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Une McGilloise au coeur du coup d’État birman

Témoignage d’une étudiante au combat pour sa démocratie.

Adélia Meynard | Le Délit

Le 1er février, Min Aung Hlaing, commandant en chef de l’armée birmane, a saisi le pouvoir au Myanmar par un coup d’État. Cet événement est survenu peu après la deuxième élection parlementaire du pays, au cours de laquelle le parti de la prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi avait remporté une large majorité des sièges. Après le coup, un mouvement de désobéissance civile s’est rapidement organisé pour protester contre le retour au régime militaire, qui a caractérisé le Myanmar de 1962 à 2011. Vendredi, la répression policière a fait une première mort : une manifestante de 20 ans. Le Délit s’est entretenu avec Alice (nom fictif), une Birmane de 20 ans et étudiante à l’Université McGill. Elle réside en ce moment à Yangon, la capitale économique du Myanmar. 

« La veille, j’avais blagué avec mes amis sur la possibilité d’un coup d’État, c’était dans l’air depuis une semaine »

Alice

Réveil brutal

« Le 1er février, j’ai été réveillé à 6h30 par un appel entre mon oncle et ma mère. J’avais deux ou trois heures de sommeil dans le corps, ma mère parlait fort et il y avait de l’urgence dans sa voix. Elle m’a dit que notre dirigeante Aung San Suu Kyi avait été arrêtée. Je suis allée sur Twitter et la nouvelle a commencé à apparaître. »

À 7h30, les lignes téléphoniques ont été coupées et la télévision ne diffusait plus que la chaîne militaire. À 8h30, l’armée a annoncé qu’elle prenait les rênes du pays pour un an. « J’étais en état de choc », a rapporté Alice qui a grandi sous un régime militaire, a voté pour la première fois en 2020 et porte encore sur l’auriculaire la tache d’encre noire indélébile que le pays utilise pour éviter les fraudes électorales. La réponse de son voisin, comme beaucoup de ses compatriotes, a été « l’achat-panique » – pire qu’au début de la pandémie, nous raconte-t-elle – et la course aux guichets automatiques.

Résistance de la population

Le vendredi, 4 jours après le coup, le mouvement de désobéissance civile s’est mobilisé. L’armée a coupé l’accès aux réseaux sociaux, sur lesquels le parti qui était précédemment au pouvoir, la Ligue Nationale pour la Démocratie, était très présent. Au moment où Alice s’est confiée au Délit, le 15 février, les Birmans en étaient à leur dixième jour de contestations. 

« Nos parents ont vécu l’insurrection de 1988, j’ai vécu celle de 2007. On est en 2021, on sait comment l’armée opère »

Alice

Après les manifestations de la journée, le combat se poursuit durant la nuit, où la police vient arrêter les militants dans leur demeure. Pour se défendre, ces derniers cognent des casseroles et poêles entre elles pour réveiller leurs voisins, qui font de même jusqu’à ce que les policiers soient repoussés. 23 000 prisonniers ont été libérés par les nouveaux dirigeants ; Alice et d’autres résistants craignent qu’il s’agisse d’une manœuvre pour libérer des cellules afin d’incarcérer les contestataires. Selon elle, l’armée libère ces prisonniers pour causer des troubles civils et justifier la prise du pouvoir. Les gens organisent maintenant des rondes de nuit pour prévenir les attaques de la police et des ex-prisonniers, raconte-t-elle. 

Le combat d’une génération

Les jeunes Birmans ont repris le slogan « you messed with the wrong generation » (« vous vous en êtes pris à la mauvaise génération », tdlr), utilisent le salut à trois doigts de la saga littéraire et cinématographique Hunger Games et coordonnent leurs actions grâce à Internet. 

« On a une nouvelle manière de se battre : on utilise des memes, de l’humour noir et les réseaux sociaux »

Alice

La jeune militante a raconté que lors du deuxième jour de protestation, les manifestants, en groupes de 400 à 500 personnes, se sont dispersés à travers Yangon. Ils se tenaient informés de leurs mouvements sur les réseaux sociaux afin d’éviter un face-à-face traditionnel avec la police. 

→ Voir aussi : Les Ouïghours génocide au 21e siècle

Alice et son groupe d’activistes ont aussi un groupe Telegram (une application de messagerie sécurisée, ndlr) sur lequel sont partagées des adresses de cliniques en cas de blessure, une liste d’avocats à contacter en cas de détention et des affiches à distribuer. Son groupe vérifie aussi les informations sur le coup d’État et rassemble des preuves de violations des droits humains. 

Étudier malgré tout

Le jour du coup d’État, l’étudiante en économie et développement international a tout de suite envoyé un courriel à ses professeurs. Ils se sont tous montrés compréhensifs, sauf un duquel elle n’a toujours pas obtenu de réponse. Elle n’a pas non plus obtenu de réponse du Service aux étudiants internationaux, mais elle a été contactée directement par le doyen à la vie étudiante Robin Beech. Seule étudiante du Myanmar à McGill qui étudie à distance à cause de la pandémie, Alice est dans une situation à laquelle l’administration de l’Université n’a jamais été confrontée. La jeune femme se dit néanmoins agréablement surprise de la réaction de McGill.

Malgré cette aide, elle n’avait pas été en mesure d’étudier dans les deux semaines qui ont précédé l’entrevue. Elle subit de fréquentes coupures d’Internet et n’arrive pas à se mettre dans le bon état d’esprit.

« J’ai peur pour ma vie, je suis inquiète pour mon avenir, ce n’est pas essayer de résoudre un problème de statistique qui va m’aider »

Alice

L’étudiante est aussi inquiète par rapport aux critères de réussite académique liés à la bourse dont elle dépend pour payer ses études à McGill. La bourse est conditionnelle au maintien de hautes notes.

Selon Erik Kuhonta, professeur associé en science politique de l’Université McGill, l’armée birmane a déplacé ses véhicules des frontières vers les villes, ce qui laisserait présager une réponse plus violente au mouvement de contestation dans les semaines à venir. Lors des révoltes de 1988, l’armée avait tué plus de 3000 protestataires. Selon le professeur, la reprise du pouvoir par l’armée d’une durée prévue d’un an a pour but de réintroduire un régime parlementaire avec un système électoral plus favorable au parti allié des militaires, le Parti de l’union solidaire et du développement.


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