Le 15 novembre dernier, plus d’une centaine de militants se sont rassemblés à Montréal devant le Monument à Maisonneuve et ont défilé sur le boulevard René-Lévesque pour dénoncer les exactions du gouvernement chinois face au peuple ouïghour. Les manifestants demandaient également au gouvernement canadien de reconnaître ce traitement comme étant un génocide.
« Nous savons par les témoignages, la fuite de documents et l’imagerie satellite que le gouvernement chinois fait subir à des millions de Ouïghours des camps de concentration, du travail forcé, de la stérilisation forcée et de la surveillance de masse »
David Kilgour
David Kilgour, ancien député fédéral et maintenant activiste pour les droits humains, a rappelé que la situation des Ouïghours a déjà été comparée à l’Holocauste : « Nous savons par les témoignages, la fuite de documents et l’imagerie satellite que le gouvernement chinois fait subir à des millions de Ouïghours des camps de concentration, du travail forcé, de la stérilisation forcée et de la surveillance de masse. »
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Plus de douze millions de Ouïghours vivent au Xinjiang en Chine, que ce peuple turcophone et à majorité musulmane appelle Turkistan oriental. Depuis leur origine ancienne dans les steppes russo-mongoles, les Ouïghours ont connu de nombreuses périodes de domination étrangère, mais ce peuple a aussi établi des royaumes indépendants entre le 9e et le 11e siècle et, au milieu du 20e siècle, deux républiques éphémères du Turkistan oriental. Cependant, depuis la montée au pouvoir de Mao Zedong en 1949, la région est restée sous la ferme domination de la République populaire de Chine. Depuis, ce peuple, ethniquement et culturellement différent des Han (le groupe ethnique majoritaire en Chine), a été victime de discriminations à diverses échelles. Après de fortes émeutes en 2009, les mesures de répression du gouvernement chinois se sont progressivement intensifiées. Les médias font mention de plus d’un million de Ouïghours enfermés arbitrairement dans des camps de détention. Le New York Times décrit l’utilisation du plus puissant système de surveillance au monde incluant des milliers de caméras, des contrôles policiers réguliers dans la rue, l’utilisation d’un code QR (type de code-barres, ndlr) pour rentrer chez soi et des sniffer (« renifleurs », des logiciels monitorant le réseau, ndlr) pour capter l’information présente sur les téléphones intelligents. Le Monde présente également l’initiative des « cousins Han »: des fonctionnaires du gouvernement qui viennent habiter une semaine par mois dans les foyers ouïghours et observent leur comportement. De nombreux Ouïghours réfugiés à l’étranger tentent par diverses initiatives, comme la manifestation du 15 novembre, d’attirer l’attention de la communauté internationale sur leur situation critique. Ils espèrent que cette attention fera pression sur la Chine et mettra fin aux violations des droits de la personne contre leur peuple.
Bakhtiar, Raziye et Arzu, tous trois Ouïghours, se sont confiés au Délit. Les trois ont mentionné ne plus avoir de contact avec les membres de leurs familles restés au Xinjiang et ont évoqué les menaces que leur adresse le gouvernement chinois pour tenter de les réduire au silence, même hors de la Chine. Bakhtiar, arrivé au Canada en 2008, est le fondateur de Soutien international aux Ouïghours (International Support for Uyghurs), l’organisation responsable de la manifestation. Il a affirmé que le gouvernement chinois a commencé l’usage des camps de détention en 2007. Raziye, de son côté, a décrit son parcours et le contexte de son départ : « Notre peuple subissait déjà de nombreuses discriminations, et beaucoup de jeunes étaient au chômage. Il y a eu plusieurs massacres en 1997. Après ça, j’ai appris l’anglais et attendu plusieurs années pour recevoir un passeport. En 2002, je suis arrivée en Belgique et me suis installée en 2007 au Canada. À chaque fois que je suis retournée au Turkistan oriental, je me suis fait contrôler de près par la police. Ils m’ont suivie jusqu’à l’aéroport. Je ne suis pas retournée là-bas depuis 2013. » Arzu, quant à elle, est née au Xinjiang, mais elle a grandi au Québec. Ses parents ont reçu plusieurs appels des autorités chinoises depuis leur départ et la famille n’a jamais pu retourner dans sa région natale.
Soutien international aux Ouïghours et Espoir Jeunesse, une autre organisation présente lors de l’événement, ont mis de l’avant trois demandes principales : la reconnaissance du génocide des Ouïghours par le gouvernement canadien, la facilitation de l’accès au statut de réfugié pour les Ouïghours et le boycott des produits chinois en provenance des camps de détention.
Escortée par des voitures de police, la manifestation a traversé le boulevard René-Lévesque. Plusieurs manifestants brandissaient le drapeau bleu et blanc du Turkistan oriental, mais deux jeunes Azéries portaient aussi le drapeau de l’Azerbaïdjan pour exprimer « la solidarité entre les peuples turcs ».
Plusieurs Hongkongais étaient aussi présents. Benjamin Fung, professeur à l’Université McGill né à Hong Kong, a pris la parole pour souligner le lien entre les mesures d’oppression subies par les peuples ouïghours et hongkongais.
Alexandre Boulerice
Alexandre Boulerice, député néo-démocrate de Rosemont-La-Petite-Patrie, a lui aussi participé à la manifestation. Il a pris la parole au nom de plusieurs députés fédéraux tous partis confondus, pour appuyer les demandes des activistes. « Des camps ! On est en 2020 ! Et si on veut pouvoir se dire une démocratie, il nous faut une [attitude à l’international] à la hauteur de nos valeurs ! » Il a exprimé son espoir de voir le gouvernement de Justin Trudeau aborder l’enjeu lors de ses prochaines rencontres avec les représentants du gouvernement chinois.
À la Chambre des communes du Canada, le Sous-comité des droits internationaux de la personne a déposé, le 22 octobre dernier, un rapport faisant le point sur la situation des Ouïghours. Ce rapport recommandait au gouvernement canadien de travailler avec ses alliés pour permettre à la presse internationale d’accéder librement au Xinjiang afin d’accumuler plus des preuves de la répression du gouvernement chinois à l’encontre du peuple ouïghour. Le sous-comité est, par son rapport, devenu la première commission parlementaire au monde à employer le terme « génocide » pour parler de la situation des Ouïghours. Même si le premier ministre Justin Trudeau avait récemment déclaré qu’il défendrait les droits de la personne partout dans le monde, y compris au Xinjiang et à Hong Kong, son gouvernement n’a pas encore mis en place des mesures pour donner suite au rapport du sous-comité. De son côté, la Chine nie toutes les accusations qui pèsent contre elle. Elle présente ses actions comme des mesures raisonnables pour endiguer le terrorisme, l’extrémisme et la pauvreté dans la région. Le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Zhao Lijian, a quant à lui parlé d’ingérence de la part des parlementaires et les a enjoints à « éviter de nuire davantage aux relations entre la Chine et le Canada ».