Dans le cadre de son premier atelier Annie MacDonald Langstaff de l’année 2020–2021, le Centre pour les droits de la personne et le pluralisme juridique de McGill a invité, le 23 octobre dernier, la ministre de la Justice de la Namibie Yvonne Dausab. Sous la thématique du potentiel et de l’actuel pouvoir des femmes en droit, la ministre Dausab a répondu sur Zoom, en direct de la Namibie, aux questions de la candidate au doctorat en droit humanitaire international Vishakha Wijenayake, après une brève introduction par la professeure Shauna Van Praagh.
Les ateliers Annie MacDonald Langstaff, nommés en l’honneur de la première femme diplômée en droit au Québec, servent de forum aux membres de la communauté légale pour présenter le fruit de leurs recherches ou donner un aperçu de leur pratique sur des sujets relatifs aux femmes et au droit.
Militantisme et justice sociale
La discussion s’est entamée sous le thème de la justice sociale. Selon la ministre Dausab, la façon dont est mené ce « combat pour les gens ordinaires » dépendrait en grande partie de l’histoire individuelle et de l’environnement dans lequel a grandi tout·e activiste. Il serait essentiel de procéder de façon empathique dans son militantisme, et une reconnaissance de même qu’un certain sacrifice du privilège de l’activiste seraient de mise. La ministre a affirmé que tout·e militant·e se devait d’avoir une bonne connaissance du contexte actuel et historique des combats qu’il ou elle menait tout en demeurant empathique plutôt que hautain·e : l’activiste ne devrait jamais prétendre à un meilleur savoir que les personnes vivant concrètement les difficultés contre lesquelles il ou elle lutterait.
La ministre Dausab a parlé de son propre militantisme, affirmant que l’environnement dans lequel elle avait grandi – un environnement d’apartheid où sa famille n’avait pas de richesse matérielle – lui avait permis et lui permettrait encore de comprendre et de compatir avec les personnes ordinaires impactées par les politiques de son gouvernement. Être issue de ce milieu lui serait d’une grande aide dans ses décisions, tout comme le fait que nombre de ses proches vivent encore dans des conditions défavorisées : ces personnes approcheraient la ministre Dausab pour lui décrire des problèmes sociétaux persistants et lui proposer ouvertement des solutions, un avantage que n’aurait pas une personne issue d’un milieu privilégié. La ministre a affirmé que sa nature profonde était celle d’une activiste et que sa nouvelle responsabilité politique, depuis qu’elle a été nommée à son poste en mars dernier, serait une occasion de mettre en place les politiques pour lesquelles elle lutte depuis des années. Toutefois, ses responsabilités ministérielles ne l’empêcheraient pas de prendre la rue pour les causes lui tenant à cœur : il y a deux semaines, elle participait à une manifestation contre la violence sur la base du sexe et du genre en Namibie. « Militante un jour, militante toujours », a‑t-elle affirmé.
Impératifs et justice transformative
Interrogée sur l’importance de l’accès à la justice, la ministre Dausab a fait état de trois impératifs pour cette préoccupation, qui serait au coeur de sa pensée depuis qu’elle a été nommée à son poste. Le premier impératif serait de s’assurer que les tribunaux soient de bonne qualité, disponibles et accessibles. Le second impératif serait de garantir des ressources humaines accessibles et compétentes au sein des tribunaux, tant parmi la magistrature que les avocat·e·s plaidant·e·s. Le troisième impératif serait relatif à la jurisprudence que produisent les cours : il serait essentiel de créer une culture de justice réparatrice plutôt que punitive. La ministre a souligné l’importance de cette jurisprudence, car ce seraient « des jugements extraordinaires [qui] transforment la société ».
Pour garantir cette jurisprudence transformative qui rehausserait la justice sociale, il serait nécessaire que les avocat·e·s se rendent en cour et y présentent des arguments défiant le statu quo que le tribunal serait prêt à accepter. Or, selon la ministre, les avocat·e·s namibien·ne·s n’endosseraient pas suffisamment ce rôle et ne se dédieraient pas sufisamment à une responsabilité sociale durable. Il serait essentiel d’inculquer une culture de service et de militantisme pour les droits de la personne au sein de la profession légale dès les études en droit, plutôt que de laisser libre cours à une culture individualiste « insulaire » axée sur la richesse matérielle.
Enjeux féminins
La ministre Dausab a abordé certains enjeux affectant particulièrement les femmes de la société namibienne, comme la violence commise sur la base du sexe ou du genre. Pour illustrer la persistance du problème, elle a raconté que la principale raison pour laquelle elle s’était lancée en droit avait été le meurtre violent d’une de ses tantes aux mains d’un ami intime : elle avait voulu s’assurer que le système juridique offre une paix d’esprit à la famille des victimes de tels crimes en leur rendant adéquatement justice. Outre le phénomène de la violence sur la base du sexe ou du genre, la ministre Dausab a relevé la disparité des revenus entre les hommes et les femmes de même que l’impact disproportionné de la pandémie de la COVID-19 sur les femmes, tant en ce qui a trait aux pertes d’emploi qu’à l’assujettissement à la violence domestique.
Lorsqu’interrogée sur les raisons pouvant expliquer le haut niveau d’implication politique des femmes en Namibie (le Parlement, étant composé à 46% de femmes, est en zone paritaire), la ministre Dausab a affirmé que le contexte historique de l’apartheid aurait joué un rôle important. En effet, ce contexte historique d’exclusion et d’oppression aurait poussé la société namibienne à vouloir éliminer ses « ismes », tant le racisme que le sexisme. Le mouvement pour les droits des femmes serait aussi d’une grande ampleur en Namibie, selon la ministre Dausab, et travaillerait ardemment à changer les mentalités culturelles qui normaliseraient la violence contre les femmes de même que leur objectification.
Or, même lorsqu’elles détiendraient du pouvoir politique, la ministre Dausab a souligné que les femmes feraient encore face à des obstacles. En effet, les femmes auraient des devoirs que la société leur impose – cuisiner et s’occuper des enfants – que n’auraient pas leurs homologues masculins, indépendamment de leur position dans le gouvernement. La ministre Dausab a par ailleurs affirmé que, dans les milieux de pouvoir, on attendrait encore d’elle et de toutes les femmes, d’aller chercher du thé lors de réunions importantes et que les conversations décisives continueraient malgré leur absence. Il serait donc crucial de s’affirmer et de ne plus accepter ce genre d’attentes sexistes. « Il faut tracer la ligne quant à ce qu’on permet et ce qu’on ne permet pas », a‑t-elle affirmé.