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McGill n’en est pas à son premier fight club

Margaux Brière de la Chenelière | Le Délit

La semaine qui vient de passer a sorti les mcgillois·es de la monotonie de leurs Zoom quotidiens avec un spectacle haut en couleurs et fort en testostérone. Si le fameux fight club de McGill qui génère tant de memes depuis une semaine semblait être une légende urbaine, il a toutefois bel et bien eu lieu. Dans une ambiance qui rappelle celle des arènes de gladiateurs, deux hommes se frappaient à grands coups de poing alors qu’une foule en rond les encourageait.

Si cet événement en a surpris plusieurs, ce n’est pourtant pas la première fois que McGill s’adonne à de telles violences publiques. Au tournant du 20e siècle, les rues de Montréal se sont transformées en véritables champs de bataille où s’affrontaient mcgillois·e·s et universitaires francophones. Face à cet événement que l’historien Jacques Lacoursière a qualifié de « guerre des drapeaux », notre fight club contemporain fait bien pâle figure. 

Retour historique sur cette guerre qui a fait des dizaines de blessés et qui a détruit une façade entière de ce qui était alors l’Université de Laval à Montréal.

La guerre des Drapeaux

Le 1er mars 1900, on peut lire en page couverture de La Presse : « La guerre à Montréal : Des étudiants du McGill préfèrent se battre au Canada plutôt que d’aller défendre le drapeau britannique en Afrique. » Les journalistes font ici référence à la seconde guerre des Boers qui a eu lieu en Afrique du Sud de 1899 à 1902.

Il faut savoir que le Canada, alors simple dominion, était bien plus proche de l’Empire britannique qu’il ne l’est aujourd’hui. Les guerres dans lesquelles s’engageait l’Angleterre étaient aussi, dans une certaine mesure, nos guerres. Ainsi, les membres du dominion célébraient les victoires britanniques comme si elles étaient canadiennes. Il y a donc eu un immense engouement à Montréal suite à la bataille de Ladysmith, une importante victoire militaire britannique dans la guerre des Boers.

« Les McGill », comme les appelait La Presse de l’époque, célèbrent en se rendant à l’hôtel de ville et aux bureaux de La Presse afin d’y dresser des drapeaux britanniques. Ils se rendent ensuite à l’Université Laval de Montréal, située sur la rue Saint-Denis, qui allait devenir l’Université de Montréal 20 ans plus tard. Là encore, on hisse le drapeau de l’Union royale (Union Jack en anglais), mais un étudiant téméraire de l’Université Laval «[s’empare] du drapeau, [coupe] la corde et [entre] dans l’Université », décrit La Presse. La réponse « des McGill » ne se fait pas attendre : « Tous les tricolores visibles [sont] déchirés et foulés aux pieds. » [Le fleurdelisé n’étant adopté qu’en 1948, les Canadiens français utilisaient alors le tricolore français comme drapeau, nldr.]

La guerre des drapeaux était officiellement déclarée.

Affrontements armés

Après le retrait des troupes mcgilloises de l’Université Laval, les étudiant·e·s francophones préparent une contre-manifestation à 16h30 le même jour. Les voilà qui prennent d’assaut la rue Saint-Jacques et qui s’attaquent aux symboles britanniques. La description qu’en donne Jacques Lacoursière, dans son Histoire populaire du Québec moderne (1997), semble tout droit sortie d’un film de guerre : « Au chant de La Marseillaise, ils s’emparent de tous les drapeaux “ennemis”. Les gens de McGill font alors leur apparition au chant du God Save the Queen. La bagarre éclate, ponctuée de coups de poing et de coups de canne. »

« Cinq coups de feu se font entendre et un étudiant de Laval est blessé au couteau au niveau du bras »

La bataille de l’après-midi ne met toutefois pas fin aux hostilités et les étudiant·e·s anglophones n’abandonnent pas de sitôt. Vers 21h30, « les McGill » marchent sur l’université francophone. Là-bas, averti·e·s d’un attroupement anglophone, les étudiant·e·s de l’Université Laval les attendent avec des boyaux d’arrosage. Après deux assauts repoussés à l’aide de grands jets d’eau glaciale, les gens de McGill, incapables d’accéder à l’université, décident de s’en prendre aux vitres de l’institution. Dans l’édition du 2 mars 1900, La Presse estimait « à 200$ les dommages causés à l’Université Laval ». En comparant ce montant aux annonces de souliers neufs de luxe neuf à 3,50$ qui se trouvent dans la même édition du journal, on peut comprendre qu’il s’agit là d’une facture fort salée pour l’époque ! 

Alors qu’ils battent en retraite vers la rue Sainte-Catherine, « les McGill » sont interceptés par des francophones. Comme l’écrit le journal de l’époque : « c’est alors qu’ils eurent la soupe chaude. » Cinq coups de feu se font entendre, un étudiant de Laval est blessé au couteau au niveau du bras et les étudiants de McGill, « ayant frappé la police à coup de bâton », provoquent une réplique violente du côté policier. « Finalement, la déroute [est] complète chez les McGill, qui [s’enfuient] vers l’ouest, […] promettant de revenir à la charge. »

La guerre, la guerre, c’est pas facile quand y’a l’hiver

Le lendemain, nouveau titre pour La Presse : « Tempête effroyable : un Amoncellement de Neige suffisant dans nos Rues pour recouvrir nombre de Maisons ». Cette chute de neige monstre vient visiblement calmer les ardeurs des combattants, et les recteurs des deux universités ainsi que le maire font des appels à la paix qui sont écoutés. C’est un chance, car, comme le résume Jacques Lacoursière, « les étudiants de [l’Université Laval de] Québec venaient d’offrir leur « aide » à leur confrères francophones de Montréal, alors que ceux de Kingston et de Toronto se disaient prêts à prendre le chemin de Montréal pour venir prêter main-forte aux anglophones ».

Si les débats ont changé, les divisions universitaires demeurent et la solidarité dont ont témoigné les étudiant·e·s de Québec et de l’Ontario à leurs homologues montréalais existe encore aujourd’hui. De nos jours, alors que les universitaires s’affrontent sur les réseaux sociaux sur la question des mots tabous et que le débat semble glisser dans une dichotomie anglo-franco, il est assez heureux de constater que nous avons appris à ne plus nous battre jusqu’au sang pour des enjeux importants. 

En fait, maintenant, avec le fight club de McGill, on se bat jusqu’au sang simplement pour se battre.


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