L’art ne se limite pas aux murs des musées et des galeries. Il foisonne également dans les ruelles, les toits et autres endroits visibles ou secrets de la ville. Depuis une cinquantaine d’années, Montréal est devenue un musée vivant de couleurs, de murales et de sculptures. Si l’art de rue et les graffitis étaient plutôt stigmatisés et réservés au coin des ruelles isolées, ils sont de plus en plus reconnus aujourd’hui comme une nouvelle forme d’art à part entière. Au centre-ville, chaque intersection ressemble à un monde entièrement nouveau, où locaux, locales, visiteurs et visiteuses peuvent apprécier l’art urbain entre leurs occupations quotidiennes sans trop d’efforts.
L’essor de l’art de rue relève en grande partie des subventions de la Ville de Montréal et du gouvernement québécois. Chaque année, suite aux appels de projets, des contributions financières sont octroyées à des artistes locaux ou internationaux pour la réalisation de murales ou pour l’installation de sculptures publiques. D’ailleurs, depuis 1961, le gouvernement du Québec exige que les projets de bâtiments publics consacrent 1% de leur budget à des initiatives artistiques. Ces installations se retrouvent ainsi éparpillées dans toute la ville. Le boulevard Saint-Laurent reste néanmoins l’endroit le plus réputé pour ses gigantesques murales et vibrantes couleurs.
L’asymétrie des peaux
Enfants nous allions dans la même direction
Le même visage en Rorschach de brique
Je suis le genre de personne qui perd sa légèreté en courant
Le genre de personne qui compte
Tes morceaux d’armure perdus au vent
Qui constate la pesanteur héréditaire d’une robe
Je suis le genre de personne
Qui te laisse une longueur d’avance
Dans une course figée sur la matière des murs
Dans la lourdeur du temps des pas
La fragilité du balcon de notre enfance
Sache que la vitesse est une notion
Que mes pieds ne comprennent pas
Et que les fenêtres sont perdues
Lorsqu’elles miroitent ta peau
Enfants nous allions dans la même direction
Mais posséder le ciel
Ne permet pas la symétrie
-François Céré
La chambre
Accroupis
Entre les lèvres blanches de nos bois
Et l’infrarouge des squelettes de promenades
Je suis la routine des lits trop étroits
Le battement des pieds sur le métal chaud
En langue de balcon
Il faudrait savoir
Si le pouce frétillant au creux de ma main
Résistera au poids de la neige
Il faudrait savoir
Si le secret du café
Des flèches qui transpercent les maisons les chiens
Se trouve dans l’équivalence des pas
-François Céré
Se réapproprier la rue
Si l’art de rue vise à l’embellissement des lieux, à la prévention des graffitis et à l’enrichissement du patrimoine artistique, il contribue également à une démocratisation de l’art visuel et performatif. Celui-ci n’est plus réservé aux détenteurs de billets ou aux critiques : au contraire, des œuvres esthétiques ou engagées parsèment la ville pour qui veut bien les regarder. En ce sens, l’art urbain favorise une accessibilité plus équitable de l’art, et célèbre une diversité de styles et de sensations. Il mobilise également des artistes issu·e·s de communautés parfois marginalisées qui prennent part à l’amélioration du milieu de vie de ces communautés, ce qui permet à la population de mieux façonner leur quartier à leur guise et de cultiver un sentiment d’appartenance envers celui-ci. Certain·e·s artistes, provenant de communautés racisées ou autochtones, par exemple, peuvent faire rayonner leur culture et leur art dans l’espace urbain.
« Ces projets de murales visent à favoriser l’accessibilité à la culture et à susciter l’engagement culturel et citoyen. Ils cherchent à positionner la culture comme vecteur de liens sociaux et contribuent ainsi au développement des communautés locales, notamment à la construction identitaire et au développement »
Ville de Montréal
En favorisant une émancipation des voix artistiques minoritaires, l’art de rue permet également à ces mêmes voix une certaine pérennité dans l’espace urbain et dans la mémoire collective. Il rend possible l’augmentation artistique du paysage urbain, mais il augmente aussi, par les phénomènes esthétiques qu’il porte à nos yeux, notre propre rapport à l’art. Il n’est pas rare que l’art mural se greffe à notre routine et à nos souvenirs. Pour un poète, la phénoménologie artistique que propose l’art de rue peut jouer un rôle primordial dans son processus d’inspiration, en ce sens que le poète écrit en fonction d’expériences et de phénomènes sensoriels vécus. La déambulation dans les rues augmentées par l’art foisonnant permet d’activer cette inspiration en « forçant » ces expériences esthétiques et ces phénomènes sensoriels sur notre conscience.
L’inspiration activée par la rue
Tout ce qui constitue l’inspiration créatrice – occasionnée par la recherche active des phénomènes qui agissent sur nous et déclenchent des stimulus, des chaînes de liens causaux ou encore une réactualisation de notre mémoire sensorielle et émotive – pourrait être considéré comme des mécanismes actifs d’inspirations phénoménologiques. La déambulation poétique permet ces mécanismes, car le fait de se déplacer activement dans le monde permet ce rapport aux expériences phénoménologiques nouvelles ou, du moins, leur possibilité. C’est cette combinaison entre la conscience et ce qui lui est extérieur, mais qui agit sur elle, qui me semble particulièrement féconde lorsque l’on parle de création poétique en lien avec un espace urbain augmenté. La déambulation agirait comme un anti-immobilisme en regard de l’inspiration standard.
Lorsque l’on traite de création, l’on parle souvent d’un primat accordé à l’activité dite intellectuelle ; c’est-à-dire l’homme seul avec sa conscience. Cependant, quand l’on analyse ce qui permet la création, l’on observe que c’est bien souvent les connaissances acquises par le biais de nos sens qui forment cette activité intellectuelle et, plus particulièrement, le sens de la vision. C’est le principe même de l’imagination qui dépend, à sa source, de cette aptitude sensorielle. La déambulation dans l’espace, où l’art de rue foisonne et nous bombarde de ses phénomènes visuels, semble être un excellent moyen pour une population de retrouver une part d’inspiration et de se réapproprier le sublime.
insularité des gratte-ciels
les passants oublient qu’il y a
un fleuve dans leurs veines
je pars à ta recherche
vêtue d’asphalte avec les autres
offertes sous les roues les corps
où l’hiver ne demande qu’à mourir
j’étale mon sang sur la brique
le trop-plein de ciel que tu léchais
sur ma peau faute d’horizon
la ville m’embrasse
je rêve son érosion
les côtes infirmes en incendie
et si je brûle
tu viendras me noyer
-Florence Lavoie
la nuit je fume avec des inconnus
je m’offre aux ruelles
rejoins les chairs endormies
j’oublie les fenêtres trop petites
montréal qui hurle
mes offrandes infertiles
je remplace la verdure
avec du béton armé
coincé entre deux briques
en filigrane d’un poumon
pour que tu me regardes je
peins une murale
avec les couleurs de mes poignets
je me vide
pour te voir arriver trop tard
-Florence Lavoie
Montréal participe chaque année à deux festivals dédiés à l’art de rue. Le premier est Under Pressure, un festival annuel de graffitis. Le second est le Festival Mural, l’un des plus grands festivals d’art de rue au monde. Plusieurs ressources numériques visant la promotion de l’art urbain montréalais sont à votre disposition. Cliquez ici pour explorer Montréal et ses murales grâce à des parcours personnalisés ou commentés.