Le premier débat présidentiel opposant Joe Biden à Donald Trump aura lieu ce mardi 29 septembre. Dans le cadre de cette étape importante de la campagne électorale américaine, nous avons demandé aux lecteurs du Délit de nous soumettre leurs questions sur le fonctionnement des élections, par le biais de notre compte Instagram. Dans cette série de trois articles, nous tenterons de répondre à vos questions sur les éléments rudimentaires du processus électoral américain. Au menu aujourd’hui : collège électoral, swing states (États pivots) et bipartisme.
Question 1 : Comment fonctionnent les élections américaines ?
La réponse très (très) courte
Les Américains votent pour dire à 538 personnes qui choisir comme président.
La réponse courte
On attribue un nombre de « grands électeurs » à chaque État, en fonction de sa population (par exemple, la Californie en compte 55 pour 39,5 millions d’habitants, alors que le Wyoming en compte 3 pour environ 600 000 habitants). En tout, il y a 538 grands électeurs. Lorsqu’un candidat obtient le plus grand nombre de votes dans un État, il récolte TOUS les grands électeurs associés à cet État. Le premier qui en obtient 270 (soit la moitié de 538 + 1) devient président des États-Unis.
La réponse longue
Attachez vos tuques parce que c’est un peu compliqué tout ça !
Le 3 novembre prochain, lorsque les électeurs se rendront aux urnes (ou, plus vraisemblablement, enverront leurs bulletins de vote par la poste), ils choisiront certes leur président, mais aussi leurs représentants et certains sénateurs au Congrès de Washington, D.C. La même journée, ils éliront aussi plusieurs autres élus locaux, tels que des gouverneurs, des représentants au Capitole de leur État, des maires et même des juges.
Les élections les plus couvertes par les grands médias nationaux sont celles concernant les élus au Congrès (Chambre des représentants et Sénat) et à la Maison-Blanche, et c’est donc sur celles-ci que nous nous concentrerons ici.
Le Congrès
Les 435 représentants à la Chambre (l’équivalent des députés au Québec et au Canada) ont des mandats d’une durée de deux ans et tous les sièges feront l’objet d’une élection en 2020. Les États se voient attribuer un nombre de représentants relatif à leur population. Par exemple, la Californie et le Texas, les deux États les plus populeux, ont respectivement 53 et 36 représentants, alors que les six États les moins populeux, soit l’Alaska, le Dakota du Nord, le Dakota du Sud, le Delaware, le Montana, le Vermont et le Wyoming, n’ont chacun qu’un seul représentant à la Chambre.
Les représentants sont élus dans leurs districts lors de courses locales, de la même manière que les députés sont élus dans des circonscriptions lors des élections canadiennes et québécoises. À ce jour, les démocrates contrôlent cette Chambre, avec 232 sièges, contre 198 pour leurs adversaires républicains. Vous remarquerez qu’il manque cinq sièges pour arriver au total de 435. De ces cinq sièges manquants, quatre sont vacants et l’autre est tenu par un ex-républicain du Michigan devenu libertarien qui ne se représentera pas aux prochaines élections. Pour obtenir une majorité à la Chambre des représentants, un parti doit donc être élu dans 218 districts électoraux.
Les sénateurs, eux, ont des mandats de six ans, avec des élections intercalées tous les deux ans ; le tiers des sièges seront donc en jeu en 2020. Chacun des 50 États compte deux sénateurs, peu importe la taille de sa population. 35 sièges seront en jeu en novembre, dont 23 qui étaient précédemment tenus par des républicains et 12 par des démocrates. Les républicains contrôlent présentement le Sénat, avec 53 sièges, alors que les démocrates en détiennent 45. La différence est comblée par deux sénateurs indépendants, qui appuient généralement les démocrates, dont un certain Bernie Sanders du Vermont. Pour obtenir une majorité des sièges en 2020, et donc le contrôle du Sénat, les démocrates se doivent donc de remporter trois ou quatre sièges supplémentaires, en plus de conserver ceux qu’ils ont déjà.
La présidence et le collège électoral
Les présidents sont choisis tous les quatre ans. 2020 est une année d’élection présidentielle. Joe Biden, candidat démocrate, a été sénateur du Delaware pendant 36 ans, puis vice-président sous Barack Obama pendant l’entièreté de ses 8 ans au pouvoir. Il sera opposé à Donald Trump, magnat de l’immobilier new-yorkais, vedette télévisuelle et plus récemment 45e président des États-Unis d’Amérique (en avez-vous entendu parler ?). Il est candidat républicain pour une deuxième élection consécutive.
Aux États-Unis, le système pour élire le président est construit autour du « collège électoral ». Essentiellement, les électeurs (monsieur et madame Tout-le-Monde) ne votent pas directement pour le président, mais indiquent plutôt à des « grands électeurs » comment ils devront voter lors du scrutin « officiel », qui se tient quelques jours plus tard à Washington, D.C. Le « collège électoral » désigne de ce fait l’ensemble des grands électeurs. Généralement, ce protocole n’est qu’une formalité administrative et relève plus de la relique historique que de la vraie prise de décision.
Ce système remonte à la fondation du pays, au 18e siècle, alors que les moyens de transport et de communication étaient pour le moins rudimentaires. Ainsi, il était plus facile de tenir des élections locales, puis d’envoyer un représentant à cheval vers la capitale pour transmettre le résultat. Malgré les progrès technologiques accomplis depuis cette époque lointaine, cette façon rocambolesque et ardue de procéder persiste à ce jour.
Les grands électeurs sont au nombre de 538, et sont répartis selon les sièges qu’un État compte au Congrès. Par exemple, la Californie, qui cumule 53 représentants et deux sénateurs, a donc 55 votes pour choisir le prochain président. À l’opposé, un État comme le Wyoming obtient trois grands électeurs, car il a deux sénateurs, comme tous les autres États, mais un seul représentant à la Chambre. Autrement dit, pour obtenir les 55 votes associés à la Californie, il faut être la personne ayant récolté le plus de votes dans l’État.
À noter qu’il arrive souvent que le gagnant de l’État n’ait même pas obtenu la majorité des votes. Par exemple, lors de la dernière élection présidentielle, en 2016, Trump a obtenu 47,50% des votes au Michigan, alors que Hillary Clinton en a récolté 47,27%, une différence de moins de 11 000 électeurs. Le Parti libertarien (environ 3,6%), le Parti vert (environ 1%) et certains indépendants se sont séparés le reste des votes. Malgré tout, Donald Trump a remporté l’entièreté des 16 grands électeurs de cet État, ce qui a contribué à sa victoire.
Si vous additionnez le nombre de sièges à la Chambre des représentants (435) et au Sénat (100), vous remarquez qu’il nous manque trois pour arriver au nombre de 538 cité plus haut. C’est que, depuis 1964, le District de Columbia, où est située la capitale Washington, compte trois grands électeurs. En conclusion, vous comprendrez que pour gagner la présidence, un candidat doit obtenir le vote de la moitié de ces 538, soit 270, chiffre magique à retenir tout au long de la course.
Question 2 : Pourquoi est-ce que les élections américaines sont aussi compliquées ?
La réponse courte
Chez notre voisin du Sud, chaque État est libre de choisir comment se déroulent les élections sur son territoire. Les élections de novembre sont donc en fait de multiples petites élections simultanées.
La réponse un peu plus longue
Organiser une élection à la grandeur des États-Unis est une tâche colossale, qui nécessite des milliers d’espaces de vote, d’employés et de bénévoles, ainsi qu’une orchestration logistique incroyable. Contrairement à la situation au Québec ou au Canada, où une seule organisation centrale gère le processus électoral, ce sont près de 8000 organisations qui gèrent les élections en suivant des lois différentes dans les 50 États américains.
C’est que chaque État a le pouvoir de légiférer sur la façon dont se déroule le vote sur son territoire, par exemple sur l’admissibilité des électeurs, la façon d’attribuer les grands électeurs pour l’élection présidentielle, la façon de désigner le candidat d’un parti (lors de ce que l’on appelle les « primaires »), le financement des partis politiques, etc. Forcément, toutes ces règles différentes, adoptées par des États qui ne se concertent pas, complexifient grandement le processus électoral.
Question 3 : On entend souvent parler des swing states, c’est quoi ?
La réponse très (très) courte
C’est des États pour lesquels l’issue du vote est plus imprévisible.
La réponse un peu plus longue
Maintenant que vous savez comment fonctionne le système électoral américain, il est plus simple de vous expliquer ce qu’est un swing state (plusieurs préfèrent les termes « État clé » ou « État pivot » en français).
Élection après élection, la plupart des États votent toujours pour le même parti. Or, certains États votent parfois bleu (démocrate) et parfois rouge (républicain), d’où une autre appellation : purple state. La course présidentielle se joue dans cette poignée d’États clés, car les résultats électoraux de ceux-ci déterminent de quel côté penchera la balance. Or, puisque la course présidentielle est généralement très serrée, c’est dans ces États que se joue toute l’élection. Pour 2020, on mentionne généralement l’Arizona, la Caroline du Nord, la Floride, le Michigan, l’Ohio, la Pennsylvanie, et le Wisconsin. Il faudra aussi surveiller la Géorgie et le Texas, deux États avec une forte tradition républicaine, mais que le démocrate Joe Biden, présentement en avance dans les sondages nationaux, a dans sa mire.
Il va sans dire que la campagne sera concentrée dans cette poignée d’États clés, d’autant plus que la pandémie limite le nombre de rassemblements et les déplacements. Plus que jamais, les swing states seront l’objet de convoitise.
Question 4 : Pourquoi y a‑t-il seulement deux partis ? Pourquoi n’y en a‑t-il pas plus ?
La réponse très (très) courte
Parce que le système politique américain pousse naturellement vers la formule du bipartisme.
La réponse courte
Puisqu’il serait très difficile, voire impossible, pour un candidat issu d’un troisième parti de remporter la présidence, les électeurs se rabattent nécessairement sur un des deux partis principaux pour que leur vote ne soit pas « gaspillé ». Les tentatives de mise en place d’un tiers parti solide et crédible ont été nombreuses au fil des ans, mais ont toujours fini par être infructueuses.
La réponse longue
En vérité, aucune loi n’oblige quiconque à voter pour un des deux grands partis, soit le Parti républicain et le Parti démocrate. Il existe d’ailleurs plusieurs tiers partis, nommément le Parti libertarien et le Parti vert, mais tous les deux ne peuvent pas se comparer, autant en nombre de membres qu’en votes exprimés, aux deux géants.
C’est en fait la nature du système électoral américain qui favorise la mise en place de deux grands partis. Aux États-Unis, ce sont les États qui choisissent individuellement les modalités du vote sur leur territoire. Ainsi, 48 des 50 États ont adopté un système dit winner-take-all, c’est-à-dire qu’un candidat qui obtient la majorité (plus de 50%) des votes exprimés gagne en pratique la totalité des grands électeurs associés.
Ainsi, pour qu’un tiers parti remporte un État, il faudrait qu’il dépasse à la fois les démocrates et les républicains, ce qui ne semblera pas arriver de sitôt. Puis, il faudrait répéter ce scénario dans plus d’une dizaine d’autres États pour avoir ne serait-ce qu’une mince chance de remporter la présidence. Autant dire que les embûches seraient nombreuses sur la route de la victoire.
De plus, les élections américaines sont un grand cirque et le billet de participation est très dispendieux. Aussi bien dire que seuls les deux grands partis, avec des centaines de milliers de petits et grands donateurs, une machine électorale bien huilée dans toutes les régions du pays et des milliers de bénévoles, peuvent envisager de mener à bien cette course.
Le jour du vote, un électeur se dit probablement qu’il vaut mieux se rallier à un des deux grands partis, même si aucun ne partage ses positions sur tous les enjeux, plutôt que d’appuyer un candidat émergent qui le représente sous tous les aspects, car ce dernier n’a aucune chance d’être élu. Les détracteurs diront que l’on vote donc souvent par dépit, en choisissant le moins pire parmi les candidats, alors que les apologistes diront que cela démontre la force du compromis qui caractérise l’Amérique.
C’est à Cleveland, en Ohio, sur le campus de la Case Western Reserve University que se déroulera le premier débat présidentiel. L’Ohio est un swing state : en 2016, Trump avait remporté l’État par une marge plus de 8%, et a donc récolté les 18 votes de grands électeurs associés à cet État, alors que cette année, les deux candidats sont à égalité statistique. - Image par Stephen Leonardi sur Unsplash