Après avoir répondu à vos questions sur les rouages du processus électoral et sur les enjeux amenés dans le tourbillon électoral par la pandémie, nous terminons cette série spéciale sur les élections américaines de 2020 en abordant le cas du candidat démocrate Joe Biden. À ce moment de la campagne, Donald Trump tire assez solidement de l’arrière dans les sondages. En dehors de leurs différends sur les politiques publiques à mettre en place, qu’est-ce qui pourrait désavantager Joe Biden le 3 novembre prochain ?
Qu’est-ce qui joue en la défaveur de Joe Biden ?
La réponse très (très) courte
Beaucoup de choses que l’on reproche aussi à Donald Trump.
La réponse courte
Pour ses rivaux, Biden est considéré comme trop vieux et trop désarçonné pour devenir président. De surcroît, des scandales de racisme, d’agression sexuelle et de népotisme ont refait surface durant la campagne.
La réponse longue
Les élections américaines, et plus particulièrement celles de cette année, reposent énormément sur les apparences. Ainsi, cette réponse ne cherchera pas à approfondir les failles des promesses du politicien Biden, mais se concentrera plutôt sur les défauts les plus partagés et ostentatoires du candidat Biden. Il faut aussi noter que l’issue d’une élection aux États-Unis est le résultat de nombreuses stratégies géographiques, comme le découpage électoral partisan (gerrymandering), qui permet aux législatures des États américains de redécouper les circonscriptions électorales.
Il est vieux, bègue et maladroit.
Surnommé « Sleepy Joe » par son rival, Joe Biden deviendrait le plus vieux président de l’histoire des États-Unis s’il était élu le 3 novembre, atteignant les 78 ans lors de son investiture.
De plus, Joe Biden a souffert toute sa vie de bégaiement, ayant même été surnommé « tête de bègue » (« Stutterhead ») durant son enfance. Le président Trump, par son attitude intimidatrice lors des débats présidentiels et sur les réseaux sociaux, semble montrer peu d’indulgence face à cette situation. En 2019, l’ancienne porte-parole de la Maison-Blanche Sarah Huckabee Sanders s’était moquée du bégaiement de Biden sur Twitter, mais s’est ensuite excusée et a retiré la publication. Aujourd’hui, le bégaiement commence graduellement à être souligné comme une force et une preuve de la persévérance du candidat.
De surcroît, l’aspect maladroit de Joe Biden, remarqué depuis de nombreuses années, n’aide pas la situation. Entre autres gaffes, Joe Biden a déjà invité en 2008 un sénateur à se lever afin que la foule puisse le voir. Seul problème : le sénateur est paraplégique. En 2010, en racontant une anecdote en présence du premier ministre irlandais, Biden a confondu lequel des parents du premier ministre est mort, adressant un « Dieu bénisse son âme » par rapport à sa mère, alors que le défunt était le père.
Joe Biden se considère lui-même comme une « machine à gaffes », mais affirme que c’est une « une chose incroyable comparativement à un gars qui ne peut pas dire la vérité ». Or, il va sans dire que l’addition de l’âge, de la situation de bègue et de la maladresse de Joe Biden multiplie les attaques qu’effectuent les rivaux du candidat à son égard.
Biden, un « idiot raciste » ?
Le long passé politique de Joe Biden, et plus particulièrement sa vice-présidence de 2008 à 2016 sous Obama, peut à certains égards être considéré comme un grand avantage pour sa candidature. Or, ce long passé se voit miné par des déclarations et prises de position pouvant affecter sa candidature aujourd’hui, notamment en ce qui a trait à l’avortement et à la guerre d’Irak. De toutes ses déclarations controversées, ce sont celles sur la question du racisme anti-noir qui hantent le plus Joe Biden.
Il y a une cinquantaine d’années, Biden s’est exprimé en faveur, puis en défaveur du « busing », une méthode de « déségrégation raciale » qui consiste à intégrer des élèves noirs dans les écoles publiques urbaines afin de trouver une « balance raciale » dans les classes. Cette mesure s’est avérée inefficace et sa logique largement critiquée, les parents blancs décidant d’envoyer leurs enfants dans des écoles privées ou déménageant dans les banlieues, qui à cette époque étaient en grand développement.
En s’opposant finalement au busing, Biden s’est joint à deux sénateurs connus pour leurs positions ségrégationnistes. Lors des débats à la chefferie démocrate, ce revirement a été critiqué par la candidate démocrate Kamala Harris, qui a vécu le processus de busing lors de son enfance. Il faut croire que cette attaque a porté fruit pour Harris, qui est désormais candidate à la vice-présidence.
La déclaration à laquelle se colle le camp Trump est plutôt celle en lien avec la soumission d’une loi anti-criminalité en 1994. Trump prétend que Biden aurait qualifié les Américains noirs de « superprédateurs ».
Selon de nombreux médias, le terme « superprédateurs » est attribuable à Hillary Clinton, candidate aux présidentielles de 2016, et ne désignait pas explicitement les Américains noirs. Biden aurait plutôt utilisé le terme « prédateurs », encore une fois sans viser spécifiquement un groupe sociodémographique.
Cette loi est une fierté pour Biden, qui souligne qu’elle a permis de remettre de l’ordre dans les zones urbaines. Or, elle se voit largement critiquée aujourd’hui, puisqu’elle aurait permis l’incarcération de masse aux États-Unis, et plus particulièrement à l’égard des Américains noirs.
Biden s’est longtemps vu assez confiant d’obtenir les faveurs de l’électorat noir, ayant même déjà déclaré cette année que les Noirs votant pour Trump « ne sont pas noirs », une déclaration pour laquelle il s’est plus tard excusé. Ironiquement, cette situation a joué en sa défaveur et a mené à une dépréciation de sa candidature.
La revue The Economist se questionne ainsi en 2007 : « Joe Biden : idiot raciste, ou médiocrement retranscrit ? »
Des relations entre l’Ukraine et son fils ?
Dans l’horizon politique depuis de nombreuses décennies, Joe Biden est fustigé par de nombreux rivaux pour de supposées actions népotiques, et plus particulièrement envers son fils Hunter Biden. Une histoire révélée il y a quelques semaines est au cœur des attaques des Républicains.
À la mi-octobre, le tabloïd The New York Post dévoile avoir mis la main sur des courriels et documents appartenant à Hunter Biden. Dans son article sur le sujet, le New York Post avance notamment qu’un cadre de Burisma, une compagnie pétrolière et gazière basée en Ukraine, aurait remercié Hunter Biden de l’avoir invité à une rencontre à Washington en présence de son père. Le Post aurait mis la main sur ces documents par le truchement de l’avocat de Trump, Rudolph W. Giuliani, qui aurait reçu une copie du disque dur de Hunter Biden par un réparateur d’ordinateur s’étant occupé de l’ordinateur de Hunter.
Cet article se voit critiqué pour de nombreuses raisons. Il n’est pas du tout clair selon le reportage du Post si la rencontre a bel et bien eu lieu et, si oui, quand. De surcroît, des employés du Post remettent eux-mêmes en question l’authenticité des documents, selon le New York Times. Le camp Biden rejette le fait qu’une rencontre ait eu lieu tel que mentionné par le journal et rappelle par ailleurs que deux comités sénatoriaux (dirigés majoritairement par des Républicains) ont évalué qu’il n’y avait pas eu de manipulations de Joe Biden à l’égard de l’Ukraine. Finalement, Giuliani est peu reconnu pour son honnêteté et sa rigueur intellectuelle et a été accusé à de nombreuses reprises par le passé d’avoir menti aux médias.
Allégation d’agression sexuelle et attouchements inappropriés
Plus d’une fois, Joe Biden a effectué de manière publique des attouchements inappropriés envers des femmes de tous âges de manière publique, parfois accompagnés de « blagues de mononc’» souvent reçues avec un rire jaune.
Or, il est allégué qu’il soit allé encore plus loin en 1993 : une ancienne employée du bureau sénatorial de Biden accuse le candidat de l’avoir agressée sexuellement.
Biden, qui a pourtant longtemps témoigné de son soutien aux dénonciations d’inconduite sexuelle, nie ces allégations. Souvent perçu comme possible colistière de Biden, la représentante Stacey Abrams a, à l’instar de plusieurs démocrates, défendu Joe Biden. Une étude plus approfondie de la situation a été effectuée par le New York Times. Puisque le sujet est épineux, nous vous suggérons la lecture de cet article, afin que vous puissiez vous faire votre propre idée.
Accusé lui aussi de nombreuses agressions sexuelles, Donald Trump s’est avéré assez silencieux sur le sujet. Or, l’histoire a largement fait écho sur les réseaux sociaux et à l’international.
Pour en savoir encore plus sur les élections américaines du 3 novembre, nous vous invitons vivement à consulter ce document récapitulatif effectué par l’équipe de l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques. Nous vous invitons également à, si ce n’est pas déjà fait, aller consulter nos deux premiers articles sur les élections américaines parus les 29 septembre et 6 octobre derniers. Vous y trouverez, on l’espère, de plus amples réponses à vos questions !