Connu pour sa coloration blanche, le béluga de l’estuaire du Saint-Laurent est une espèce emblématique du Québec maritime. Vivant normalement dans l’Arctique, sa présence dans le Saint-Laurent est le résultat du retrait des glaciers à la fin de la dernière glaciation, il y a 10 000 ans. La région de Montréal et les basses-terres du Saint-Laurent étaient alors submergées sous une mer d’eau salée occupée par une faune nordique dont faisait partie le béluga. Alors que cette ancienne mer s’est retirée et que le Saint-Laurent a pris son aspect actuel, l’espèce s’est retrouvée dans un territoire allant de Saint-Jean-Port-Joli jusqu’à Rimouski, en passant par le Saguenay.
Bien avant que le béluga ne se fasse connaître comme le sujet central de documentaires ethnographiques de l’Office national du film (ONF), notamment Pour la suite du monde (1963), ce cétacé était apprécié comme une proie de chasse de grande valeur. D’abord prisé comme source de subsistance par les autochtones et pour l’utilisation de toutes ses composantes (peau, gras, etc.) par les Basques puis par les Français, le béluga a fait l’objet d’une quasi-extermination au début du 20e siècle – il était alors accusé à tort de faire diminuer la quantité de poissons dans le fleuve.
Une espèce en voie de disparition
D’une population estimée à 10 000 individus à la fin du 19e siècle, les estimations ne dénombrent plus qu’environ 900 bélugas dans l’estuaire du Saint-Laurent. Depuis l’interdiction de le pêcher, émise en 1979, des efforts ont été mis en place pour protéger l’espèce, notamment avec la création du parc marin Saguenay-Saint-Laurent par les gouvernements québécois et canadien en 1998. Malgré tout, le béluga est depuis 2014 considéré comme une espèce en voie de disparition selon de la Loi canadienne sur les espèces en péril. On estime que le nombre de bélugas du Saint-Laurent diminue de 1% à 1,5% par année. Des dix dernières années, 2017 est celle où les chercheurs ont dénombré le plus de pertes ; Robert Michaud, directeur scientifique au Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM) faisait état de 22 bélugas retrouvés échoués le long du fleuve cette année-là. Ce qui inquiète le plus les spécialistes est le fait que ce sont les femelles qui meurent de façon prédominante, affectant donc la capacité de reproduction de l’espèce.
« On estime que le nombre de bélugas du Saint-Laurent diminue de 1% à 1,5% par année »
La circulation des bateaux, une source de perturbation
Le béluga est particulièrement sensible au trafic maritime dans l’estuaire, car le bruit des grands navires perturbe les canaux de communication qui permettent au cétacé de se nourrir ou bien aux veaux de communiquer avec leur mère. Le projet Énergie Saguenay (aussi connu sous le nom de GNL Québec) a d’ailleurs récemment attiré l’attention sur la question, puisque l’intensification du transport maritime que causerait le passage de super-méthaniers (300 à 400 par année) aurait un impact sur l’habitat du béluga. Dans son rapport d’enquête sur GNL Québec rendu public le 24 mars dernier, le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) constate que le fjord du Saguenay est une zone cruciale pour la préservation du béluga : 67% des femelles adultes – souvent accompagnées de nouveau-nés – fréquentent la région. Le BAPE recommande également que soient pris en compte les effets cumulatifs qu’auraient non seulement GNL Québec, mais aussi les autres projets susceptibles de se développer dans la zone industrialo-portuaire du Saguenay. Outre les grands projets industriels, l’embouchure du Saguenay est déjà une zone maritime très sollicitée. Des traversiers relient les deux rives à toute heure de la journée et de très populaires excursions d’observation des cétacés ont lieu en période estivale à Tadoussac. Ces activités perturbent l’habitat du béluga en plein cœur de la zone de conservation du parc marin Saguenay-Saint-Laurent.
→ Voir aussi : La mobilisation contre GNL Québec se poursuit
L’avenir du béluga du Saint-Laurent demeure toutefois difficile à prédire considérant l’augmentation du transport maritime sur le Saint-Laurent qui se produirait si certains projets, comme GNL Québec ou Arianne Phosphate, vont de l’avant. Les efforts des chercheurs s’orientent désormais vers l’étude de la pollution sonore dans l’habitat des bélugas qui semble être la principale menace pour la sauvegarde de l’espèce, sans compter toutes les autres formes de pollution déjà existantes.