Le 22 octobre dernier, le Projet intercollégial d’étude sur le consentement, l’égalité et la sexualité (PIECES) a dévoilé les résultats de son enquête sur les violences sexuelles en milieu collégial. Ce projet est le fruit d’un partenariat entre la Chaire de recherche sur les violences sexistes et sexuelles en milieu d’enseignement supérieur (VSSMES) de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), l’organisme Boscoville, la Fédération des cégeps et cinq établissements collégiaux. Le rapport fait état d’une consultation de 6 006 personnes étudiant ou travaillant dans les cinq cégeps partenaires du projet.
PIECES emboîte le pas de l’Enquête Sexualité, Sécurité et Interactions en Milieu Universitaire (ESSIMU) : Ce qu’en disent étudiant·e·s, enseignant·e·s et employé·e·s. Menée en 2016 dans six universités québécoises, ESSIMU avait pour objectif de remédier à l’absence d’un portrait chiffré des situations de violences sexuelles en milieu universitaire au Québec. Quatre ans plus tard, après le mouvement #MoiAussi en 2017 et la vague de dénonciations des violences sexuelles dans les milieux artistiques et culturels québécois de l’été 2020, PIECES fait un premier état de la situation des violences à caractère sexuel dans les cégeps.
Des statistiques saillantes
35,9% des répondant·e·s – étudiant·e·s, professeur·e·s et autres employé·e·s – ont rapporté au moins une forme de victimisation sexuelle commise par une autre personne affiliée au cégep depuis leur arrivée dans cette institution
Le premier fait marquant souligné par le rapport est que 35,9% des répondant·e·s – étudiant·e·s, professeur·e·s et autres employé·e·s – ont rapporté au moins une forme de victimisation sexuelle commise par une autre personne affiliée au cégep depuis leur arrivée dans cette institution. Ces situations de violence sexuelle sont en outre rarement signalées aux instances ou aux ressources du cégep, l’enquête faisant état d’un taux de non-dénonciation de 93,5%. Le rapport note également que certains groupes sociaux sont plus à risque de vivre des situations de violence à caractère sexuel en milieu collégial. C’est le cas, entre autres, des femmes, des minorités sexuelles et de genre, des personnes vivant avec un trouble, une difficulté ou un handicap ayant un impact sur la vie quotidienne, des autochtones et des minorités visibles.
Manon Bergeron, professeure au département de sexologie de l’UQAM et titulaire de la Chaire de recherche sur les VSSMES, a affirmé au Délit que deux éléments du rapport méritent d’être mis en évidence. Elle a d’abord souligné que 48,3% des enseigant·e·s ont rapporté avoir vécu au moins une forme de violence sexuelle en milieu collégial depuis leur arrivée au cégep. « C’est beaucoup, un·e [enseignant·e] sur deux », a affirmé la professeure Bergeron, notant que cette proportion est plus élevée que ce qu’ont rapporté les professeur·e·s dans le cadre d’ESSIMU.
L’autre donnée mise en lumière par la titulaire de la Chaire de recherche est que les étudiant·e·s membres d’un groupe d’activités socioculturelles (improvisation, théâtre, radio étudiante, etc.) au cégep rapportent davantage avoir vécu des situations de violence sexuelle en milieu collégial que les étudiant·e·s non-membres, pour un pourcentage de 43,7% contre 33,8%. La professeure Bergeron s’est interrogée sur la possibilité d’une culture différente au sein de ces groupes qui mériterait d’être examinée de plus près, notant au passage que cette différence statistique importante faisait écho aux dénonciations dans les milieux culturels et artistiques québécois de l’été 2020. Ce résultat, que la professeure a estimé inquiétant, illustrerait l’importance de la sensibilisation et de la prévention non seulement chez l’ensemble de la population étudiante mais aussi envers des groupes où la violence sexuelle est davantage présente, tel les groupes socioculturels des cégeps, afin de s’assurer que l’ensemble des étudiant·e·s souhaitant s’impliquer dans ces milieux puissent le faire en toute égalité et en toute sécurité.
Effet des vagues de dénonciation
Il serait encore trop tôt, selon la professeure Bergeron, pour mesurer l’impact des mouvements des dernières années comme #AgressionNonDénoncée ou #MoiAussi sur les proportions de victimisation ou de dénonciation quant aux violences sexuelles en milieu collégial : « on n’a peut-être pas tout à fait le recul » nécessaire pour comptabiliser les demandes d’aide reçues par les cégeps et universités lors de ces mouvements.
Cependant, à ses yeux, il est certain que les sorties publiques de victimes et les dénonciations médiatisées de situations de violence sexuelle ont un impact positif, car elles pourraient motiver les victimes à aller chercher de l’aide. Ces vagues de dénonciations auraient aussi un impact positif de sensibilisation : elles obligeraient plusieurs personnes à se remettre en question sur les gestes inappropriés, les gestes de harcèlement ou les gestes de comportements sexuels non désirés qu’elles ont pu commettre.