Je fais une mineure en études québécoises. Au début de la session, j’ai écrit à ma professeure pour lui demander si je pouvais participer en français dans son cours. Je tenais à savoir si elle n’avait pas d’objection, puisqu’évidemment, certains professeurs ne comprennent pas le français. Elle m’a répondu qu’elle n’avait aucun problème avec cela.
La semaine dernière, mon amie Catherine et moi avons posé une question en français à une déléguée générale québécoise invitée dans le cours. Celle-ci a décidé de nous répondre en français.
Puis, dans l’onglet discussion sur Zoom, un étudiant bilingue a mentionné que les non-francophones apprécieraient que les questions et les réponses soient faites en anglais. Près d’un demi siècle après le poème de Michèle Lalonde, des étudiants de McGill se font dire de « speak white ».
L’étudiant a débattu avec Catherine à savoir si le français pouvait être utilisé, considérant que d’autres étudiants ne le comprennent pas. Elle lui a répondu que l’invitée était francophone et qu’elle ne voyait pas pourquoi elle aurait dû se sentir obligée de lui poser une question en anglais. Après tout, nous sommes au Québec et le français y est la langue officielle. L’étudiant lui a répondu que nous sommes sur un territoire Mohawk et Anichinabé.
Après cet échange étourdissant, j’ai envoyé un courriel à ma professeure lui expliquant que ma langue maternelle est le kabyle, que mes parents m’avaient appris le français à un jeune âge et qu’ils n’ont jamais maîtrisé l’anglais. Qu’à l’âge de 16 ans, je suis partie à Ottawa pour une simulation parlementaire, que j’étais la seule fille francophone et que j’étais incapable de discuter avec les autres jeunes. Je me suis sentie exclue et me suis jurée que plus jamais cela ne m’arriverait.
Même si McGill nous « permet » de nous exprimer en français, les francophones usent rarement de ce droit tant le climat n’est pas favorable
En arrivant à McGill, moi qui croyais que le français y serait plutôt accessible, j’ai vécu un choc. Je ne comprenais pas mes enseignants et la lecture en anglais m’était impossible. Comme moi, plusieurs étudiants francophones de McGill disent qu’au Cégep, ils étaient des étudiants impliqués et participatifs. Mais depuis que nous sommes à l’université, nous avons le sentiment d’être invisibles, voire inexistants.
Même si l’on nous « permet » de nous exprimer en français, les francophones usent rarement de ce droit tant le climat n’est pas favorable. Plusieurs francophones sont gênés d’user de leur droit à parler cette langue, et ce, dans toutes les instances de l’université, puisque les anglophones y sont majoritaires et très souvent, unilingues.
J’ai terminé en lui disant que mon but n’était pas d’exclure les non-francophones. Les étudiants anglophones se doivent toutefois de comprendre le vécu des francophones. Bien que nous ayons choisi d’étudier en anglais, cela ne veut pas pour autant dire que nous maîtrisons l’anglais. Apprendre une langue est un long processus. Pour les francophones qui ont eu un parcours scolaire en français, il faut comprendre qu’arriver dans un environnement totalement anglophone peut être difficile. Cela demande une adaptation et de nombreux efforts pour réussir nos études.
Je comprends que McGill est une université anglophone et que certains étudiants croient, à tort, que Montréal est une ville bilingue et que, pour cela, les étudiants unilingues anglophones ne considèrent pas le français. Cependant, la réalité est tout autre. McGill a des règles qui nous permettent de faire nos évaluations en français. Il y a aussi la politique de bilinguisme qui permet aux étudiants d’intervenir dans la langue officielle qu’ils souhaitent et, ce, quelle que soit la langue dans laquelle le cours est donné. Cette politique est rarement mentionnée et je crois que cette information manque aux étudiants anglophones et francophones.
Cette langue, nous nous devons de la préserver, elle fait partie de notre identité
McGill est la meilleure université au Québec selon le classement des universités du Times Higher Education. Or, plusieurs étudiants francophones s’épanouissent difficilement dans cette université, et cela revient à limiter leur accès à celle-ci. Je considère d’ailleurs que c’est une réelle discrimination à notre égard. En ne mettant pas en place des ressources pour que nous puissions réussir comme les anglophones, on reproduit exactement ce que la Révolution tranquille a tenté d’effacer, soit que les anglophones réussissent mieux et maintiennent leur place dans une élite au détriment des francophones.
Peut-être faudrait-il que davantage de professeurs comprennent minimalement le français dans cette institution ? Peut-être faudrait-il que les professeurs mentionnent la politique de bilinguisme devant toute la classe pour éviter d’éventuels conflits ? Peut-être, ainsi, créerons-nous une meilleure harmonie entre les francophones et les anglophones ? Le fait de ne jamais mentionner le français, comme si à l’intérieur de l’université il était inexistant, contribue à l’effacer et à rendre inconfortables ceux qui souhaitent l’utiliser.
Ce n’est pas la première fois que je ressens une forme d’injustice en tant que francophone et j’avais besoin de dénoncer cette situation et de dire que, trop souvent, les francophones sont réduits au silence non pas par les règles, mais tout simplement parce que le climat ne le permet pas. À quoi bon avoir le droit de parler en français si personne ne nous comprend ? C’est pour cette raison qu’il y a une gêne à parler cette magnifique langue qu’est le français. Le manque d’ouverture au français de certains étudiants vient du fait qu’il y a des lacunes au sein de l’université à faire la promotion de cette langue.
J’espère que les choses changeront et que tranquillement, les francophones prendront leur place dans les cours et les réunions, parce que nous sommes là et nous existons.
Cette langue, nous nous devons de la préserver, elle fait partie de notre identité.