Le dimanche 24 janvier dernier, un vent de panique s’est propagé parmi les occupant·e·s du New Residence Hall (NRH), une résidence étudiante administrée par l’Université McGill. Vers 14h30, plus d’une dizaine d’entre eux·elles ont reçu un courriel de l’Université les avisant qu’ils·elles devraient quitter le campus avant 10h le lendemain matin. Ces étudiant·e·s avaient tous·tes en commun d’avoir été surpris·es en train d’enfreindre les règles sanitaires en vigueur dans les résidences mcgilloises. L’univeristé n’a donné aucun chiffre officiel, mais plusieurs vagues d’expulsions similaires auraient eu lieu, touchant aussi d’autres résidences.
« Je suis rentré du patinage vers 15h30 et j’ai vérifié mes courriels entrants et l’un d’eux disait que je devais quitter [ma résidence] avant 10h00 le lendemain », témoigne un étudiant de première année.
L’ordre d’expulsion précisait que les étudiant·e·s concerné·e·s n’auraient pas le droit d’accéder aux résidences de McGill pendant sept jours, à moins d’avoir une autorisation écrite du Doyen des étudiants ou de l’officier·ère disciplinaire de leur résidence. Les étudiant·e·s – dont la plupart ne sont pas des résident·e·s de Montréal – ont donc dû se trouver un nouveau gîte en catastrophe.
Dans l’ordre d’expulsion – qui tenait en moins d’une page – reçu par les étudiant·e·s, McGill a fourni une liste d’hôtels affiliés à l’Université où les étudiant·e·s pourraient passer leur semaine. « Les hôtels qui nous ont été proposés étaient tous trop chers ; ce n’était pas du tout réaliste pour nous », affirme un étudiant contacté par Le Délit. Pour éviter de payer le prix fort – autour de « 900$ par semaine », selon l’étudiant – la plupart des étudiant·e·s auraient donc choisi de résider dans des Airbnbs ou des appartements d’ami·e·s.
Les raisons de l’expulsion
Le 28 janvier, trois jours après l’expulsion, une rencontre virtuelle a eu lieu entre l’administration de l’Université et les étudiant·e·s, qui pouvaient y assister de manière anonyme. Le vice-principal à la vie étudiante, Fabrice Labeau, a commencé par clarifier les règles en vertu desquelles les étudiant·e·s avaient été expulsé·e·s si soudainement du campus. Selon le Code de l’étudiant, qui contient les règles régissant la vie étudiante, un·e agent·e disciplinaire peut exclure un·e étudiant·e des établissements du campus pendant une période allant jusqu’à dix jours, et cela, avec le simple aval du Comité de la discipline étudiante. Cette méthode permet de contourner les processus administratifs qui sont d’ordinaire nécessaires pour imposer une sanction d’une telle gravité.
Plusieurs étudiant·e·s contacté·e·s par Le Délit disent avoir été pris·es par surprise. En effet, les violations du code de conduite des résidences suivaient jusqu’alors la règle des « trois chances » : deux infractions mineures étaient tolérées avant que ne s’appliquent des sanctions disciplinaires. Or, l’Université a modifié, le 12 janvier dernier, son Manuel des résidences. À la page 26, une phrase spécifie désormais qu’un·e étudiant·e fautif·ve peut, dès la première infraction, « transitionner » directement aux mesures disciplinaires les plus graves, sans passer par des avertissements préalables ou par des rencontres disciplinaires.
« Nous nous sommes rendus compte que le modèle des trois chances poussait les étudiant·e·s à commettre des infractions, puisqu’il leur apparaissait qu’ils·elles ne couraient aucun risque lors des deux premières infractions »
Fabrice Labeau
Selon les étudiant·e·s rencontré·e·s par Le Délit, ce changement serait passé largement sous les radars. Un seul courriel aurait été envoyé aux étudiant·e·s, le 12 janvier, pour leur annoncer que le Manuel des résidences avait été modifié. Le courriel appelait simplement à se « familiariser » avec les nouvelles politiques disciplinaires, sans expliciter que la politique des « trois chances » avait été abrogée. Un étudiant concerné a affirmé au Délit que s’il avait eu connaissance de ce changement, il n’aurait pas commis d’infraction.
Lors de la rencontre virtuelle avec les étudiant·e·s, le vice-principal Labeau a affirmé que les étudiant·e·s avaient de toute façon tort de se réunir, puisqu’ils·elles enfreignaient non seulement les règlements de l’Université mais aussi les directives de la Santé publique. « Personne ne peut affirmer honnêtement qu’il ne savait pas qu’il n’avait pas le droit de visiter ses amis, alors que toute la province traverse une crise sanitaire.»
Une décision difficile
Le vice-principal a affirmé que l’administration n’avait pas pris cette décision le cœur léger, disant comprendre les défis auxquels font face les étudiant·e·s. Au début et à la fin de la réunion, il a encouragé les étudiant·e·s à prendre soin d’eux·elles-mêmes et à utiliser toutes les ressources à leur disposition pour passer à travers cette période. « Nous n’avions pas d’autre choix que de prendre ces mesures. La situation est critique à Montréal et il y a eu beaucoup, beaucoup de violations des règlements. » Le 25 janvier, McGill a annoncé que 44 étudiant·e·s en résidence avaient contracté la COVID-19, dont 33 dans une même résidence, la Royal Victoria College. Par mesure de précaution, il a été demandé à tous·tes les occupant·e·s de cette résidence de passer un test de dépistage.
« C’est clair que nous avons servi d’exemple. Évincer plein d’étudiant·e·s comme ça, avec moins d’une journée de préavis, ça marque les esprits et ça va pousser les autres à faire plus attention »
Un étudiant expulsé
Fabrice Labeau a affirmé que McGill avait fait preuve d’humanité dans son traitement des étudiant·e·s. À la suite de l’expulsion, des responsables auraient appelé chaque étudiant·e individuellement pour s’assurer de leur état et de leurs plans pour la semaine à venir. Les étudiant·e·s qui ont demandé un peu plus de temps avant de partir ont eu droit à des accommodements, selon le vice-principal.
Il a aussi clarifié que, contrairement à ce que disait la rumeur, les étudiant·e·s expulsé·e·s conservaient leur droit d’accès aux autres bâtiments du campus, en particulier aux bibliothèques où ils·elles pourraient continuer à étudier.
Toutefois, le vice-principal Labeau est resté ferme sur un point : McGill n’apportera aucun soutien financier pour pallier les dépenses encourues par les étudiant·e·s en raison de leur expulsion. Il en ira de même pour les coûts alimentaires, les étudiant·e·s en résidence ayant normalement accès à un forfait repas obligatoire. Pour le vice-principal, il s’agit d’une question d’équité : toute la population du Québec doit se confiner en ce moment et les étudiant·e·s doivent assumer leurs responsabilités.
À leur première infraction
Selon Fabrice Labeau, nombre étudiant·e·s expulsé·e·s n’en étaient pas à leur première infraction. Or, les étudiant·e·s contacté·e·s par Le Délit ont tous·tes dit en être à leur première. Certain·e·s se sont fait prendre dans une chambre avec quelques ami·e·s par un garde de sécurité qui arpentait le bâtiment. Après que celui-ci ait photographié leurs cartes étudiantes, ils·elles disent n’avoir eu aucune nouvelle jusqu’à l’annonce soudaine de leur éviction, quelques jours plus tard.
→ Voir aussi : La communauté de McGill aux prises avec des problèmes de santé mentale
Les étudiant·e·s sont partagé·e·s sur les mesures prises par l’Université. L’un d’entre eux a affirmé au Délit qu’il croit que McGill agissait pour éviter la controverse. Il a remis en question le bien-fondé de cette décision pour la santé publique. Selon lui, plusieurs étudiant·e·s potentiellement à risque d’avoir attrapé la COVID-19 se seraient dispersé·e·s dans la ville, parfois dans des appartements d’ami·e·s ou dans des logements locatifs où ils·elles auraient pu mettre à risque davantage de Montréalais·e·s que s’ils·elles étaient resté·e·s dans leur chambre de résidence.
« Je pense que leur objectif est de faire tout ce qui est possible pour que nous ne soyons plus leur responsabilité »
Un étudiant
Bien qu’ils·elles reconnaissent leurs fautes, les étudiant·e·s expulsé·e·s disent avoir trouvé difficiles ces derniers mois dans les résidences, notamment en raison de la solitude. Les mesures sanitaires sont plus strictes qu’elles ne l’ont jamais été depuis le début de la pandémie. Dans certaines résidences, les seules visites permises sont celles d’un·e camarade unique et assigné·e ; dans les autres, aucune visite n’est permise. La plupart des lieux communs sont désormais fermés, comme les salons, les gymnases et les salles d’études où les étudiant·e·s avaient l’habitude de se rassembler avant la pandémie. Dans les cuisines et les salles de lavage, on n’accepte généralement qu’une ou deux personnes, à deux mètres de distance et avec masque. « Les mesures sont strictes ; c’est nécessaire et attendu avec la pandémie en cours. Mais nous sommes confiné·e·s dans de petites chambres qui ne sont même pas les nôtres. Oui, nous avons envie de tricher et d’aller voir nos ami·e·s », a conclu un étudiant au Délit.
« J’ai pris un risque et je l’assume, même si les conséquences sont pires que ce que je pensais. J’avais vraiment besoin de voir du monde. Je ne vais pas bien, tu sais.»