — a également toujours été un combat nationaliste. Toutefois, j’en viens à me dire que l’environnement devrait être reconnu comme un enjeu naturel du patriotisme au Québec, au même titre que l’identité. L’idée n’est pas de ligoter l’engagement en faveur des intérêts québécois à un dévouement total à l’écologie, mais bien de montrer que ladite écologie s’accorde tout naturellement avec la cause nationale. À vrai dire, l’environnementalisme, au 21e Siècle, a la même valeur que la démocratie : tout mouvement ou parti politique doit en tenir compte, peu importe l’orientation politique. La protection de la terre va autant de soi que la défense du suffrage universel, tous les acteurs sociopolitiques doivent respecter ce principe. Néanmoins, l’objet de ce texte demeure le lien – tout naturel ! – entre nationalisme et environnement.
Je ne m’attarderai pas sur l’évidence de souligner l’urgence climatique, je laisse à d’autres le soin de prêcher cette vérité. Je rappellerai plutôt que l’idée même de nation québécoise s’est bâtie dans un rapport intime avec le territoire. L’attachement à la terre est au cœur de notre identité depuis l’époque de la Nouvelle-France, car c’est toujours la terre qui a assuré notre survie, nous qui sommes un peuple de pêcheurs, de coureurs des bois, de bûcherons, d’agriculteurs et de chasseurs. C’est également grâce à nos rivières que nous avons fondé l’État québécois moderne, dans les années 1960, avec Hydro-Québec. La saine gestion de nos ressources naturelles a été et est toujours synonyme d’émancipation nationale. C’est une résistance contre une forme brutale de colonialisme, soit le pillage de nos ressources par des intérêts étrangers, qu’il convient de poursuivre et de reprendre aujourd’hui.
Avec son importance historique, la nature habite aussi l’imaginaire québécois. Elle se retrouve dans le roman du terroir classique comme dans les œuvres modernes d’Anne Hébert et de Marie-Claire Blais. Elle habite notre poésie, du tout premier poème de notre littérature, Les muses de la Nouvelle-France (1612) de Marc Lescarbot, jusqu’à L’homme rapaillé (1970) de Gaston Miron, trois siècles et demi plus tard. Elle est importante dans les peintures de Krieghoff, dans le théâtre de Michel Marc Bouchard et dans les films de Frédéric Back, de Norman McLaren, de Pierre Perrault, de Bernard Émond ou encore de Richard Desjardins. La nature, dans la culture québécoise, est synonyme d’équilibre ; elle est en quelque sorte notre refuge mental, notre havre par excellence.
Nous entretenons ainsi un lien existentiel fort avec notre territoire. Il est indissociable de la conception même du « Québec » et nous a aidés à chaque étape de notre développement psychologique et physique. Encore de nos jours, au cœur de la pandémie, le Québec a le réflexe de se tourner vers son terroir pour un sentiment de sécurité, comme en témoigne l’initiative du Panier Bleu, mise en place lors de la crise sanitaire de la COVID-19. La volonté d’assurer notre souveraineté alimentaire est une aspiration des plus patriotiques. À la lumière de ces constatations, l’environnementalisme s’accorde naturellement avec les velléités nationales québécoises, car, en s’opposant à des projets polluants et en encourageant le développement durable, il implique de protéger l’intégrité de notre pays, qui est de chair… et de terre, comme se plaisait à dire René Lévesque.
D’ailleurs, le fait de mettre en œuvre des politiques écologiques, de réduire notre dépendance aux hydrocarbures et d’accélérer la transition verte implique aussi d’affirmer notre différence par rapport au reste du Canada. Cet État, rappelons-le, est pétrolier. Une bonne partie de son économie repose sur l’exploitation des énergies fossiles. Les Libéraux et les Conservateurs fédéraux semblent manger dans la main de l’industrie pétrochimique, comme ils nous l’ont bien montré dans les dernières années. Lorsqu’il était premier ministre, Stephen Harper et son gouvernement se sont retirés du protocole de Kyoto, reniant ainsi les engagements solennels du Canada de s’enrôler dans la lutte aux changements climatiques, pour ne pas nuire à l’industrie albertaine ultra polluante des sables bitumineux.
Justin Trudeau, qui s’est vendu en 2015 comme un environnementaliste exemplaire et une alternative radicale à l’obscurantisme écologique d’Harper, n’a pas hésité à investir des milliards de deniers publics dans le projet d’oléoduc Trans Mountain en Colombie-Britannique en 2018. Trudeau a même persisté dans son soutien aux projets d’oléoducs en accordant un prêt gouvernemental de plusieurs centaines de millions de dollars aux promoteurs de Coastal Gaslink, le projet contre lequel la nation Wet’suwet’en s’est soulevée début 2020. Le gouvernement Trudeau a aussi profité du contexte dramatique de la COVID-19 pour expédier l’évaluation environnementale de projets pétroliers au large de la Terre-Neuve. Le Nouveau Parti démocratique (NPD) de Jagmeet Singh, qui se présente aussi comme une alternative, s’est quant à lui déclaré en faveur de la construction de raffineries pétrolières et a été accusé par Elizabeth May d’être conciliant avec la fracturation hydraulique. L’industrie des combustibles fossiles semble avoir un monopole sur la politique canadienne et sur tous les partis ayant la moindre chance d’exercer le pouvoir.
Alors que les partis fédéraux se faisaient compétition, dans les dernières années, pour savoir qui allait être le meilleur allié des pétrolières, le Québec, en 2012, a mis fin à l’extraction de l’amiante dans la province et a surtout fermé la centrale nucléaire Gentilly‑2. À partir de ce moment, le Québec est devenu une nation modèle, en ce sens que l’immense majorité de son électricité provient de sources renouvelables — hydroélectriques, notamment —, plutôt que du charbon ou du nucléaire. En cela, le Québec prouve qu’une société de millions d’habitants peut s’alimenter sans générer plus qu’une quantité minime de gaz à effet de serre (GES). Par ailleurs, en 2013, le Québec a signé un accord avec la Californie pour l’établissement d’une bourse du carbone, qui, depuis, est un modèle international en ce qui a trait à la réduction des GES. À l’origine, cet accord incluait l’Ontario, mais la province s’est retirée suivant la décision du premier ministre provincial Doug Ford, qui, comme nombre de ses homologues canadiens-anglais, est farouchement hostile à toute forme de tarification du carbone et sceptique face à l’interventionnisme écologique. En 2018, le Québec a aussi interdit la fracturation hydraulique, mettant effectivement un terme à l’exploitation de gaz de schiste dans la vallée du Saint-Laurent. Aujourd’hui, Hydro-Québec poursuit des avancées dans les secteurs éolien et solaire. Tous ces accomplissements avant-gardistes de la part du Québec sont des raisons de fierté nationale et témoignent de notre unicité au cœur du Canada pétrolier, en ce qui a trait à la conscience environnementale.
Le nationalisme québécois a tout à gagner d’adopter pour de bon une facette environnementaliste. Rappelons que les victoires contre le gaz de schiste contre Énergie Est et contre les forages à Anticosti ont impliqué la participation passionnée d’un électorat régional traditionnellement nationaliste, additionnée à celle d’une population plus métropolitaine. Le discours environnemental, rassemblant des individus de divers horizons politiques, géographiques et démographiques, peut aider à retrouver une cohésion au sein du mouvement nationaliste et a des chances d’unir, pourvu qu’il évite de tomber dans une rhétorique moralisatrice ou apocalyptique et, surtout, qu’il n’éclipse pas les causes identitaires et culturelles qui définissent la nation du Québec.
Le climat est l’enjeu de ce siècle, celui qui va rassembler les populations. Il faut en prendre acte sans toutefois se mettre à croire que les enjeux de l’immédiat sont les seuls valables. Au contraire, les nationalistes ont la chance de rappeler l’importance du territoire dans le cadre de la patrie qu’ils défendent et à laquelle le peuple s’identifie. Il faut donc allier la préservation de la biodiversité à la préservation de notre culture nationale ! Chose certaine, avec des projets polluants comme le troisième lien de Québec, le complexe Royalmount de Montréal, l’exploitation du pétrole sur la Matapédia, en Gaspésie, et GNL-Québec, l’engagement pour l’environnement ne manquera pas de combats, partout dans la province. C’est l’occasion de se rassembler et de protéger notre maison.