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On ne conserve pas un héritage en emprisonnant son porteur

Critique des suggestions mal fondées de Frédéric Bastien à l’égard de la Faculté de droit de McGill. 

Vincent Copti | Le Délit

En réponse à la polémique concernant la place du droit civil québécois dans la Faculté de droit de l’Université McGill, Frédéric Bastien, aspirant chef péquiste, a proposé d’interdire l’accès au Barreau du Québec aux diplômés de McGill. En tant qu’étudiant actuel à cette Faculté, je voudrais offrir quelques précisions.

C’est sur Facebook que M. Bastien a tout d’abord prétendu que le départ du professeur Vincent Forray priverait McGill de son dernier chercheur civiliste qualifié. Cependant, McGill compte actuellement plusieurs professeurs civilistes, dont Fabien Gélinas, Helge Dedek, Yaëll Emerich, Rosalie Jukier, Lara Khoury et Pierre-Emmanuel Moyse. Certains d’entre eux ont écrit des œuvres fondamentales, tels que la professeure Khoury en ce qui concerne la preuve de causalité avec son œuvre primée Uncertain Causation in Medical Liability (2006). Également, le doyen de la Faculté, Robert Leckey, est un ancien professeur civiliste spécialisé en droit de famille. Or, même si l’Université a vécu dans les dernières années le départ de certains professeurs civilistes de renom, il est inexact de prétendre que McGill n’aura pas la capacité de faire des recherches en droit civil.

Bastien a ensuite poursuivi son message en se référant à l’opposition du doyen Leckey à la loi 21 et au soutien de ce dernier au multiculturalisme officiel et à la Charte canadienne des droits et libertés. Tout d’abord, il n’est pas surprenant qu’un doyen d’une faculté de droit au Canada soutienne deux piliers de la Constitution canadienne. De plus, même si je ne partage pas nécessairement l’avis du doyen à propos de la loi 21, je doute qu’il soit approprié de pénaliser la Faculté pour les opinions juridiques de ses membres. La dissidence, une condition essentielle du débat, est protégée par la Charte québécoise.

Finalement, M. Bastien s’est engagé à reformuler l’admission au Barreau afin d’exclure les universités « insuffisamment civilistes ». À la réaction de Me Lowrie, un diplômé de McGill, qui lui a souligné que les étudiants de McGill ont des taux de réussite à l’examen du Barreau supérieurs à ceux de l’Université d’Ottawa, de l’UQAM et de l’Université Laval, M. Bastien a répondu que les étudiants de McGill seraient capables de réussir même avec une formation en anthropologie, étant « intelligents, cultivés et disciplinés ».

Alors, quelques questions se posent : les étudiants de McGill sont-ils si extraordinaires qu’ils pourraient surpasser leurs homologues sans aucune formation juridique ? Si devenir avocat ne nécessite aucune formation juridique, quelle est la pertinence des facultés de droit ? Finalement, quelles preuves démontrent que McGill offre une formation aussi déconnectée du droit québécois qu’un quelconque programme d’anthropologie ?

Au lieu de supposer que les étudiants de McGill peuvent mystérieusement apprendre en quelques mois ce que leurs collègues ont appris en trois ans, il est tout simplement possible d’admettre que McGill offre une formation juridique adéquate. Certainement, la formation qu’offre McGill n’est pas aussi axée sur le droit civil que celle de l’Université de Montréal, tout comme son instruction de la common law n’est pas aussi approfondie que celle de l’Université de Toronto. Le but de l’éducation transsystémique est d’apprendre les deux traditions juridiques simultanément ; évidemment, il est impossible d’y avoir la même immersion que l’on aurait si l’on n’apprenait que l’une d’elles. Cependant, l’on peut tout de même observer les points communs et les grandes différences entre la structure, la logique et la méthodologie des deux traditions. Ainsi, l’on peut formuler des arguments, des moyens juridiques et des doctrines qui fonctionnent tant dans le droit civil que dans la common law, tout comme l’ont fait deux diplômés de McGill dans l’affaire de la Cour suprême Churchill Falls c. Hydro-Québec.

Certes, l’on peut débattre de l’efficacité de ce bijuridisme, mais vouloir fermer le Barreau aux étudiants de McGill sous prétexte qu’ils ne sont pas des civilistes purs est un non-sens. Le Québec n’est pas une juridiction purement civiliste ; son droit public et son droit procédural sont principalement fondés sur la common law. C’est entre autres ce mélange juridique et l’influence des juridictions de common law qui nous entourent qui ont permis au Québec de recevoir l’action collective du droit étasunien, soit la capacité de se regrouper afin de poursuivre un concitoyen ou une société collectivement. Ce moyen procédural, qui a déjà été utilisé par les consommateurs et les victimes d’agression sexuelle, entre autres, contre des groupes et des sociétés beaucoup plus riches et puissants qu’eux, ne vient pas du droit civil québécois, mais bien d’un arrêt de la Cour suprême des États-Unis.

La proposition de M. Bastien n’est rendue nécessaire ni par l’état actuel de ma faculté ni par la réalité juridique québécoise. Et certainement pas par le désaccord politique de M. Bastien avec le doyen. Il n’y a aucun doute que l’héritage civiliste de McGill est une partie importante du patrimoine juridique du Québec et qu’il est digne de protection. Également, il est raisonnable que le départ de certains professeurs civilistes célèbres soit la cause d’appréhension à cet égard ; cependant, la proposition de M. Bastien n’ajoute rien à ce débat et serait plus nocive que protectrice pour le porteur de cet héritage.

 


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