Chicoutimi, la ville d’où je viens, ressemble à certains égards à Montréal… en bien plus petite évidemment. Tout comme Montréal, c’est une ville universitaire. Marcher dans certaines rues de la ville donne l’impression de déambuler dans Villeray ou bien sur Le Plateau. On a de beaux autobus hybrides qui sillonnent nos rues et de nouvelles infrastructures pour les usagers et usagères du transport collectif. Nous avons un Vieux-Port, un nombre démesuré de clochers, des destinations culturelles incontournables, etc. Chicoutimi a même son propre studio d’Ubisoft, c’est pour dire ! Toutefois, les comparaisons doivent s’arrêter ici. Montréal, c’est la métropole du Québec et Chicoutimi, c’est le cœur du Saguenay-Lac-Saint-Jean, une région à l’image de tant d’autres, c’est-à-dire ces territoires immenses où l’on regarde la transition économique comme un obstacle difficilement surmontable pour bien des raisons, notamment à cause du manque de volonté gouvernementale.
En février dernier, un peu avant le début de la pandémie, quelques moralisateurs et moralisatrices estampillé·e·s Québec Solidaire (QS) se sont transporté·e·s directement à Chicoutimi pour apprendre en grande primeur à la population la plus concernée par GNL Québec qu’elle s’opposait au projet. Ce n’est pas une surprise, me direz-vous. Pour des yeux extérieurs, Énergie Saguenay n’est qu’un projet comme un autre dans la grande lignée des initiatives pétrogazières auxquelles s’opposaient majoritairement les Québécois·es, comme les gaz de schiste dans les années 2000 et le gazoduc Énergie Est plus récemment. Comme toujours, la réalité est un peu plus nuancée.
Un projet controversé
Pour ceux et celles qui ne savent pas ce qu’est GNL Québec, il s’agit d’un projet d’usine de liquéfaction au Saguenay alimentée par un gazoduc en provenance de l’Ouest pour l’exportation du gaz naturel liquéfié (GNL) sur les marchés internationaux via la voie maritime du Saguenay-Saint-Laurent. Si le projet bénéficie d’un préjugé positif chez la population et certaines élites locales, ce n’est pas uniquement parce que le holding américain derrière Énergie Saguenay achète à gros prix de l’acceptabilité sociale en payant de la publicité massive à la radio, à la télé, dans les journaux, etc., ou bien parce que l’entreprise présente son projet comme étant écoresponsable, vert et instigateur de transition (ce qu’il n’est évidemment pas), ce qui préoccupe les gens du Saguenay-Lac-Saint-Jean comme partout ailleurs au Québec.
Si une partie de la population a un préjugé favorable à GNL Québec, c’est tout simplement parce qu’il y a des promesses d’emplois au bout du compte
Au niveau économique, notre région est à la croisée des chemins. De nouveaux créneaux apparaissent, comme Ubisoft, que je mentionnais plus haut. Le secteur tertiaire occupe la place prépondérante comme dans une majorité de régions, mais le Saguenay Lac-Saint-Jean demeure fortement dépendant de quelques gros monopoles industriels, comme Rio Tinto, qui sont encore parmi les plus gros employeurs de la région, autant pour les emplois directs que pour la sous-traitance dans des entreprises aux vocations connexes. C’est louable de souhaiter des emplois verts dans des secteurs où nous aurions le contrôle ainsi que dans une économie québécoise intégrée entre chaque région, mais si une partie de la population a un préjugé favorable à GNL Québec, c’est tout simplement parce qu’il y a des promesses d’emplois au bout du compte. Le besoin urgent de diversification de l’économie, de nouveaux emplois et de transition fait croire à beaucoup de personnes que GNL Québec est une solution alors qu’elle ne l’est pas.
Ce que les parachuté·e·s de QS n’ont probablement pas encore saisi de manière nuancée, c’est que bien que ce soit joli, l’observation du béluga sur un bateau et la détente sur les plages sablonneuses du Lac-Saint-Jean, ça ne fait pas vivre son monde. GNL Québec est un projet exécrable dont le seul débouché serait une altération considérable des milieux de vie humains et naturels.
C’est une nécessité de s’opposer aux projets polluants comme GNL. Faut-il pour autant faire fi de la réalité socio-économique vécue par les travailleurs et travailleuses ? Non. La gauche se coupe les ailes en agissant ainsi. Les propos marketing tels que « des emplois verts » ne donnent rien s’ils ne sont qu’une arrière-pensée visant à se donner bonne conscience auprès des « gens de région ». La volonté de transition doit se traduire par une posture d’écoute et non pas par une négation de la réalité. Mais bon, c’est vrai qu’une image d’un mignon béluga fera lever les foules forcément plus que celle d’un travailleur exploité et soumis à l’entreprise internationale dans son propre pays du Québec.
Quelles alternatives ?
Alors, que faire ? Existe-t-il des alternatives réelles à GNL Québec qui pourraient générer de l’emploi ? Déjà, il faut démystifier une chose : le développement de l’économie ne se réalise pas sous la forme d’un tout inclus comme on mange une table d’hôte au restaurant. En ce sens, il ne faut pas attendre de gros projets qui joueraient le rôle d’un messie.
Nombreux sont les créneaux qui permettraient de faire prospérer l’économie du Saguenay-Lac-Saint-Jean dans le bon sens : les microbrasseries qui sont déjà bien présentes dans la région, le secteur vidéoludique qui ne cesse de croître un peu partout au Québec tout comme l’économie collaborative. Nous sommes toutefois encore face à des problèmes structurels persistants dans l’économie québécoise. Nous devons nous défaire graduellement de notre immense dépendance aux capitaux étrangers, représentés par des projets d’investissements de la trempe de GNL. Il doit exister une réelle intégration de l’économie entre les régions, qui ne seraient plus simplement des pôles isolés spécialisés dans un secteur particulier et avec comme seul possibilité d’échange des marchés pour les bienfaits du secteur secondaire américain. Lorsque le gouvernement ne sera plus dirigé par les amis de l’institut économique de Montréal et qu’il redeviendra friand de l’investissement payant pour la société québécoise, nous pourrons briser les barrières qui nous empêchent de moderniser notre économie pour que les projets polluants comme GNL Québec n’apparaissent plus comme la seule solution pour plusieurs personnes.