Annick Davignon œuvre dans le monde de la coopération internationale depuis de nombreuses années. À travers sa clown Bufanda, elle a répandu le bonheur dans plusieurs pays du monde. Aujourd’hui consultante, elle continue d’émerveiller et de s’émerveiller, en gardant l’imaginaire et la créativité au cœur de son approche. C’est avec sa bonne humeur contagieuse que l’autrice du livre jeunesse Bufanda a accepté de partager au Délit quelques bribes de son parcours unique.
Le Délit (LD): Annick, tu es originaire de la Côte-Nord, tu as fait un baccalauréat en Études internationales et langues modernes, tu as fait plusieurs voyages qui t’ont ouverte au domaine de la solidarité internationale. Peux-tu me parler un peu de ton parcours ?
Annick Davignon (AD): Ç’a commencé quand j’avais 4 ans. Ça sortait de nulle part, mais je voulais devenir clown. Je ne viens pas d’une famille de clowns ou d’artistes, j’avais vu des shows de cirque à la télé, mais c’est à peu près tout. Quand je voyais des clowns quelque part, j’étais vraiment fascinée. Le clown a été dans mon ADN avant même que je ne comprenne pourquoi ! À 17 ans, j’ai rencontré le fondateur de Clown Sans Frontières Canada dans un congrès de tourisme jeunesse. Le fondateur, Jacko, donnait une conférence. C’est comme si en une seule personne, je trouvais mes deux passions : ma passion d’enfance du clown et celle de l’humanitaire qui m’intéressait de plus en plus à l’époque. Rencontrer Jacquot, c’était comme rencontrer le Père Noël ! (rires, ndlr)
Suite à ça, j’ai fait mon cégep, puis j’ai étudié en études internationales et langues modernes, j’ai voyagé beaucoup, j’ai participé à Jeunesse Canada Monde, je me suis lancée dans la coopération internationale. En finissant mon bac, j’ai commencé à travailler pour l’organisme l’AMIE (Aide Internationale à l’Enfance, ndlr). J’avais mon bac, j’avais une job, mais j’avais encore l’impression que quelque chose me manquait. Je n’envisageais pas forcément le clown ; je ne me suis jamais perçue comme une artiste ! On m’avait déjà dit : « Choisis ce que tu veux faire et trouve un qui qui incarne ce que tu veux devenir. » Ça avait fait écho en moi ! À l’époque, je m’intéressais beaucoup à « changer le monde », au clown, à la santé, et je m’étais demandé qui incarnait tout ça. Pour moi, c’était Patch Adams ! Je suis allée le rejoindre aux États-Unis [pour] suivre l’une des formations qu’il offrait, où il expliquait comment le clown peut aider à mieux vivre. C’est comme ça que j’ai rencontré la communauté internationale de clowns ; il y en avait d’Argentine, d’Italie, et de plein d’endroits dans le monde. C’étaient des gens qui faisaient du clown pas nécessairement pour le spectacle, mais plus pour faire du bien, comme Patch, mais sans la médecine. Donc j’ai commencé à comprendre que je pourrais jumeler mon intérêt pour la coopération internationale et mon côté social qui voulait rendre le monde meilleur avec le clown.
Quand je suis revenue, j’ai eu envie de voyager, mais avec ma clown. Je suis allée au Pérou rejoindre Patch et d’autres clowns de je ne sais plus combien de pays dans le monde. Je devais donner mon nom pour m’inscrire, et Bufanda est née. L’année d’après, j’ai été au Costa Rica, puis j’ai commencé à faire des ateliers sur comment le clown peut nous aider à devenir de meilleurs humains. J’ai co-initié la communauté à Montréal « Clowns : Diffuseurs de Bonheur », un collectif de clowns qui s’implique auprès des groupes marginalisés, comme les aînés en perte cognitive ou encore les personnes vivant avec une déficience intellectuelle. Ma capacité artistique à rassembler les gens est devenue ma façon d’être en lien avec les clowns, avec ma mission de vie. C’est beau, non ?
LD : Qu’est-ce que ta clown, Bufanda, apporte à la communauté ? Et qu’est-ce qu’elle t’apporte à toi, Annick ?
AD : C’est drôle, parce que ça me rend émotive tout ça ! Tu sais, je me rends compte que Bufanda a apporté beaucoup de bonheur aux gens, mais elle a surtout eu un impact sur moi ! Elle m’a permis de m’aimer en tant que personne, d’assumer ce que je suis et de m’accueillir là-dedans. J’ai réalisé que Bufanda, ce n’est pas tant ce qu’elle fait qui fait du bien aux gens, c’est ce qu’elle est. Moi, c’est ça que le clown m’a apporté : apprendre à aimer qui je suis. Maintenant, j’ai l’impression d’avoir un impact sur les gens de façon consciente et de manière très humble. J’ai l’impression d’en faire moins et d’avoir un plus grand impact sur le monde. Avant, avec la coopération internationale, je le faisais pour sortir de moi-même, pour aider les autres. Mais Bufanda m’a appris à être moi-même. J’ai l’impression que quand j’amène de la couleur, je fais finalement pas grand chose, mais je suis beaucoup. C’est là, réellement, que ç’a un impact sur les gens.
« Moi, c’est ça que le clown m’a apporté : apprendre à aimer qui je suis »
LD : Dirais-tu qu’il existe des distinctions entre ce qu’est Bufanda et ce qu’est Annick ?
AD : En fait, quand j’ai rencontré Bufanda, il y avait une distance entre elle et moi. Plus ça allait, j’ai compris qu’être clown, c’est être toujours dans ton clown, t’es tout le temps les deux parce que t’es la même personne. Autant, pendant un temps, Bufanda me permettait de m’habiller en couleurs, de vivre des émotions intenses, maintenant, je me permets de vivre ces émotions-là. J’ai réussi à créer un alignement entre elle et moi. Bufanda m’a permis de comprendre qu’il y avait une facette de moi que je ne laissais pas exister en dehors d’elle, et elle m’a permis d’accepter cette partie-là, pour mieux m’exprimer, moi, Annick. Il y avait une partie de ce que j’étais que je ne laissais pas émerger, qui prend maintenant sa place. Il y a quelque chose de vraiment puissant dans le clown, qui permet ça.
LD : Dirais-tu que dans ton approche en intervention, il y a toujours une part d’imaginaire et de création, même si tu n’es pas en train de performer ta clown ?
AD : En fait, je considère que peu importe si je suis habillée en rose, en bleu, en vert, en mauve, en noir, ou en rien, c’est ma créativité, ma capacité à voir le potentiel, à oser l’imaginaire, qui me caractérise. J’ai grandi avec l’imaginaire, en essayant toujours d’être dans le beau et dans la magie. C’est toujours ça qui m’a suivi. Maintenant, je fais de la consultation pour des organismes communautaires, et en ce moment, dans le monde, on le sait, c’est tough. Je vois que ma capacité à oser imaginer ce qu’on pourrait être, malgré les contraintes et le blocage de la réalité, ça inspire les gens. Ma job est sérieuse, mais je reste dans cette magie-là, celle de la créativité et de l’humanité. Pour moi, le clown est ancré dans ces deux aspects-là. Je crois vraiment que la créativité a sa place partout, dans tous les domaines.
« Ma capacité à oser imaginer ce qu’on pourrait être, malgré les contraintes et le blocage de la réalité, ça inspire les gens »
LD : Tu as publié en octobre 2019 un premier livre jeunesse qui porte le nom de ta clown, Bufanda. Pourquoi en es-tu venue à t’intéresser à l’enfance et à la littérature jeunesse ?
AD : Je n’étais pas une grande lectrice quand j’étais plus jeune. J’étais assez paresseuse. Je n’ai pas grandi dans une famille de grands lecteurs non plus, c’était présent, mais pas tant que ça. Le déclencheur a été pendant mon bac. Je suis tombée sur une prof qui m’a complètement inspirée, tu sais, le genre de prof qui te donne le goût d’assister à son cours, même si c’est le vendredi après-midi ! Une prof extraordinaire, super exigeante, mais passionnée. J’ai découvert la littérature pour enfants et les classiques de la littérature anglophone jeunesse. C’est ce cours-là qui m’a permis de découvrir le pouvoir de la littérature pour enfants, et l’impact que ça peut avoir sur les enfants et sur les adultes aussi. Je m’étais dit que j’aimerais ça, un jour, écrire un livre pour enfants. À la même époque, j’ai commencé à m’intéresser à la philosophie pour enfants. Ça m’avait fait trippé de voir que des livres jeunesse peuvent être des amorces à développer des discussions en profondeur avec les enfants. J’avais un ami qui avait une maison d’édition, et il m’avait dit : « Si tu fais un livre sur Bufanda un jour, je te publie. » Même si j’avais déjà l’idée de faire un livre un jour, c’est un peu ça qui a déclenché le processus.
« Je crois que la créativité, c’est notre essence propre, notre énergie vitale. Si on ne la laisse pas exister, on ne se laisse pas vivre. Particulièrement dans le monde en ce moment, la créativité est nécessaire. Elle est synonyme d’espoir »
LD : Peux-tu me parler un peu de ta vision de la philosophie pour enfants ?
AD : Pour moi, la philosophie est un élément clef dans la société. Chez les enfants, ç’a un rôle fondamental, parce que ça permet de développer l’esprit critique, la pensée morale et la capacité de penser ensemble. Ce que je vois en ce moment dans mon travail, c’est que les gens ne savent pas dialoguer. On est constamment en train de débattre, d’argumenter, plutôt que de chercher à penser ensemble et à construire quelque chose. On a besoin de plus de dialogues, de plus de collaboration.
LD : Comment aborder la vie légèrement quand on est confronté aux grands enjeux de notre monde ? Quelle est la place de l’art et de la culture pour adoucir l’existence et harmoniser la société, selon toi ?
AD : Je crois que la créativité, c’est notre essence propre, notre énergie vitale. Si on ne la laisse pas exister, on ne se laisse pas vivre. Particulièrement dans le monde en ce moment, la créativité est nécessaire. Elle est synonyme d’espoir. La culture, l’art, oui, mais dans son essence première, pas forcément dans son aspect business. Si on enlève la créativité au monde, on se met à fonctionner dans des cellules très précises, puis les gens se mettent à mourir de l’intérieur. On doit garder la créativité, animer cet espoir. C’est vital.
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