Le climat universitaire à McGill semble de plus en plus toxique. Pour moi qui suis étudiant à l’UQAM, les incidents qui ont cours à McGill semblent révéler une conception nouvelle de la liberté académique. Les limites que veulent poser l’Association Étudiante de l’Université McGill (AÉUM) à la liberté académique rendent toutes revendications contre-productives, malgré toutes les bonnes intentions de leur démarche. Bien que ces limites me semblent en partie légitimes : il est important que les enseignant·e·s offrent un environnement sain pour tous·tes et propice à la transmission du savoir. Il ne faut toutefois pas dénaturer le sens même des institutions universitaires.
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Les universités sont sensées être des portes ouvertes vers le savoir et la connaissance. Ce sont des lieux où intellectuel·le·s, scientifiques, philosophes et étudiant·e·s débattent et participent à la création du savoir. Le savoir n’est pas acquis : il est créé. Il se crée à partir d’une vision du monde, à travers des valeurs, et ce, particulièrement quand l’on parle des sciences humaines.
L’AÉUM affirme « qu’en tant qu’universitaires, [les professeur·e·s] ont la responsabilité de séparer leurs idéologies privées de leur travail et de leur statut de membre du corps enseignant ». Pourtant, la transmission du savoir est et sera toujours chargée d’une idéologie et de valeurs même dans un contexte universitaire, car les théories présentées dans le contexte académique sont elles-mêmes toujours chargées politiquement. Tenter d’effectuer le contraire s’avère, selon moi, impossible et même nuisible, car la simple exposition d’une série de faits ne permet pas l’enrichissement des réflexions déjà existantes ainsi que l’avènement de nouvelles théories et paradigmes.
La constellation des subjectivités
L’utilisation de plusieurs théories dans l’enseignement est très importante pour analyser les différents phénomènes sociaux. Naturellement, les théories enseignées se doivent de faire preuve d’une incontestable rigueur scientifique, sans quoi le savoir transmis n’est plus du savoir. Il est important que plusieurs théories coexistent dans le milieu académique, puisque dépendamment du contexte, ce n’est pas toujours la même théorie qui sera la plus pertinente.
L’étude des relations internationales est un exemple où plusieurs théories se côtoient pour tenter d’interpréter les phénomènes internationaux. Les néoréalistes interpréteront les relations internationales en considérant la structure internationale comme étant anarchique en raison de ses contraintes. Les néolibéraux ont une analyse bien plus large des relations internationales et incluent dans celles-ci les acteurs non-étatiques et transnationaux, ce que ne font pas (ou peu) les néo-réalistes. Quant aux néogramsciens, inspirés du matérialisme historique, ils analysent la dynamique qui permet aux forces sociales dominantes de se maintenir au pouvoir.
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Chacune de ces théories a ses forces et ses faiblesses, ses zones d’ombres, de gris et de lumière. Chacune de ces théories a d’ailleurs ses partisan·e·s et ses détracteur·trice·s. Certaines sont intrinsèquement plus pertinentes que d’autres mais cette pertinence est aussi relative en fonction du contexte d’étude et des éléments que l’on souhaite analyser. Cela n’empêche toutefois pas qu’elles doivent être débattues sur un pied d’égalité. Elles se doivent de coexister : c’est dans le choc des idées qu’émergent les meilleures théories, contrairement à ce que semble penser l’AÉUM. La réalité se situe avant tout au croisement des différentes subjectivités. Ce croisement ne se fait toutefois pas pleinement au centre de la constellation des subjectivités, mais sur un point que nous devons collectivement trouver grâce au rigoureux processus académique. C’est à partir de ce moment que nous pourrons affirmer que nous contribuerons tous·tes à la création d’un savoir qui correspond à la réalité.
Faire place à la critique
Les revendications de l’association étudiante sont légitimes et indispensables. Sur le fond, ce qui est réclamé est une plus grande prise en considération des théories critiques, c’est-à-dire les théories critiquant ou décrivant les structures de domination en place, dans la transmission du savoir. Cependant, l’association étudiante se trompe sur la manière d’y arriver et dénature elle-même la nature de ses propres revendications au point de remettre en question le rôle de l’université en tant que lieu de débat. Il est donc important pour l’association de crédibiliser ses propos en s’interrogeant sur le modèle même de l’enseignement. La relation d’unilatéralité verticale entre le·la professeur·e et l’étudiant·e se doit d’être remise en question au profit d’une relation de bilatéralité horizontale.
L’association étudiante doit donc encourager une transformation des rapports professeur·e·s‑étudiant·e·s et non pas leurs simples inversions. À cet égard, l’apport d’un certain Paulo Freire aux théories de la pédagogie est particulièrement pertinent. Avec sa pédagogie des opprimés, Freire invite à la réinvention des rapports qui lient le·la professeur·e·s à ses étudiant·e·s et à la société. Cette théorie encourage ainsi la réinvention du rôle du pédagogue qui ne doit plus entretenir une relation unidirectionnel avec l’étudiant·e. L’étudiant·e est donc invité·e à participer à la création du savoir qui s’inscrit dans les expériences personnelles de ce dernier, ce qui apporte une nouvelle source de subjectivité dans le savoir. Une telle méthode vise donc à permettre l’addition de nouvelles subjectivités à la constellation des subjectivités et qui, espérons-le, permettra l’émergence d’un savoir qui correspondra davantage à la réalité.
L’association étudiante encourage ainsi ce qu’au contraire elle se doit de condamner, soit l’unilatéralité des relations entre le·la professeur·e et l’étudiant·e. En considérant l’université comme prestataire de services, l’Association vient placer l’élève en tant que client·e. Les conséquences qu’amènent cette vision des choses n’est que la simple inversion du rapport qui unit actuellement professeur·e et étudiant·e. Naturellement, cela appauvrirait le débat académique en maintenant l’unilatéralité des relations. Pour régler la crise à laquelle fait face McGill, les étudiant·e·s tout comme l’Université se devront de mettre de l’eau dans leur vin et devront surtout et avant tout réinventer le rapport qui unit l’enseignant·e à l’élève.