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Renaud presque mort, le punk toujours pas

« Mon beauf”», repris par Pogo Car Crash Control chez Slam Disques. 

Adélia Meynard | Le Délit

Santiagues, punk hardcore et compilation indépendante. Jeans à pattes d’éléphant, blondinets et underground montréalais. Si vous ne voyez pas le rapport, c’est a priori normal : pas évident d’imaginer une chanson de Renaud beuglée par les punks de Pogo Car Crash Control, encore moins sur un label québécois. Mais alors, que s’est-il passé ? Eh bien, il semblerait qu’une curieuse fusion culturelle ait été opérée, une mixture peu rassurante concoctée dans une grosse marmite un peu sale, dont la valeur gustative pourrait paraître incertaine. Et pourtant — il faut l’admettre — on a affaire à du bon bouillon, du très bon bouillon. 

Reprenons les choses dans l’ordre. Mon beauf’ sort pour la première fois sur Le retour de Gérard Lambert, cinquième album studio de Renaud, qui paraît au début de la décennie du démon, les années 1980, apogée de Partenaire particulier et du télé-achat. Sombre époque, mais au moins, Renaud détestait la police. Il avait un blouson en cuir bien court, un bandana, et une mobylette. Il était antimilitariste, antisystème et anarchiste sur les bords : une sorte de rockeur loubard, punk sans l’être. Noyé dans la fumée avec Gainsbourg et ses copains de Charlie Hebdo, il refaisait le monde sur le plateau de Droit de Réponse, évoluant d’un torrent éthylique à l’autre avec l’aisance d’un saumon d’Alaska, brillant d’authenticité et de fougue. Mais les années — et quelques citernes de Ricard — ont ravi à Renaud sa prime jeunesse. Ex-lanceur de pavés, il a appris à aimer les policiers comme ses frères. Loin derrière lui les années de révolte, il s’est mis à flirter avec la droite, troquant ainsi ses véhémences utopistes pour quelques fossiles. Poivrot oublié au comptoir d’un pub interlope, Renaud n’était plus le scintillant poisson de Laisse béton, mais bel et bien un rorqual tristement échoué au coin du bar.

Le résultat est bluffant : une sorte de mutation radioactive, une interprétation pop-punk d’un morceau marqué par les synthétiseurs et la lumière fuchsia, une décharge d’énergie synaptique qui — étrangement — fonctionne à merveille

Mais le 18 décembre 2020 — et c’est là le sujet de notre discussion — le chanteur est soudainement tiré de sa torpeur par des nécromanciens blonds un peu criards. Pogo Car Crash Control, quatuor sous adrénaline et relève du punk bleu-blanc-rouge, injecte une copieuse dose de brutalité à la chanson de Renaud. Le groupe balance le tout vulgairement sur le 13e morceau de ZOO 5, cinquième édition noëlesque de la compilation de reprises punk rock signée Slam Disques. Le résultat est bluffant : une sorte de mutation radioactive, une interprétation pop-punk d’un morceau marqué par les synthétiseurs et la lumière fuchsia, une décharge d’énergie synaptique qui — étrangement — fonctionne à merveille. « Il lui a fait quatre gosses, pour toucher les allocs, lui fait l’coup d’la nuit d’noces dès qu’elle est plus en cloque ». Olivier Pernot, chanteur et guitariste du groupe, dégueule le portrait du Beauf’ à la Cabu sur son auditoire : toutes les frustrations les plus profondes sont exorcisées, sauf peut-être celle de ne pas pouvoir se retrouver au milieu d’un mosh-pit, pinte à la main et prêt à se faire disloquer la clavicule. Pour faire une comparaison hasardeuse, on a affaire à quelque chose qui pourrait presque s’apparenter à un morceau de Blink 182 ou de Sum 41, si ces groupes chantaient en français, et surtout s’ils avaient un jour été en capacité d’écrire de la bonne musique. Les riffs en palm-mute (technique où l’on place la paume de la main sur les cordes de la guitare tout en jouant) donnent envie d’aller skater avec une casquette à l’envers, le format est raccourci d’un couplet pour plus d’efficacité — pas le temps de tergiverser — et la production offre un son massif couplé à la puissance d’une prestation en direct qui — si poussé à fond — vous assurera une dispute avec votre mère. Mention spéciale aux effets de phase sur les guitares, qui permettent au morceau de conserver subtilement une part de son essence des années 80 sans tomber dans le grotesque. Le morceau est ludique, agressif, punk et diablement bien interprété : tous les qualificatifs nécessaires pour assurer son insertion sans accroc à la scène québécoise, réputée déjantée et populaire. 

Alors, que viennent faire Pogo Car Crash Control au Canada ? Slam Disques est né en 2002 de l’initiative de Jessy Fuchs, ex-bassiste du groupe de punk rock québécois eXterio. Basé à Verdun (Québec), il met un point d’honneur à promouvoir le rock francophone avec des accompagnements à 360 degrés pour les formations locales, le tout dans le respect d’une éthique 100 % DIY (do it yourself). De la direction artistique à la production, des relations de presse à la réservation en passant par le ménage dans les locaux, la petite équipe composée de Jessy Fuchs, Jo-Anick Lafrance-Bolduc, Geneviève Sirois, Karl Meury, Sébastien Gagné et Charles-Étienne de Villers gère l’intégralité des opérations dans un profond esprit de débrouillardise propre à la scène qu’elle défend. Slam Disques s’impose aujourd’hui avec 40 000 albums vendus, 10 millions d’écoutes en ligne par an, 160 clips produits pour les groupes et plus de 800 concerts : un franc succès dont le Québec peut être fier.

Slam Disques s’impose aujourd’hui avec 40 000 albums vendus, 10 millions d’écoutes en ligne par an, 160 clips produits pour les groupes et plus de 800 concerts : un franc succès dont le Québec peut être fier

D’ailleurs, Pogo Car Crash Control n’est pas le seul groupe français à être produit par les agitateurs de Slam Disques et de sa contrepartie Hell for breakfast : non-moins punk, Guerilla Poubelle a également signé chez le label québécois, et les deux groupes devaient même passer à Montréal pour deux concerts en avril dernier, le premier dans un lieu autogéré d’Hochelaga dont l’adresse et le nom resteront tus (« ask a punk », comme dit l’adage), et le second, le même jour à Turbo Haüs, mythique bar-concert sur Saint-Denis géré entre autres par Sergio, ex-bassiste de Trigger effect. Eh oui, le Canada, pour les groupes français, c’est un peu la terre sainte, et c’est encore plus vrai quand on parle de musique musclée. Plus précisément, au Québec, les jeunes formations hexagonales peuvent conjointement profiter du frisson de la tournée internationale, de la francophonie de la province, et surtout, d’une scène indépendante extrêmement développée. Les guenilles, BIRMANI, Oktoplut et Valérie Vaughn font partie de cet underground montréalais survolté, sans oublier bien sûr Fuck Toute, le groupe de hardcore des ex-Guenilles, véritable dynamite auditive également signée chez Slam Disques dont le deuxième album est en production pour mars. Pour patienter, leur désopilante reprise du morceau de trois secondes You suffer de Napalm Death est sur ZOO 5. Vous voyez ? C’est ça le bonheur d’une scène soudée : tout est lié.

Dans l’attente de pouvoir aller mettre le feu dans ce qu’il restera des salles montréalaises, je vous invite à aller jeter une oreille à ces quelques reprises, à soutenir financièrement vos artistes locaux si le cœur vous en dit et, surtout, à vous tenir prêt pour la fin de cette crise qui affecte le milieu culturel musical : la scène aura besoin de vous plus que jamais. Enfin, n’oubliez surtout pas : une reprise punk de Renaud sur un label québécois, c’est tout à fait possible et ça défonce des murs à coups de pelle, bien plus que Céline Dion, c’est certain. 


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