Le 16 janvier dernier, le groupe Désinvestissement McGill (Divest McGill) a appelé les étudiant·e·s et les membres du personnel de l’Université McGill à boycotter les épiceries Metro. L’objectif de cette campagne est de faire pression sur Maryse Bertrand, qui est à la fois vice-présidente du Conseil des gouverneurs de McGill et membre du conseil d’administration de Metro inc. Elle possède près d’un demi-million de dollars en actions de l’entreprise et retire plus de 130 000 dollars en honoraires annuels de son travail chez Metro.
Action directe
L’entreprise québécoise Metro inc. est la troisième plus importante chaîne de supermarchés au Canada. En 2018, son chiffre d’affaires dépassait les 16 milliards de dollars avec plus de 90 000 employé·e·s. Outre les 326 épiceries Metro, l’entreprise possède également des sous-divisions telles que Food Basics, Adonis et Super C. Le Délit s’est entretenu avec Samuel Helguero, membre de Désinvestissement McGill et étudiant de deuxième année de la Faculté de droit de l’Université. Il a expliqué que, outre sa relation avec Maryse Bertrand, l’organisme s’attaquait à Metro en raison de ses investissements importants dans l’industrie des combustibles fossiles, de sa création d’oligopoles et des conditions de travail malsaines que subiraient ses nombreux·ses employé·e·s. Il a souligné que, tôt dans la pandémie, l’entreprise avait mis fin à la prime salariale de deux dollars offerte depuis le 8 mars. «[Metro] semble avoir coordonné cette coupe avec d’autres grandes chaînes […] au début de la pandémie en juin », a affirmé Samuel Helguero.
Avec son boycottage, le groupe vise à la fois le désinvestissement complet de la part de l’Université en matière d’énergies fossiles et la sensibilisation de la prochaine génération aux stratégies d’actions directes.
« Ce boycottage formera une nouvelle génération d’organisateur·rice·s qui auront une meilleure maîtrise des stratégies d’action directe. Ces stratégies permettent de réaliser des gains politiques, non pas en faisant appel à la moralité ou à l’intelligence des autorités, ou en faisant élire des personnes aux bons postes, mais en exerçant une pression économique directe »
Samuel Helguero, membre de Désinvestissement McGill
Se désinvestir ou décarboniser ?
Depuis 2012, le groupe environnementaliste dirige ses efforts vers le Comité consultatif sur les questions de responsabilité sociale (CAMSR) de l’Université, qui a rejeté à trois reprises les motions de désinvestissement qui lui ont été présentées, a affirmé Samuel Helguero. Le sénat de McGill, l’Association étudiante de l’Université McGill et l’Association étudiante des cycles supérieurs de l’Université McGill, entre autres organisations, ont pour leur part manifesté leur appui au mouvement de désinvestissement.
En décembre 2019, le CAMSR a rédigé un rapport visant la décarbonisation du fonds de dotation de McGill. Ce rapport cible huit points importants – notamment la décarbonisation, l’engagement et l’investissement responsables – pour un futur plus écoresponsable.
« L’Université a agi rapidement en retirant du Fonds commun de placement (MPI) les investissements des entreprises à forte intensité de carbone, y compris ceux dans l’industrie des combustibles fossiles », a expliqué l’administration au Délit. McGill souhaiterait augmenter ses investissements dans « les énergies renouvelables, les technologies non polluantes, l’efficacité énergétique, la construction écologique, la prévention de la pollution, l’eau potable et d’autres fonds à faible émission de carbone », des objectifs qui contribueraient tous à la décarbonisation du MPI. Un investissement dans un fonds mondial pour les énergies renouvelables a déjà été approuvé par l’Université.
McGill prévoit d’atteindre la réduction de 33 % de ses émissions de carbone d’ici 2025, tel que recommandé par le CAMSR. L’Université affirme également viser la carboneutralité d’ici 2040. Les objectifs de réduction prévus par l’établissement sont « plus que ce qui aurait pu être accompli en se désinvestissant des participations dans la seule industrie des combustibles fossiles », a soutenu l’administration.
Alors que Désinvestissement McGill demande un abandon complet des industries fossiles, l’administration a opté pour la décarbonisation. Lors d’un entretien avec Le Délit, Elena Bennett, professeure à l’École de l’environnement de McGill, a affirmé que l’Université était à l’écoute de ses étudiant·e·s et de son personnel. Selon la professeure, l’établissement entreprendrait des actions concrètes comme la recherche sur les changements climatiques, la reconnaissance de l’importance des séminaires virtuels – pour réduire ou même éviter le transport aérien – et l’ajout de nombreux supports à vélos partout sur le campus, pour ne citer que quelques exemples.
Le désinvestissement ailleurs
Ailleurs au Canada, plusieurs universités ont répondu aux pressions de leurs étudiant·e·s et se sont engagé·e·s sur la voie du désinvestissement. C’est le cas de l’Université Laval et de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), deux universités québécoises. L’Université de la Colombie-Britannique (UBC) s’est également engagée à désinvestir plus de 380 millions de dollars dans les énergies fossiles. Les universités britanniques d’Oxford et de Cambridge ont également promis un désinvestissement considérable.
La Pre Bennett a souligné qu’il est important que tous·tes se désengagent autant que possible – de manière individuelle, institutionnelle ou organisationnelle – des énergies fossiles ou de tout autre investissement qui nuit à notre planète. « Je peux bien sûr comprendre les difficultés que cela pose d’un point de vue institutionnel, mais ce n’est pas impossible, comme le montrent d’autres universités », conclut la Pre Bennett.