Originaire du Gabon, Dieudonné Ella Oyono était lui-même étudiant étranger à Montréal au début des années 2000. Peu de temps après son arrivée, il a œuvré auprès du gouvernement québécois en tant qu’économiste. Il a milité au sein du Parti Québécois, parti politique dont il est devenu président en 2019. Le Délit s’est entretenu avec l’auteur de Comment tomber en amour avec son nouveau pays ? (2018).
Le Délit (LD): M. Oyono, votre parcours parle d’un engagement très fort dans votre société d’accueil, ce que vous racontez dans vos mémoires. Qu’est-ce qui vous a motivé à vous engager politiquement au Québec ?
Dieudonné Ella Oyono (DO): Comme beaucoup d’étudiants internationaux, j’ai débarqué à Montréal en me disant que j’allais retourner au Gabon. 20 ans plus tard, je suis toujours là parce que Montréal et Québec, c’est chez moi maintenant. L’accueil et tout le soutien que j’ai reçu me poussent à vouloir redonner et faire ma part pour que chacun, quelle que soit son origine, réalise ses rêves ici au Québec. Le Québec est une terre d’accueil formidable où tout n’est pas parfait, mais il a besoin des efforts de tous pour avancer et se tailler une place enviable en Amérique du Nord. Je suis fier et me sens privilégié de participer au développement économique du Québec.
LD : Quelles sont les stratégies que le Québec peut mettre en œuvre pour encourager les étudiants internationaux à s’y installer ?
DO : Basé sur mon expérience, je constate que l’intégration du marché du travail est plus facile pour des gens qui ont étudié ici. Je pense qu’il faudrait améliorer le succès de ceux qui n’ont pas eu cette chance en travaillant avec les ordres professionnels et en accélérant la reconnaissance des acquis et des compétences. Ceci dit, la position de Montréal comme ville universitaire reconnue mondialement est enviable, et on doit s’assurer de la conserver. En ce qui concerne les changements touchant l’accueil et la rétention des étudiants internationaux, il faut que tous les acteurs soient mis à contribution pour que Montréal continue de se démarquer.
« Quel qu’il soit, un système d’immigration ne sera jamais parfait, mais tenter d’arrimer l’immigration aux besoins du marché du travail est une approche responsable »
LD : Certains disent que dans la « course aux étudiants étrangers », le Québec se trouve désavantagé par rapport au reste du Canada. Pourquoi ? Est-ce que la pandémie, ou encore les changements récents portés aux programmes d’immigration visant les étudiants internationaux, risquent d’aggraver cette situation ?
DO : Je ne partage pas nécessairement cette analyse. C’est vrai qu’il y a eu une réforme des politiques d’immigration touchant les étudiants internationaux, mais la levée de boucliers à la suite de certaines décisions et le recul du gouvernement montrent que l’impact négatif appréhendé sera plus faible. Malgré les changements récents au Programme de l’expérience québécoise (PEQ), je suis optimiste pour l’avenir, car il y a une réelle volonté d’attirer et de retenir les étudiants internationaux. D’ailleurs, des organismes comme Montréal International y travaillent et obtiennent des résultats intéressants.
Je crois personnellement que le Québec, ayant des ententes avec le gouvernement fédéral en matière d’accueil de certaines catégories d’immigrants, dont les étudiants internationaux, est bien positionné par rapport au reste du Canada. En matière d’accueil et de rétention d’étudiants internationaux, nous pouvons faire des choix adaptés à la situation du Québec. Quel qu’il soit, un système d’immigration ne sera jamais parfait, mais tenter d’arrimer l’immigration aux besoins du marché du travail est une approche responsable.
Quant à la pandémie, elle aura un impact similaire au Québec comme au Canada sur l’accueil d’étudiants internationaux. Plusieurs universités ont offert à ces derniers de suivre les cours à distance. L’expérience n’est pas très concluante, notamment à cause du manque d’accès à l’internet haute vitesse dans plusieurs pays. Comme dans le domaine du tourisme international, je crois que le Québec retrouvera dans quelques années le niveau d’étudiants internationaux qu’il accueillait avant la pandémie. Pour cela, il faut que les mesures sanitaires soient relâchées graduellement à partir de l’automne 2021, car si la situation actuelle perdure, il se pourrait que les étudiants choisissent d’autres destinations. La pandémie a accéléré l’adoption de certaines technologies dans le monde des études universitaires, mais je crois que, malgré tout, plusieurs milliers d’étudiants continueront à venir dans nos universités afin de vivre une expérience qui ne peut se vivre à distance. À ces étudiants, il faudra leur montrer nos avantages comparatifs tels que l’écosystème universitaire montréalais, la possibilité d’étudier en français en Amérique du Nord, la qualité de vie, la sécurité, etc.
LD : Prévoyez-vous un décroissement dans le nombre d’étudiants étrangers qui choisissent de venir à Montréal à l’avenir ? Quels en seront les impacts sur l’économie montréalaise, et plus précisément, les revenus des universités qui dépendent de plus en plus de leurs frais de scolarité ?
DO : C’est clair que la fermeture des frontières depuis un an a un impact négatif sur le nombre d’étudiants qu’accueillent les universités montréalaises. Puisque les étudiants louent des appartements et achètent des biens et des services, moins d’étudiants signifie moins de dépenses, ce qui a un impact significatif sur l’économie de la métropole. Toutefois, une nuance s’impose : l’impact vient davantage de l’absence des nouveaux étudiants. Ceux qui étaient déjà à Montréal poursuivent techniquement leurs études et sont susceptibles de changer de statut pour demeurer plus longtemps au Québec. Lorsque la pandémie sera derrière nous, il sera intéressant de mesurer cet impact de façon plus précise.
Sur la question du financement des universités, je ne suis pas un expert. Je peux simplement dire que la baisse des revenus anticipés met certainement plus de pression sur les finances des universités. Pour les étudiants internationaux, je crois qu’il faudrait ajuster certains frais de scolarité qui ne devraient peut-être pas être payés par des étudiants qui ne sont pas sur le territoire.
LD : Pour ceux venant des pays en voie de développement, notamment, les restrictions de voyage s’ajoutent à d’autres problèmes de longue date liés à l’octroi des visas et permis d’études. Pensez-vous que la pandémie risque de creuser les inégalités croissantes entre pays ?
DO : C’est une préoccupation qu’il faut garder à l’esprit. Déjà en temps normal, il y a des délais plus longs pour l’octroi de visas canadiens et de permis d’études dans certains pays – je pense notamment à l’Afrique subsaharienne que je connais bien. Avant la pandémie, venir étudier au Canada était déjà réservé à des gens ayant les moyens financiers de le faire. Les restrictions de voyage et l’exigence d’un passeport vaccinal pourraient effectivement créer des inégalités, sachant que la vaccination contre la COVID-19 ne se déploie pas à la même vitesse dans tous les pays. Il faudra être vigilant dans les prochains mois pour surveiller cet enjeu.
LD : Ça renvoie à un autre phénomène marquant : le déséquilibre entre les pays d’origine des étudiants internationaux à Montréal et au Canada en général. Du moins, c’est le cas à McGill où il y a une plus forte proportion venant par exemple de la Chine, des États-Unis et de la France par rapport à l’Afrique ou d’autres régions en voie de développement. Est-ce que le Québec doit mieux diversifier le recrutement des étudiants étrangers ?
DO : Sans avoir de chiffres précis, j’observe effectivement ce phénomène. On peut d’ailleurs le constater au niveau des immigrants économiques. Cela s’explique par le fait qu’il faut avoir les moyens financiers pour immigrer, quelle que soit la raison de cette immigration. On peut donc très facilement faire le lien entre les pays d’origine des étudiants internationaux plus présents au Québec et leur niveau de richesse, ou, plus particulièrement, le niveau de richesse de leurs parents. Comme la répartition de la richesse est inéquitable dans la plupart des pays en développement, cela veut dire qu’on se coupe de certains talents. La solution idéale serait une meilleure répartition des fruits de la croissance économique dans les pays en développement, ce qui donnerait des chances égales à tous. En attendant, il faut continuer à offrir des bourses d’études, mais en ciblant davantage les bénéficiaires. Actuellement, ce sont ceux qui ont les moyens de venir étudier qui bénéficient encore de ces incitatifs ; c’est totalement inadmissible !
LD : Votre dernier point rappelle vos efforts pour bâtir des ponts entre le Québec et l’Afrique dans le domaine du développement économique. Vous décrivez un continent d’une immense richesse humaine dont la diaspora africaine fait partie. Voyez-vous un rapport entre les étudiants étrangers venant du Sud et l’action du Québec sur le plan de coopération internationale ?
DO : J’aborde ce sujet dans mon livre. Pour faire court, le Québec ne semble pas conscient des transformations qui s’opèrent dans les pays en développement, particulièrement en Afrique. Les opportunités économiques, notamment en éducation, en transformation des matières premières, en énergie et en nouvelles technologies, y sont abondantes. Le Québec devrait accroître sa présence en Afrique avec une vraie « Politique Afrique », et l’un de ses atouts est la forte présence d’étudiants originaires du continent.
« Il faut arrêter de voir seulement le côté économique des nouveaux arrivants ; ils nous enrichissent économiquement, mais aussi sur tous les autres plans »
LD : Cette vision globale irait peut-être à l’encontre de la tendance à réduire la contribution sociétale des étudiants internationaux, et des migrants en général, à sa dimension économique. Y a‑t-il une manière de profiter autrement de la richesse de leurs capacités et de leurs vécus ?
DO : Bien sûr que l’immigration n’est pas juste économique. Pour le Québec, les étudiants internationaux et les immigrants lui permettent d’enrichir sa culture, de pérenniser sa langue et d’inspirer d’autres nations sur les questions de justice sociale. Il faut arrêter de voir seulement le côté économique des nouveaux arrivants ; ils nous enrichissent économiquement, mais aussi sur tous les autres plans. Ce sont des citoyens à part entière et non simplement de la main‑d’œuvre.