La majorité des personnes qui se sont confiées au Délit s’entendent pour dire que le milieu de la culture et ses artisan‧e‧s ont pris un dur coup durant le confinement, mais certaines avancent malgré tout que l’expérience n’aura pas été complètement négative. Pour plusieurs, le confinement aura été un moment propice pour la création artistique et pour la planification à long terme. La pandémie, malgré ses dures répercussions économiques, aura eu le mérite de permettre à certains artistes de « souffler » un peu.
Se concentrer sur le long terme
Pour Daniel Brière, acteur et codirecteur artistique du Nouveau Théâtre Expérimental (NTE), la période d’inactivité a été un moment de réflexion artistique. Ses projets à court terme annulés, l’artiste a bénéficié de plus de temps qu’il n’en aurait eu autrement afin de se pencher sur certains projets à long terme du NTE : « Ça nous permet de nous avancer sur des projets qu’on voulait faire depuis longtemps. »
On reçoit de l’argent, aussi bien imaginer des projets et redistribuer cet argent-là.
Son théâtre ayant reçu des subventions de différents paliers gouvernementaux, il a choisi de les redistribuer aux artistes associé‧e‧s à la compagnie en continuant divers projets : « Ce qui est important en ce moment, ce n’est pas d’arrêter tout, mais de se dire “On reçoit de l’argent, aussi bien imaginer des projets, des laboratoires, des recherches et redistribuer cet argent-là”. »
Par ailleurs, le metteur en scène ne croit pas que les mesures de confinement l’empêcheront de jouer encore longtemps : dès l’automne, il prévoit revenir sur scène, en s’adaptant aux mesures de confinement qui seront en place à ce moment-là. « Rendu là, il faut y aller. Peu importe la situation, on va monter sur scène et on va s’adapter aux contraintes. On est un théâtre expérimental, alors si jamais ils nous disent qu’on a pas le droit d’être plus que tant d’acteurs ou qu’on doit être à plus que telle distance, on va faire la mise en scène en fonction de ça », affirme le co-directeur du NTE. Il envisage la session automnale comme un « laboratoire créatif. »
Pour la création, une pause bénéfique…
« Je ne veux pas dire que tout est positif. C’est sûr que ça me manque de faire des shows, mais d’avoir le temps d’écrire beaucoup, on dirait que ça vient me donner plus de temps pour réfléchir réellement à ce que je fais. C’est positif pour la création », nous annonce d’entrée de jeu Charles Brunet, un humoriste de la relève. Il considère que le confinement lui a permis de peaufiner son écriture en lui offrant une pause de scène, phénomène inespéré dans un milieu où le sentiment de devoir produire sans cesse et de se représenter constamment est omniprésent.
L’humoriste, qui a pris l’habitude pendant le confinement d’écrire pas moins de cinq heures par jour, est heureux d’avoir eu cette occasion : « Je n’ai pas l’impression que ça vient mettre un frein à ma carrière. En fait, j’ai l’impression que ça me donne une pause, que ça aide ma carrière : j’écris des meilleures blagues et à la longue, c’est bon pour moi. »
Ça me ramène à moi et me donne plus de temps pour écrire.
Il note toutefois que ce travail de création ne peut être qu’inachevé. Dans le milieu de l’humour, le public a lui aussi un rôle à jouer dans le processus créatif, puisque l’humoriste ajuste ses blagues à l’accueil que leur réservent les spectateur‧rice‧s. Cette étape se nomme le rodage. En temps normal, Charles Brunet participe à des spectacles tous les soirs afin de roder ses blagues devant public. Au plus fort de la période de confinement, il lui était impossible d’accéder à une rétroaction de la part de son public, d’autant plus qu’il a choisi de ne pas du tout se produire en numérique, alternative à laquelle il reproche le manque de contact humain.
Malgré tout, il s’efforce de voir le bon côté des choses : « C’est sûr que je n’ai jamais la réaction du public, alors c’est plus dur d’orienter mes gags, mais ça me force à être plus intuitif face à moi-même. […] Je trouve ça positif ! Ça me ramène à moi et me donne plus de temps pour écrire. » Au fur et à mesure du déconfinement, il a pu recommencer à se produire dans les parcs, une activité qui ne lui procure toutefois pas de revenu.
… dont tous‧tes ne bénéficient pas également
Toutes et tous n’ont pas pu profiter de ce « moment pour réfléchir réellement » dont parle Charles Brunet. L’artiste visuelle Olivia Boudreau, par exemple, a vu l’effet inverse se produire. Malgré le confinement, ses démarches et projets n’ont pas été particulièrement retardés ; elle a réussi à soumettre des demandes de subventions pour ses oeuvres, à envoyer une demande à l’organisme Fogo Island Arts — une retraite pour artistes contemporain‧e‧s située à Terre-Neuve — et à terminer avec Évelyne de la Chenelière la réécriture de son film.
S’il y a un impact quelconque de la pandémie, c’est dans deux ans que je vais le voir.
Toutefois, lorsqu’est venu le temps d’envisager de nouvelles créations, le problème était tout autre : « Je dirais que ce qui était le plus difficile dans le contexte, […] c’était l’amorce de nouveaux projets, puisque c’est ce qui demande le plus d’espace, le plus de temps et le plus de solitude. Ce que je n’avais pas ! » Mère de deux enfants, Olivia n’a en effet pas pu avoir de moments seule.
« S’il y a un impact quelconque de la pandémie, c’est dans deux ans que je vais le voir », souligne-t-elle. En effet, si les projets actuels tiennent encore bien la route, cela ne garantit pas que les projets à venir ne seront pas retardés. « Comme artiste, il faut toujours travailler en prévision des deux, trois, quatre, voire cinq prochaines années. C’est comme ça qu’on survit, ou du moins qu’on fait vivre la pratique. »
Repenser le milieu artistique
Selon certain‧e‧s artistes, la pandémie et ses remous auront au moins eu le mérite de nous faire réfléchir sur la valeur de la culture et sur la manière dont les artistes réussissent à faire vivre leur art. Daniel Brière est d’avis qu’il faut repenser le rapport que nous entretenons avec la culture. Il déplore notamment que, dans les dernières années, le milieu soit progressivement devenu une « industrie ». Il mentionne par exemple que les petits théâtres comme le sien doivent constamment « organiser des soirées bénéfices et aller cogner aux portes des grandes entreprises. »
« On devient un peu des quêteux auprès d’entreprises, qui, au fond, ne cherchent qu’à s’associer à des noms qui sont prestigieux », affirme Daniel Brière.
Pour lui, le gouvernement devrait jouer un rôle plus actif dans le financement de la culture. Des entreprises comme le NTE, qui subsistent en ce moment grâce à l’aide intéressée d’entreprises privées, devraient pouvoir bénéficier de suffisamment de fonds publics pour être aptes à continuer leurs activités sans avoir à être au crochet de la philanthropie. Les artistes pourraient alors vraiment se concentrer sur ce qui les intéresse : la création.
Daniel Brière dit vouloir s’inspirer de ce qui se fait en France en matière de soutien aux artistes du milieu du spectacle. Là-bas, les artistes bénéficient d’une « intermittence » — une allocation-chômage temporaire — lorsqu’il‧elle‧s ne travaillent pas. Selon lui, cette mesure qui existe pour pallier à l’instabilité des artistes qui doivent passer de tournage en tournage ou de spectacle en spectacle pourrait se répliquer au Québec. Malheureusement, il ne croit pas que la culture sera au centre des priorités gouvernementales dans les prochaines années, surtout à cause des difficultés budgétaires auxquelles le gouvernement fera immanquablement face.