Le 28 octobre dernier avait lieu un webinaire coordonné par l’organisation Amnistie internationale et modéré par Marisa Berry Méndez, responsable des campagnes tactiques et réactions aux crises. La directrice générale du Regroupement des centres d’amitié autochtones du Québec (RCAAQ) et membre de la communauté innue de Pessamit Tanya Sirois, la travailleuse sociale et professeure à l’Université McGill Alicia Boatswain-Kyte et le pédiatre urgentiste également professeur à McGill Samir Shaheen-Hussain ont présenté les enjeux du racisme dans le système de santé et services sociaux québécois ainsi que des pistes de solution pour remédier à ce fléau. Le décès de la femme atikamekw Joyce Echaquan le 28 septembre dernier dans le Centre hospitalier de Lanaudière a suscité une forte émotion au sein des communautés autochtones et de l’ensemble du Québec. Le webinaire d’Amnistie internationale avait comme objectif d’aborder la « banalisation » de ce type de situation au Québec. Le mari de Joyce Echaquan, Carol Dubé, était d’ailleurs présent au webinaire, mais il ne s’est pas exprimé sur le sujet.
Le cas de Joyce Echaquan : une situation commune
Tanya Sirois a entamé la discussion en déclarant la nature de son mandat au sein du RCAAQ. La directrice générale du regroupement a précisé que sa mission principale consistait à défendre les intérêts des autochtones en milieu urbain. Elle a soutenu que la question du racisme systémique dans le domaine de la santé ne serait pas un problème nouveau pour les autochtones. Selon elle, le racisme systémique est « banalisé, normalisé et toléré » dans la société québécoise, ce qui expliquerait les raisons du décès de la patiente atikamekw. Tanya Sirois a également noté que la tragédie de Joyce Echaquan ne serait pas un cas isolé et caractériserait une situation vécue par plusieurs autochtones. Elle a poursuivi en dénonçant le « manque de réactivité » des membres du personnel soignant qui contribuerait à la banalisation du racisme systémique en milieu hospitalier. Elle a toutefois ajouté que ce ne sont pas tous les individus du système qui seraient « racistes », mais que le système lui-même permettrait des instances de racisme.
Une question d’actualité liée à l’histoire du Québec
Tanya Sirois a fait allusion à l’histoire du Québec en rapportant que « le racisme systémique n”[était] pas arrivé le mois passé » et qu’il dériverait principalement de la Loi sur les Indiens de 1876, que le Comité des droits de l’Homme des Nations Unies considère discriminatoire. Elle a également évoqué la mise sur pied des pensionnats, le système de réserves et le « génocide culturel » des peuples autochtones. Tanya Sirois a déclaré que ces aspects de la Loi sur les Indiens ont préparé le terrain aux différentes manifestations du racisme systémique. Elle a ensuite affirmé que ce passé avait joué un rôle important dans la perception du personnel médical à l’égard des personnes autochtones. Les autochtones, a‑t-elle dit, sont considérées comme des citoyen·ne·s de seconde zone. La directrice du RCAAQ a avancé que ce statut ainsi que le manque de considération vis-à-vis de la spécificité culturelle des peuples autochtones contribuaient directement à la perpétuation du racisme systémique dans le domaine de la santé.
Services sociaux : la « surreprésentation » des enfants noirs
Une fois placés, les enfants noirs seraient beaucoup plus à risque de demeurer longtemps dans le « système alternatif »
Alicia Boatswain-Kyte
De son côté, la professeure Alicia Boatswain-Kyte a pris la parole pour traiter de la « surreprésentation des enfants noirs » dans le domaine de la protection de l’enfance. D’emblée, elle a affirmé que le racisme systémique vis-à-vis des personnes noires et le racisme systémique concernant les personnes autochtones étaient similaires. Ayant travaillé sur un projet de recherche doctoral examinant la place qu’occupent les enfants noirs dans les centres de jeunesse, la professeure a soutenu que ceux-ci seraient souvent signalés de manière disproportionnée et que le taux de placement de ces enfants serait cinq fois plus élevé que celui des enfants blancs. La travailleuse sociale a poursuivi en annonçant qu’une fois placés, les enfants noirs seraient beaucoup plus à risque de demeurer longtemps dans le « système alternatif ».
Les facteurs de risque qui sous-tendent le placement exagéré des enfants noirs dans les centres jeunesse seraient liés au chômage, à la toxicomanie, à l’incarcération, aux problèmes de santé mentale et à la pauvreté des parents de ces enfants, selon l’intervenante. Elle a précisé que ces facteurs illustreraient les préjugés et la discrimination ancrés dans nos politiques. Ces préjugés et cette discrimination constitueraient des symptômes des désavantages subis par les familles noires. Elle a également exprimé son constat quant au manque de soutien social vis-à-vis des familles noires face aux conditions sociales citées ci-dessus et a indiqué que ces injustices prédisposeraient les enfants noirs à se retrouver dans le système de protection de l’enfance. En effet, il y a quelques mois, c’est la présidente de la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse Régine Laurent qui exprimait son indignation vis-à-vis du haut taux de signalement des enfants noirs à la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ): « La loi de la protection de la jeunesse [est] devenue une loi d’instrumentalisation raciste », a‑t-elle dit.
Le traitement des enfants autochtones dans le système de santé
Troisième intervenant à prendre la parole, le pédiatre urgentiste Samir Shaheen-Hussain s’est penché sur les restrictions imposées lors du transport sanitaire aérien d’enfants autochtones nécessitant une hospitalisation. Ces limitations symboliseraient des exemples de racisme systémique envers les Premières Nations. L’une d’elles serait l’interdiction des familles autochtones d’accompagner leurs enfants à bord de ces avions-hôpitaux en raison du manque d’espace. Le Dr Shaheen-Hussain a qualifié cette interdiction de « pratique dangereuse » étant donné que les enfants sont souvent incapables de communiquer avec le personnel soignant en raison de la barrière linguistique.
Le pédiatre urgentiste a souligné les cas d’enfants atikamekw disparus pendant qu’ils recevaient des soins à l’hôpital. Il présume que ces enfants ont été adoptés ou sont décédés. La campagne #TiensMaMain, lancée en 2018, s’attaque à cet enjeu en faisant pression sur le gouvernement québécois. Le Dr Samir Shaheen-Hussain a soutenu que cette « maltraitance envers les enfants autochtones » a renforcé le racisme dans le système de santé. Il a conclu en mettant l’accent sur l’inaction de l’ancien ministre de la Santé Gaétan Barrette qui n’a pas tenu ses promesses de mettre un terme à cette pratique.
Regard vers l’avenir : des solutions proposées par les invité·e·s
Interrogée sur les solutions potentielles pour combattre le racisme systémique dans le domaine de la santé et des services sociaux, Tanya Sirois a indiqué qu’il était nécessaire de permettre la prestation de services à travers des organisations autochtones telles que le RCAAQ et de créer un environnement hospitalier sécuritaire qui ferait cas des spécificités culturelles autochtones. La travailleuse sociale Alicia Boatswain-Kyte a, quant à elle, suggéré qu’il fallait inciter les étudiant·e·s québécois·es à comprendre les origines de l’oppression des personnes noires et autochtones, notamment à travers des cours universitaires conçus par le système d’éducation. Elle a aussi suggéré qu’il fallait penser à une réorganisation des services sociaux qui faciliterait la coopération des individus venant des communautés opprimées avec les intervenant·e·s. La modératrice a conclu la discussion en annonçant le prochain webinaire d’Amnistie internationale, le 25 novembre 2020, au sujet du racisme systémique en milieu policier. Selon les participant·e·s dans la discussion simultanée, ce webinaire a été l’occasion de discuter de certaines réalités souvent absentes des grands médias.