Le 15 janvier dernier, le duo de rap montréalais Kirouac & Kodakludo a fait paraître son tout nouveau vidéoclip « YO KODAK ! (VI) ». Cela faisait plus d’un an que les artistes n’avaient pas sorti de vidéoclip, leur dernier étant « Jeanne-Mance », paru en août 2019, chanson tirée de leur micro album Summer Pack ! (2019).
C’est sans grande surprise que ces deux cinéphiles ont récidivé en nous servant un sublime vidéoclip. Autonome dans son art, c’est Kirouac lui-même qui a réalisé le vidéoclip.
« On combine les images avec les syllabes »
Dès les premiers mots de la chanson, on comprend mieux l’impression aérienne que laisse en nous l’instrumentale : « Yo Kodak / l’autre jour j’ai fumé un bat » (0:25–0:30). La prod de Kodakludo est flottante et évolue naturellement tout au long de la chanson. Même avant la toute fin de la chanson, où s’opère un changement d’instrumentale (beatswitch) pour l’excipit (outro), l’instrumentale ne stagne jamais et accompagne parfaitement le texte de Kirouac.
Dans le même esprit aérien, l’esthétique du vidéoclip est majoritairement futuriste, sans pour autant négliger la narration. Le clip s’ouvre sur les deux artistes, habillés de beige et de blanc, dans des positions stoïques avec des casques de réalité virtuelle. Par après, la caméra plonge dans leur lunette et nous donne à voir ce qu’ils visionnent : on retrouve alors les deux artistes explorant l’un des versants du Mont-Royal. Dans cette découverte de leur milieu, ils finissent par tomber sur des casques de réalité virtuelle. On retourne alors de nouveau à cet environnement épuré et futuriste du début du clip.
Le duo de la polyvalence
Savoir jouer sur différents tableaux artistiques est un art en soi. Visiblement, cet art de la polyvalence, Kirouac & Kodakludo le possède. Le texte de « YO KODAK ! (VI) » est d’ailleurs rempli de références à cette double passion pour le rap et pour le cinéma : « On est des artistes recyclables / on combine les images avec les syllabes. » (0:59) En ce sens, il y a un réel va-et-vient entre la chanson et le vidéoclip, un écho qui émane du texte et qui se fait ressentir dans l’esthétique du clip.
Kirouac évoque notamment les parcours scolaires parallèles, puis perpendiculaires des deux artistes. Bien qu’ils aient tous deux commencé des études en cinéma à l’UQAM, seul Kodakludo les a complétées : « Bientôt tu vas finir le bac / T’es un prodige and I know that it’s a fact / Moi j’ai pas fini la fac » (0:34–0:42).
Pourtant, malgré le fait qu’il ait fui les bancs d’école, Kirouac et ses talents en matière de réalisation ne sont pas à plaindre. Ayant lui-même réalisé ce vidéoclip, on comprend mieux les sens du texte : « Cinéma, man it’s a wrap / mais je veux faire ça depuis qu’j’suis cinq pieds quatre»(0:45–0:51). Comme de fait, le travail visuel est léché et novateur, et l’esthétique n’enlève rien à la narration du clip. On pourrait dire qu’avec ce fin travail de réalisation, Kirouac a su rendre compte de l’esprit général de la chanson, sans toutefois tomber dans le cliché ou dans l’explicite. Comme on dit en improvisation, une pratique théâtrale chère au rappeur, « on veut pas le savoir, on veut le voir ». Avec « YO KODAK ! (VI) », Kirouac & Kodakludo nous a bien fait voir qu’il maîtrisait l’art du cinéma.
L’art par l’image
« Il n’existe pas d’art et en particulier pas de poésie sans image. »
Rarement cette phrase du théoricien littéraire Aleksandr Potebnia ne m’a semblé aussi véridique que lorsque appliquée aux vidéoclips de Kirouac & Kodakludo. Pour le rappeur Kirouac, qui considère que « les rappeurs sont les poètes du 21e siècle », cette poésie contemporaine semble indissociable du travail cinématographique. Si la poésie peut être considérée comme l’art de raconter des images, les vidéoclips de rap, extensions phares de cet art, viennent donner une âme aux images en les apposant au texte et à la musique.
Toutefois, je considère rares les groupes de musique capables de réellement rendre compte de leur texte avec un vidéoclip. Il faut, je crois, que le vidéoclip permette de découvrir la chanson à partir d’un angle nouveau. Certes, il s’agit également d’un « outil de promotion et de branding très, très important dans la musique aujourd’hui », comme l’avait expliqué Carlos Munoz, cofondateur de la maison de disques montréalaise Joy Ride Records, dans une entrevue accordée au Délit.
Mais j’estime qu’outre cette fonction purement pragmatique, le vidéoclip doit surtout être considéré comme une œuvre d’art à part entière qui fait écho à l’œuvre d’origine. Autrement dit, un vidéoclip réussi nécessite un réel travail et du talent créateur. C’est le cas de Kirouac & Kodakludo dont les vidéoclips ne peuvent que rendre les Montréalais·e·s fier·ère·s de compter parmi eux·elles des artistes aussi prometteurs et talentueux.