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Au grand dam des grands cirques

Les mesures de confinement ont porté un coup énorme aux cirques montréalais.

Parker Le Bras-Brown | Le Délit

Les cirques de Montréal ont eu énormément de difficulté à s’adapter aux mesures de confinement. Les spectacles organisés par ces entreprises, qui ont tous dû être annulés en raison du confinement, sont généralement d’une très grande envergure. Leur production, qui s’étale sur plusieurs mois, voire sur plusieurs années, met en branle une myriade de personnes différentes ; artistes et acrobates, bien sûr, mais aussi metteur·se·s en scènes, musicien·ne·s, éclairagistes, monteur·se·s sonores, costumier·ère·s, et caetera. 

En temps normal, l’investissement en vaut la peine, puisque les spectacles sont répétés de très nombreuses fois devant un public nombreux. Toutefois, la pandémie est venue creuser un immense trou dans les finances des compagnies de cirques. Des entreprises emblématiques de la scène montréalaise comme le Cirque du Soleil ou Les 7 doigts de la main ont été confrontées à de graves problèmes financiers, au point de devoir envisager la faillite. 

Le 19 mars dernier, à peine une semaine après l’annonce du début du confinement, le Cirque du Soleil a dû annoncer à 95 % de ses employé·e·s qu’ils et elles étaient mis à pied le temps que l’entreprise retrouve ses revenus. « Du jour au lendemain, sans préparation, on s’est retrouvés à fermer la porte. C’est à la fois triste et ironique, parce que les numéros que réalisent nos artistes sont souvent le résultat de dix, quinze ans de préparation », confie Michel Laprise, metteur en scène qui travaille depuis près de 20 ans au Cirque du Soleil.

 

Le Cirque du Soleil a dû annoncer à 95 % de ses employé·e·s qu’ils et elles étaient mis à pied.

 

Un volet international en suspens

L’impact est dramatique pour toutes et tous, mais il l’est encore plus pour les cirques qui produisent beaucoup de tournées à l’international, comme le Cirque du Soleil les 7 doigts. En raison de frais de déplacement et d’administration, l’organisation de tels événements est encore plus coûteuse que celle des spectacles au pays. Cependant, les tournées génèrent en général un revenu substantiel puisqu’elles réussissent à aller rejoindre un nouveau public dans chaque ville.

« Il y a déjà énormément de tournées qui ont été annulées », affirme Nassib Al-Husseini, directeur général du cirque Les 7 doigts de la main. « Juste pour notre dernier spectacle signature, Passagers, on a déjà pour 2,5 millions de dollars d’annulations et de reports. »

De surcroît, alors que les perspectives d’un retour graduel sur scène commencent à poindre à Montréal, les spectacles à l’international du cirque Les 7 doigts de la main risquent de ne pas être aussi rentables qu’à l’habitude avant bien longtemps. Même lorsqu’il sera possible, en théorie, de se produire à l’étranger, les mesures prophylactiques imposées dans les différents pays comme la quatorzaine obligatoire ou la limitation du nombre de spectateur·rice·s à chaque représentation rendront encore très difficile l’atteinte de la rentabilité. « On ne peut pas espérer un retour à la circulation internationale normale avant la fin 2021. Et ça, bien sûr, ça va réduire drastiquement notre chiffre d’affaires et nos activités », affirme Nassib Al-Husseini. 

 

L’ombre d’une faillite

Dans le milieu du cirque, les énormes difficultés rencontrées par le Cirque du Soleil cet été font craindre le pire à beaucoup d’artisan·e·s. La chute de ce géant ferait perdre d’un coup leur emploi à des centaines d’artistes, et augmenterait probablement grandement la compétition pour les places disponibles.

Pour Michel Laprise, la faillite du Cirque aurait aussi un énorme impact sur les plus petits joueurs de l’industrie. De par sa taille et sa réputation, le Cirque du Soleil est à même d’obtenir de gros contrats à l’international ; il délègue souvent une partie de ses contrats à de petites entreprises montréalaises qui peuvent ainsi gagner en crédibilité et en expérience.

Pour le metteur en scène, la faillite aurait aussi une forte valeur symbolique. Première grande troupe de Montréal, le Cirque de Montréal a en quelque sorte créé une demande pour des spectacles de grande envergure et pavé la voie à l’apparition de plus petites compagnies. Il souligne le fait que plusieurs d’entre elles ont été créées par d’ancien·ne·s employé·e·s du Cirque du Soleil, dont Les 7 doigts.

Pour le moment, le Cirque réussit à éviter la disparition surtout grâce au soutien du gouvernement et de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ). Mais cette aide a un prix fort et fait de plus en plus sourciller le Québec : le gouvernement a été critiqué lorsqu’il a choisi d’allonger 200 millions de dollars de plus au Cirque du Soleil et la Caisse a annoncé le 7 août dernier avoir perdu 228 millions de dollars depuis que le Cirque s’est placé à l’abri de ses créanciers.

 

Pas moins des deux tiers des artistes interrogés songeaient également à changer de métier.

 

Un stress vécu par les artistes

Malheureusement, le stress financier des compagnies se transforme en stress bien réel vécu par leurs employé·e·s et par les autres artistes du milieu. L’organisme En piste, qui regroupe les gens du milieu du cirque de partout au pays, a mené une enquête auprès de 561 de ses membres : pas moins de 76 % de ceux-ci ont estimé que l’incapacité à planifier leur avenir professionnel en raison de l’incertitude régnant dans les compagnies les affecte. Dans le cadre du même sondage, plus du tiers des répondant·e·s ont rapporté souffrir de dépression ou d’anxiété à cause de la situation actuelle. Pas moins des deux tiers des artistes interrogés songeaient également à changer de métier.

Ces chiffres aberrants s’expliqueraient, pour Michel Laprise, par l’importance de la performance et des routines d’entraînement dans le quotidien des artistes. Pour rester performant, il faut se pratiquer presque chaque jour pendant des années sans jamais s’arrêter. Avec les gymnases fermés, les artistes n’ont pas pu s’entraîner pendant le confinement, un choc.

 

La tête hors de l’eau

En grande partie grâce à l’aide du gouvernement, qui a subventionné jusqu’à 75 % des salaires des employé·e·s pendant les mois de confinement, Nassib Al-Husseini n’a pas eu à licencier des employé·e·s du cirque. Mais avec la situation qui perdure, ce danger ne peut toujours pas être écarté. « L’angoisse vécue par les employé·e·s est énorme, parce que des pertes d’emploi ont déjà eu lieu dans notre communauté », relate-t-il. 

Le dirigeant espère que le gouvernement continuera d’apporter son aide au milieu du cirque, comme il l’a fait depuis le début du confinement. Selon lui, il faut comprendre que la situation de l’industrie était déjà précaire avant l’arrivée de la pandémie. Il espère que le gouvernement assouplira les mesures de distanciation sociale, comme il l’a fait pour de nombreux sports afin de permettre aux équipes professionnelles de continuer à jouer. Cela permettrait de reprendre tranquillement les spectacles d’ici la fin de l’année.

« On espère que d’ici la fin 2020 on pourra reprendre, sous une forme ou sous une autre, les spectacles à Montréal », affirme Nassib Al-Husseini. « D’ici là, on compte sur les programmes du gouvernement pour passer à travers. »


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