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Réflexions sur la sagesse

Les nuances de la sagesse.

Julie-Anne Poulin | Le Délit

Lorsque l’on étudie la philosophie, il y a généralement une implication que notre apprentissage est enraciné dans la sagesse et que les étudiant·e·s de philosophie en deviendront plus sages. Mais cette idée est fondée sur une conception erronée de la sagesse. Les sages sont ceux et celles qui mordent dans la vie, et non pas ceux et celles qui mènent une vie d’ermite. Devenir sage est une tâche ardue qui nécessite un grand effort de la part de l’individu. La sagesse n’est donc pas une garantie de la vie, ni même de la vie longue. Comme l’a dit Socrate : « Je ne peux rien apprendre à personne, je ne peux que les faire réfléchir. » 

Le silence de la sagesse

La sagesse est difficile, peut-être même impossible, à définir. Dans Ainsi parlait Zarathustra, Nietzsche tente d’en effleurer la surface : « Courageux, insoucieux, moqueur, violent — ainsi nous veut la sagesse : elle est femme et ne peut aimer qu’un guerrier. » Par contre, il semble manquer à cette définition de la sagesse une richesse et un silence nécessaires à celle-ci. 

La personne sage est généralement réservée et à l’écoute ; ceci n’indique pas qu’elle ne parle point, mais plutôt qu’elle est passionnée par la vie d’une telle façon qu’elle considère sérieusement les idées et points de vue des autres. Cette tendance qu’ont les sages à être judicieux et réservés peut d’ailleurs s’appliquer à tous les domaines de la vie. Par exemple, les couples qui affichent le moins leur relation sur les réseaux sociaux sont statistiquement les plus heureux. Il en va de même avec la confiance : si l’on emprunte les enseignements des stoïques, les personnes les plus confiantes sont celles qui parlent le moins. Ces exemples, lorsqu’ils sont extrapolés au concept plus large de la sagesse, démontrent en général le caractère réservé, presque silencieux de celle-ci. 

« Les sages sont ceux et celles qui mordent dans la vie, et non pas ceux et celles qui mènent une vie d’ermite »

Avoir le courage d’être silencieux, d’être un étranger dans la foule, et de ne pas ressentir le besoin de laisser une marque physique dans ce monde, voilà la véritable sagesse. Être sage, c’est exister avec la réalisation que nous n’avons aucune importance mais que, simultanément, nous sommes tout ce qui compte. Voici la philosophie mise en avant par le maître chinois Confucius, et mise en évidence le plus clairement par la figure du moine dans différentes religions. 

Les idoles décevantes de la philosophie

Beaucoup de philosophes ont vécu une vie immorale. Par exemple, Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir ont constitué un duo intellectuellement séduisant, mais ont utilisé ce pouvoir pour s’attirer une pléthore d’amantes adolescentes. Ils s’en moquaient d’ailleurs dans leurs correspondances, se vantant l’un à l’autre de leurs mensonges. Jean-Jacques Rousseau, par ailleurs, a abandonné ses cinq enfants, ce qui constituait effectivement pour eux·elles une condamnation à mort dans la France du 18e siècle. Rousseau est aussi l’auteur de plusieurs écrits qui ont connu un grand succès portant sur l’éducation des enfants, dont Émile, ou De l’éducation.

Il existe beaucoup de cas de philosophes connu·e·s qui ont mené des vies douteuses. Cependant, leurs travaux ont profondément marqué la philosophie et la culture. Alors, où sont les écrits des philosophes qui ont été de bon caractère moral dans leur vie privée et qui ont mis en pratique la philosophie pour cultiver leur vie ? Ces philosophes ne ressentent pas l’envie de dicter aux autres comment vivre ou de produire des manifestes éthiques. Ils·elles n’essayent pas d’influencer ce qu’ils·elles ne contrôlent pas – soit la vie des autres –, et sont plutôt concerné·e·s par leur propre engagement dans la vie. C’est ainsi qu’agit le « chevalier de la Foi » de Kierkegaard, présenté dans Crainte et Tremblement. Ce personnage est irremarquable, mais il s’adonne à la vie avec grâce. Il reconnaît que la façon dont il mène sa vie est le produit d’un travail ardu de sa part, et que les autres doivent suivre ce chemin par eux-mêmes pour atteindre la sagesse, et la joie que celle-ci apporte. Un jour, en rentrant du travail, par exemple, le chevalier de la Foi raconte à son ami à quel point il est impatient de goûter le souper que prépare sa femme à la maison. Arrivé chez lui, cependant, il s’avère que sa femme n’a pas préparé de souper. Le chevalier de la Foi ne perd pas sa bonne humeur à la suite de cette nouvelle ; il accepte – et adore – les faits de la vie et ne se laisse pas affecter par ce qu’il ne peut pas changer.

« Les sages ne ressentent pas l’envie de dicter aux autres comment vivre ou de produire des manifestes éthiques »

Devenir plus sage

Les êtres humains vivent environ 72 ans. Il est cependant plus que probable que cela ne soit pas l’âge requis à la personne moyenne pour devenir véritablement sage. Pour devenir sage, il faudrait nous pousser le plus possible à optimiser notre expérience humaine dans les contraintes de notre vie, même si, tout comme dans le cas du chevalier de la Foi, cela peut se produire dans les situations les plus banales. La sagesse requiert en premier lieu une humilité et une acceptation de son sort, selon Kierkegaard. Il y a eu, a, et aura toujours des individus qui nous ressemblent, qui pensent comme nous, qui ressentent les mêmes émotions que nous. Ainsi, peu importe ce qui nous arrive après la mort, les expériences qui ont rendu notre vie remarquable ne nous sont pas exclusives ; elles continuent de répandre la richesse dans la vie des autres. Tout ce que nous ressentons sera ressenti par des milliers d’individus à venir. Il y a une unité entre êtres humains dans cette sagesse. Il s’agit donc d’accepter sa propre mauvaise foi et, ainsi, celle des autres ; se pardonner ses erreurs et, ainsi, pardonner ces mêmes erreurs pour toute autre personne pouvant les commettre. 

L’une des meilleures façons de devenir sage serait d’écouter les conseils des plus sages. Beaucoup d’adultes, après le décès de leurs parents, regrettent la façon dont ils les ont traités, surtout pendant leur jeunesse. La jeune personne devrait donc faire l’effort d’assurer un rapport jovial avec ses parents. Même si les jeunes peuvent parfois manquer d’humilité face aux enseignements de leurs ancêtres, ils devraient avoir confiance en la sagesse de leurs aîné·e·s et intégrer leurs leçons dans leur vie, même s’ils ne les comprennent pas encore. De la même façon que le chevalier de la Foi s’abandonne à Dieu dans l’histoire d’Abraham, nous devons nous-mêmes parfois nous abandonner à ce que nous ne comprenons pas et avoir foi en nos aîné·e·s. Cela car la sagesse, c’est enfin avoir l’humilité d’accepter son ignorance.


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