Elle est nombreuse et plurielle, cette littérature d’ici et d’ailleurs. Pour la rendre grandiose, allumée et vivante, le Festival international de la littérature (FIL) réitère son mandat pour une 26e édition ; celui d’offrir à nos intérêts littéraires des espaces variés pour s’exprimer. Véritable « bibliothèque vivante », le FIL offre cette année aux festivalières et festivaliers une programmation tout à fait audacieuse, à la fois en salles, à l’extérieur et en ligne.
Pour l’instant, voici un retour sur l’un des événements marquants de cette grande fête des mots, la projection du vidéo poème Si je reste de Queen Ka.
Guillaume Briand
Le mercredi 23 septembre, à ma sortie du cabaret Lion d’Or, une femme me demande si je peux la diriger vers le métro le plus proche. Elle me demande si j’ai apprécié le vidéo poème que je viens de voir. Il s’agit d’une représentation du film Si je reste de l’artiste Elkahna Talbi alias « Queen Ka ». En marchant vers le métro avec la dame, je m’aperçois qu’elle est la tante de l’artiste. La fierté dans son regard lorsqu’elle me parle du travail de sa nièce est palpable et ce, malgré le court trajet que je parcours avec elle.
En effet, il y a de quoi être particulièrement fière : peu d’artistes sont en mesure de juxtaposer la musicalité de la langue et la puissance visuelle avec autant de verve que l’artiste Queen Ka dans Si je reste. On ressort de cette expérience avec la double impression d’avoir à la fois assisté à une exposition d’art visuel et d’avoir achevé la lecture d’un recueil poétique ; toutes deux construites avec justesse et panache. C’est d’ailleurs tout l’art qui se cache derrière le concept du vidéo poème ; arriver à rendre plus vivant, à l’aide d’attraits visuels ou musicaux, la poésie qui se résumerait autrement à des mots couchés sur papier.
Si je reste est une œuvre qui opère en triptyque : elle se déploie dans un univers où le passé, le présent et le futur semblent se répondre et répondre à la poétesse. L’œuvre donne à voir les erreurs du passé dans la première partie, la rêverie du présent dans la deuxième et l’espoir d’un avenir meilleur dans le segment final.
Chute
Dès les premiers instants, l’œuvre nous transporte dans un univers visuel minimaliste imaginé par Guillaume Vallée. Le visuel en vient à se fusionner aux propos de manière habile ; le public peut notamment voir une sorte de parasitage constant à l’écran qui semble former une empreinte gigantesque. Ceci incarnerait possiblement la tendance de l’Humanité à faire mourir ou à parasiter tout ce qu’elle touche. L’œuvre tente probablement de véhiculer que l’égo monstrueux de l’humain voulant laisser sa trace sur le monde est en train de causer sa chute. Or, ce parasitage, c’est peut-être aussi notre inaptitude à communiquer pour trouver des solutions. Une sorte de statu quo cauchemardesque parasitant la suite du monde. Les mots de la poétesse semblent également abonder en ce sens.
Rêve
D’ailleurs, dans la partie intitulée Le rêve, tout juste après celle qui est intitulée, justement, La chute, on assiste à une énumération de plusieurs espèces animales désormais éteintes. Il s’agit d’une longue liste qui nous pousse à une réflexion sur la responsabilité d’action et qui nous donne à voir toutes les espèces animales qui sont, en quelque sorte, piétinées sous nos empreintes. Les images de cette partie, créées par Yonkers Vidal, donnent à voir de sublimes agencements de couleur qui agissent dans l’espace de façon chaotique et qui pourraient s’apparenter à des réactions chimiques ou encore à des éruptions solaires.
Réenchantement
« Il s’agit d’un véritable appel époumoné de l’artiste qui tend vers un amour du collectif et un délaissement de l’individualisme »
Le message de l’artiste ne s’arrête pourtant pas à la prise de conscience et de responsabilité passive : la responsabilité se trouve aussi dans les actions face à ce constat d’échec. Sartre écrivait dans L’existentialisme est un humanisme : « Et, quand nous disons que l’homme est responsable de lui-même, nous ne voulons pas dire que l’homme est responsable de sa stricte individualité, mais qu’il est responsable de tous les hommes. Quand nous disons que l’homme se choisit, nous entendons que chacun d’entre nous se choisit, mais par là nous voulons dire aussi qu’en se choisissant il choisit tous les hommes. » La partie finale de l’œuvre est axée sur le réenchantement. Il s’agit d’un véritable appel époumoné de l’artiste qui tend vers un amour du collectif et un délaissement de l’individualisme. Elle tente de raviver la flamme de l’humanité, car, selon ses mots, « nous avons oublié comment construire un feu ».
En ce qui concerne la trame sonore qui accompagne le tout, elle se marie bien aux différentes parties tout en restant très minimaliste. C’est une sorte de transe qui guide vers le propos plutôt que de nous y engager de force.
En ce sens, Si je reste est l’un des vidéo poèmes les plus aboutis qu’il m’ait été donné de voir. Le Festival international de la littérature débute sa première semaine avec une œuvre pluridisciplinaire des plus réussies. S’il est vrai qu’il faut que nous restions, que nous agissions dans le monde, il est aussi vrai que les paroles de Queen Ka restent avec nous. Longtemps après les avoir entendues.
D’ailleurs, il est possible, et ce, jusqu’au 4 octobre, de visionner sur la plateforme numérique du FIL quatre extraits de romans québécois, lus par des comédiennes talentueuses. Cet événement numérique intitulé Les inoubliés du printemps se veut un diachylon culturel pour faire front à la pandémie. Nous vous encourageons donc à visionner ces extraits sur le site du FIL. Les voix de ces comédiennes resterons avec vous de la même façon.