Je n’apprends rien à qui que ce soit en disant qu’en ce moment même, l’Amazonie est en train de brûler, les glaciers sont en train de fondre et notre biodiversité est en train de s’appauvrir à un rythme menaçant. C’est pour cela que tous et toutes, incluant nos vedettes favorites, exigent des politiques drastiques afin d’effectuer un « virage vert » dans le but de combattre le changement climatique. Au menu : rayer les méchantes industries fossiles de notre économie pour ensuite les remplacer par notre messie, les énergies renouvelables. Tout ce qu’il manque est un brin de courage politique, puis nous pouvons amorcer notre transition vers une planète non seulement prospère, mais équitable à travers le monde entier et pour des générations à venir.
Cela est souvent le discours qui sort des réseaux sociaux, des médias, ainsi que de la bouche des Al Gore de ce monde, qui, selon moi, projette une image dangereusement simple de l’enjeu. Nous avons souvent tendance à l’oublier, mais nos émissions de gaz à effet de serre (le dioxyde de carbone, le méthane ou l’oxyde nitreux provenant de nos diverses activités) ne représentent pas l’unique façon d’avoir un impact négatif sur notre environnement. Que nous le voulions ou non, nos émissions de gaz à effet de serre sont présentement un mal nécessaire afin de subvenir à notre demande gargantuesque d’énergie.
Autant je suis confiant que nos énergies renouvelables puissent éventuellement remplacer une grande part des énergies fossiles, autant j’ai la certitude que se limiter à cette transition ne nous mènera pas à un monde réellement durable.
En effet, nos technologies vertes, même si elles émettent généralement beaucoup moins de gaz à effet de serre tout au long de leur cycle de vie (c’est-à-dire du moment où nous allons chercher les matériaux nécessaires à leur construction dans le sol jusqu’au moment où la technologie est hors d’usage), présentent quelques problèmes environnementaux qui risquent d’être difficiles à ignorer.
Derrière les rideaux
Concentrons-nous maintenant sur l’impact environnemental d’une technologie verte particulière qui sera essentielle si l’on désire une transition à des énergies renouvelables : la batterie au lithium. Non seulement est-elle utilisée dans la majorité des modèles d’autos électriques ainsi que dans nos téléphones intelligents, mais elle sert aussi à emmagasiner l’énergie qui est produite par nos turbines éoliennes et nos panneaux solaires (en effet, tu ne veux pas que ta maison alimentée aux panneaux solaires arrête de se chauffer en une nuit glaciale de janvier à Montréal).
La batterie au lithium présente deux problématiques principales : premièrement, l’extraction de cet « or blanc » tel quel et deuxièmement, l’extraction du cobalt, un élément aussi utilisé dans ces « batteries du futur ».
Le Chili possède actuellement la plus grande réserve de lithium, et de loin. Cependant, comme tous métaux, ce lithium doit être extrait du sol : les réserves, situées profondément sous la surface, doivent être remontées à l’aide d’immenses quantités d’eau (soit 1 900 000 litres d’eau pour une tonne de lithium!). On laisse cette solution de lithium dilué sécher au soleil pendant douze à dix-huit mois pour ensuite récolter le fruit de nos efforts. Même si la majorité de l’eau utilisée est salée, cette pratique cause un grand stress sur les communautés locales qui vivent déjà dans des régions arides : les rivières ne s’écoulent plus au même débit qu’autrefois, au grand désarroi des agriculteurs qui dépendent de ces dernières pour leur subsistance.
« Il n’est pas rare de voir des enfants travaillant à mains nues dans des tunnels non sécuritaires »
Avec un manque d’encadrement, l’extraction du lithium peut mener à des conséquences environnementales encore plus catastrophiques. Les sites d’extraction, particulièrement ceux qui utilisent des méthodes plus conventionnelles, contiennent des toxines dangereuses qui peuvent s’échapper dans l’air, l’eau et le sol. Malheureusement, ce ne sont pas tous les pays qui ont les moyens d’implanter avec rigueur les normes minimales de sécurité lorsque vient le temps de réglementer les compagnies minières. Le Tibet n’est pas étranger à ce genre d’incident : des déversements d’acide non réglementés dans les rivières du pays (provenant des mines de lithium) mènent à la destruction des écosystèmes.
Le cobalt, jouant un rôle important dans la confection de batteries au lithium, provoque aussi son lot de controverses. Près de 60% des réserves exploitées de ce métal sont situées en République démocratique du Congo : ce pays n’est malheureusement pas en mesure d’implanter des réglementations efficaces, tout comme on a pu le constater au Tibet. En effet, l’extraction du cobalt dans ce pays d’Afrique centrale engendre non seulement des problématiques environnementales typiques des activités minières, mais aussi des violations des droits humains. Il n’est pas rare de voir des enfants travaillant à mains nues dans des tunnels non sécuritaires, respirant les poussières dangereuses de leur milieu de travail.
Évidemment, la batterie au lithium n’est pas la seule technologie que nous voulons déployer à grande échelle qui risque d’apporter des répercussions environnementales. Panneaux solaires sur nos toits, éoliennes dans nos champs ainsi que barrages hydroélectriques sur nos rivières ne sont pas sans impacts. Je vous recommanderais aussi de prendre le temps d’observer des images de piscines en processus d’évaporation au Chili, de poissons que l’on soupçonne avoir été tués par des déversements d’acide non réglementés provenant de mines de lithium et de jeunes garçons travaillant aux mines artisanales de cobalt en République Démocratique du Congo : ces images qui frappent valent mille mots.
Passer du « How dare you !» au « How dare we ?»
Malgré les critiques que j’adresse aux énergies renouvelables, je crois tout de même qu’une transition énergétique apportera son lot de bénéfices. Malgré leurs failles, beaucoup de nos nouvelles technologies n’ont pas les défauts qu’on observe lors de l’exploitation des énergies fossiles. En effet, nous nous lançons dans une dangereuse expérience en émettant annuellement environ 37 milliards de tonnes de dioxyde de carbone dans l’atmosphère, puisque ce gaz a la capacité d’augmenter la température de la planète (particulièrement aux pôles) à cause de l’effet de serre. La combustion de charbon, grandement utilisée en Chine et en Inde, influence aussi la quantité de particules fines dans l’air ambiant. Ces particules fines peuvent mener à des problèmes cardiaques et pulmonaires pouvant aboutir à des morts prématurées. De plus, plusieurs avancées et découvertes géniales, telles que des panneaux solaires qui fonctionnent de nuit, se font sur le front des énergies renouvelables : cela me donne confiance que l’impact environnemental de chaque batterie, éolienne ou cellule photovoltaïque sur le marché devrait diminuer graduellement.
« La consommation d’énergie moyenne par Américain est d’environ 80 000 kWh par personne par année »
Donc, d’où vient mon doute qu’une « révolution verte », changeant toutes nos énergies fossiles pour des énergies renouvelables dans les trente prochaines années, risque de ne pas suffire si l’on veut réellement vivre en harmonie avec notre environnement à long terme ?
Comme il est possible de le constater sur ce diagramme, près de 85% de notre énergie totale utilisée provient d’une combinaison d’énergies fossiles : pétrole, gaz naturel et charbon. Somme toute, notre consommation d’énergie annuelle grimpe à (je vous épargne les démarches mathématiques derrière mon calcul) 153 trilliards de kilowattheures (kWh).
Si vous avez pris le temps de googler « qu’est-ce qu’un kilowattheure ? » vous avez sûrement réalisé que cette quantité d’énergie (suffisante pour chauffer votre plat au micro-onde pour les prochaines 17,4 milliards d’années) est, en effet, gargantuesque.
« Ces technologies « vertes » présentent déjà quelques problématiques et ne feront pas de miracles »
Cependant, si on distribue équitablement cette quantité d’énergie parmi la population mondiale, nous obtenons une quantité d’énergie équivalente à environ 20 000 kWh par personne par année. La consommation d’énergie moyenne par Américain, quant à elle, est d’environ 80 000 kWh par personne par année.
La population mondiale, particulièrement dans les pays en développement, augmente aussi graduellement. Ces pays en développement, qui ont l’œil sur le « American way of life », ne risquent que d’augmenter radicalement notre demande énergétique. Évidemment, des pays comme l’Inde vont vouloir offrir à leurs citoyens ce qui est reconnu comme la « haute vie » sur les marchés.
Voilà donc mon doute, suite logique mon inquiétude, lorsqu’on se fait dire que « tout ce qu’il faut, c’est de se débarrasser des énergies fossiles et le tour est joué ».
Oui, nous risquons de voir les risques de changements climatiques diminuer puisqu’on sait que l’exploitation d’énergies renouvelables émet moins de gaz à effet de serre. Cependant, est-ce qu’il reste sage de croire que multiplier le déploiement de nos technologies « vertes » pour subvenir à la totalité de notre grandissante demande d’énergie dans les prochaines décennies ne va pas créer d’autres problèmes environnementaux ? Des problèmes auxquels on n’aurait même pas pensé ? Ces technologies « vertes » présentent déjà quelques problématiques et ne feront pas de miracles. Malheureusement, l’être humain ne semble pas être capable de prédire les problèmes qu’il va créer : nous essayons plutôt de les corriger une fois que nous sommes dos au mur.
Je termine donc ce texte en vous proposant d’amorcer cette réflexion : et si le problème était situé avant tout du côté de la demande, et non de l’offre ? Autrement dit, pourquoi ne parlons-nous pas un peu plus de méthodes pour réduire de façon significative notre demande d’énergie ?
Cela nous met peut-être mal à l’aise : particulièrement nous, citoyens parmi les mieux nantis de ce monde, puisqu’il ne suffit plus simplement de prendre la rue pour réclamer « que nos gouvernements se réveillent ». Cela implique que bien qu’il soit important de réclamer du changement, il faut nous aussi nous regarder dans le miroir afin de changer nos habitudes.
Puis, devinez quoi ? Cela risque de ne pas être facile. Je pense que l’on pourrait cependant en bénéficier plus que l’on imagine. Une chose est certaine : il est important que l’on en parle davantage, que l’on s’éduque sur le sujet davantage et que l’on ne se soustraite pas de l’équation.