Nos ancêtres aussi, un jour, ont eu froid. L’histoire du vêtement a débuté à ce moment-là, il y a quelques dizaines de milliers d’années. Les hommes primitifs devaient donc s’habiller chaudement avec ce qu’ils avaient, les animaux étaient leur seul moyen de survivre dans les climats extrêmes. Ils commencèrent à chasser, plus seulement pour s’alimenter, mais pour se couvrir. Une fois la bête tuée et vidée, ils la portaient telle quelle ou en l’attachant avec les tendons récupérés. Ces effets vestimentaires en fourrure ou en cuir (la seule différence étant la présence de poils sur la peau ou non) n’étaient presque pas transformés, ce qui réduisait considérablement leur durée d‘utilisation. Vite tannés de voir leurs habits se putréfier, les homos sapiens découvrirent qu’il fallait tanner le cuir, c’est-à-dire l’exposer à des produits et le traiter pour qu’il devienne imperméable. Au début, des végétaux en décomposition servaient à tanner, substitués plus tard par les sels. C’est de là que vient le « je suis tanné » québécois. Avant d’être prononcé par François Legault à chaque point de presse sur le coronavirus, on sous-entendait, en utilisant cette expression, qu’on avait le corps travaillé, fatigué comme si on avait la peau qui se faisait tanner.
Cependant, les liens entre la fourrure et le Québec ne se réduisent pas à cette particularité linguistique. En effet, à partir du 17e siècle et pendant plus de 250 ans, la traite des fourrures a permis aux Européens d’obtenir des peaux de castors. Cette traite est l’industrie principale de la Nouvelle-France et représente un enjeu indicatif pour la colonisation du Canada. Les Français, alors seuls acteurs de ce commerce, utilisent une partie des bénéfices pour envoyer des colons français au Canada, qui s’installent partout d’Est en Ouest. Les Britanniques arrivent ensuite et rivalisent dans l’industrie en créant la Compagnie de la Baie d’Hudson (CBH) en 1670. Des tensions émergent de cette concurrence et provoquent les guerres iroquoises qui se terminent en 1701. Au même moment, la demande européenne pour la fourrure décline et on arrête le commerce du cuir. Plus tard, les points de ravitaillement de cuir, les « postes de traite », sont transformés en magasins de détail, tels que La Baie d’Hudson à Montréal (1886).
« Symboliquement, dans la littérature, porter la peau d’un animal tout entier permet au héros de protéger son esprit. La peau animale revêtue permet à l’âme du héros de rester dans son enveloppe »
Poils et peaux en littérature
Bien que marquants dans l’histoire du Canada, la fourrure et le cuir, leur savoir-faire et leurs utilisations ne sont délimités ni par le temps, ni par les territoires ; ils sont partout, depuis toujours. Leurs connotations dans l’imaginaire collectif, les contes et les mythes sont nombreuses. On pense d’emblée à Peau d’Âne de Perrault incarnée au cinéma par Catherine Deneuve. Dans l’œuvre, un roi souhaite épouser sa fille, Peau d’âne. Le texte est le récit de cette dernière, qui lutte contre le désir œdipien qu’elle partage secrètement. Dans cette lutte pour ne pas se marier avec son père, elle décide de lui demander une multitude de faveurs jusqu’à lui ordonner de tuer l’âne dont les crottins sont en or permettent au roi de maintenir sa richesse. Le roi fait tuer l’âne à la surprise de sa fille, qui portera la peau de l’animal sur son dos.
Symboliquement, dans la littérature, porter la peau d’un animal tout entier permet au héros de protéger son esprit. La peau animale revêtue permet à l’âme du héros de rester dans son enveloppe. Un tel habit est donc porté quand le corps humain n’est plus capable de contenir l’âme. Les pulsions d’inceste de la princesse l’agitent tellement qu’elle est à la limite de perdre le contrôle de sa vie en succombant à ce désir. On oublie souvent que la peau d’âne qu’elle porte est sale et puante. Lorsque qu’elle l’adopte, la princesse se couvre spontanément le visage de boue. Ce comportement matérialise le sentiment de la jeune fille, salie par un tabou refoulé : le ça freudien qui prend le contrôle de son moi. On comprend par ce changement vestimentaire la crainte du personnage éponyme d’être souillée à jamais si son surmoi ne peut taire le ça pour redonner à la princesse le contrôle de son moi. Elle ne retirera la fourrure que lorsque son âme ne sera plus menacée.
Plus tard, dans la littérature européenne du 19e siècle, l’écrivain Leopold von Sacher-Masoch justifiera, sans le savoir, la nécessité de former le mot « masochisme » à partir de son nom. Presque tous ses romans consacrent à la fourrure une place majeure. La peau animale est une obsession de l’auteur et un thème récurrent de ses ouvrages. Elle rappelle, selon lui, la préhistoire, quand nos ancêtres encore recouverts de poils exprimaient leurs rapports naturels de domination et de bestialité. Dans son autofiction célèbre, La Vénus à la Fourrure, il écrit le fantasme d’un homme qui recherche dans le personnage féminin principal, un caractère sauvage et surtout de la virilité. Masoch exprime en filigrane son fantasme le plus intense : se déguiser en animal et se faire chasser. Dans un autre de ses romans, Loup et Louve, on suit l’histoire de deux amants qui envisagent de coudre l’homme du couple dans une peau de loup pour qu’il se comporte comme un loup, jusqu’à sa chasse. Comme lui, ses personnages ont le masochisme dans la peau.
« Sexuellement, le cuir traduit les rapports dominant-dominé intrinsèques aux animaux et prend une place considérable dans le BDSM (bondage, discipline, domination, soumission, sadisme et masochisme), empreint d’intensité et de bestialité »
Histoire de machisme
On peut voir des similitudes avec la « culture cuir » de la communauté gaie qui fait du cuir son essence. Elle commence à se définir dans les années 1950 au sein de l’univers homosexuel. La leather subculture dérive de la motorcycle culture à laquelle se rattachent les bikers qui sont essentiellement des hommes cisgenres, conducteurs de motocyclettes en quête de liberté et qui cherchent à s’échapper du quotidien. Ils sont reconnaissables par leurs vestes et leur bottes serrées en cuir (et parfois un pantalon en cuir). Le matériau n’est pas choisi au hasard ; sa résistance permet de réduire l’impact du choc en cas d’accident. Ce style s’est infiltré et a évolué dans l’univers gai. C’est une appropriation vestimentaire inattendue et a priori paradoxale. Lorsque que l’on se penche dessus de plus près, on comprend que c’est une façon de sublimer l’homophobie internalisée vécue par beaucoup de gais. Parallèlement, ils s’approprient l’apparence intouchable d’un archétype macho, le biker. Sexuellement, le cuir traduit les rapports dominant-dominé intrinsèques aux animaux et prend une place considérable dans le BDSM (bondage, discipline, domination, soumission, sadisme et masochisme), empreint d’intensité et de bestialité.
Les peaux de bêtes ne sont pas que le prolongement visible du vice, des tabous et des plaisirs charnels extrêmes. Elles peuvent même symboliser le contraire. L’hermine blanche est signe de pureté. Selon une légende, Anne de Bretagne vit un jour une hermine poursuivie par des chiens ; arrivée devant une flaque d’eau et de boue, elle a refusé de la traverser pour ne pas se salir. Plutôt mourir que de se souiller, comme l’affirme ce proverbe breton. Surprise par son comportement, la jeune femme a décidé de faire de ce constat son précepte de vie et elle adopta l’hermine pour emblème. Cela fait écho à Léonard de Vinci qui vers 1490 réalisa le portrait La Dame à l’hermine, révolution de l’iconographie de la Renaissance italienne. Pour la première fois, le peintre a exprimé en peinture la psychologie du modèle en montrant toutes les techniques les plus difficiles de la peinture dans un même tableau. Le chemin de l’hermine continue et traverse la monarchie française. Elle est associée à la richesse et à la réussite sociale. Les rois sont représentés vêtus d’un épais manteau d’hermine blanche, brodé de fleurs de lys. Cette pièce vestimentaire investit celui qui la porte des pouvoirs royaux et de la majesté.
« Et si la fourrure est vraiment végane, elle est synthétisée, presque toujours, à partir de micro-plastiques, un processus qui requiert énormément d’eau, d’énergie et de produits chimiques. Par conséquent, ces pseudos solutions sont loin d’être vertes ; elles évitent cependant aux animaux de vivre dans les conditions abominables des élevages et de mourir cruellement »
Si ces matières sont omniprésentes dans la culture, les discussions à leur sujet sont infinies. La préoccupation éthique reliée aux peaux d’animaux est essentielle. C’est un débat controversé, qu’elles soient portées comme un trophée de chasse pour s’affirmer ou rachetées en brocante, tout le monde sait qu’utiliser la fourrure et le cuir pour se vêtir n’est objectivement pas moral. Cependant, personne ne s’entend quant à la démarche à adopter pour pallier au problème. Les débats qui soulèvent la question et que l’on a tous entendus, au moins, manquent souvent de sincérité. On veut tous paraître le plus vert possible pour ne pas être pointé du doigt. Souvent ces doigts sont ceux de personnes qui se pensent irréprochables parce qu’elles ne portent que des vestes en fourrure végane… Sauf qu’elles ignorent que, pour de nombreuses enseignes, ces arguments accrocheurs sont mensongers. La production de vraie fourrure restant moins couteuse, il est facile de cacher au consommateur l’origine animale d’un textile. Et si la fourrure est vraiment végane, elle est synthétisée, presque toujours, à partir de micro-plastiques, un processus qui requiert énormément d’eau, d’énergie et de produits chimiques. Par conséquent ces pseudos solutions sont loin d’être vertes ; elles évitent cependant aux animaux de vivre dans les conditions abominables des élevages et de mourir cruellement. Pour avoir un rapport plus éthique avec la mode, il faudrait peut-être privilégier la qualité pour que le vêtement soit le plus durable possible. Si la fourrure évoquée plus haut n’est ni animale, ni en micro-plastiques, c’est qu’elle est faite de matière végétale, ou à partir de champignons. Là aussi, on pourrait remettre en question sa légitimité parce qu’il y a assez de vêtements sur la planète, alors pourquoi en faire plus quand on devrait upcycle ou recycler ? Il n’y a plus de place dans les décharges depuis bien longtemps, on continue de brûler tout le cuir invendu et on remplit les poubelles de fourrures en plastiques…