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Les horaires boréals

Lauréats et lauréates de la deuxième édition du concours Délier la poésie.

Elissa Kayal | Le Délit

Dans le cadre de cette deuxième édition du concours Délier la poésie, les participants et participantes étaient invités à s’inspirer d’un premier poème, écrit par l’éditeur François Céré et l’éditrice Elissa Kayal. Nous tenons à remercier chaleureusement toutes les personnes qui ont participé. La réponse poétique de chacune et de chacun d’entre vous a dépassé nos attentes. Merci énormément à tous et à toutes pour vos contributions ! 

C’est avec fierté que l’on vous présente ce zine, contenant notre poème de départ ainsi que les dix poèmes retenus pour notre cadavre exquis.

Lauréats et lauréates

Le cri de rage
Frank Herbier (première place)

Au début
La mère donne naissance à l’enfant
L’enfant tout d’innocence court
Court parmi les bois parmi les marées
Inutilement contre les vagues de sel
S’en fichant il passe par les champs en friche
À pleine joie en perte de moyens
Le coeur plein l’enfant a faim
La mère aussi
Une bestiole traîne
Ils la prennent et la mettent sous leur sein
La digèrent longuement
Deviennent un peu d’elle
Et elle un peu d’eux

Mais soudain pousse un cri le petit homme
L’exécrable petit homme
Un cri de rage un cri d’enfer
Un cri qui déchire naïvement les bulles d’air
Un cri en pointes de flèches
Lancées au hasard sur les planètes
Qu’il embroche une à une
Avec ces électrodes de Neptune
Les rapproche grâce à des câbles de fer
Fixés à l’enfant et à son diaphragme
Il connecte le tout ensemble, puis

Reprend son souffle…

Et crie plus fort
Si fort que l’enfant qui devait être dans la vie
Pousse un cri qui englobe toute la vie
Vie fort intérieurement explosive
Dynamitages insoupçonnés dans les endroits humides
De la gorge et du larynx
Où les mots ont fini par se donner

Plus rien n’est clair
Sur les lianes de fer court l’enfant
Par-dessus les bois par-dessus les marées
Oublie la houle et sa fertilité
Entre sa main dans la terre de si loin
Qu’elle ressort blanche dure moindre
Passe une clairière de béton
Fouette la cime des absurdités avec son rebord de pantalon
Passe les mornes forêts de bâtons
Vole pour ainsi dire déchante sur l’air d’une biche
Passe un des nombreux champs en affiches
Il se rend au coeur de la chose
Toujours enragé en criant
Il se rend au coeur de toutes choses
Désirant percer le voile rapiécé
Couvrant la cuisse dénaturante de sa vie
La surplomber du regard ne suffisant en rien
Il plombe sur elle comme un obus
Tombe sur elle en tyran
En tirant abrutissement sur ses vêtements
Pour que la chose fende
Pour que toutes bonnes choses fendent
Pendentif de soleil luette de lune
Cuirasse de pierre poitrail de montagne
Cheveux de grains herbe d’esprit
Sous la couche superficielle des nombres
Embusquée au bûcher
Se retrouve la petite fille
La petite vie
Que l’enfant criard aime tant à tourmenter
Maintenant nue petite réduite à son corps de lait et de miel
Elle regarde l’enfant
À la hauteur de sa perte d’âme
De ce regard que seuls lancent les bourreaux
Elle le regarde
Le juge
Et l’aime.


consomption
Geneviève Lagacé (deuxième place)

de la côte à ma gorge, nos horizons s’entrechoquent. tu fermes les volets,
le temps que passent les ouragans, mais rien n’y fait : les étincelles ne
s’éteignent plus, bruissent sous nos peaux de pointillés qui s’érodent ; les
murs tremblent nos fractures et, dans les heures blanches, nous glissons,
coulons, nous échouons au pied des vagues

    l’écume sur la berge
comme l’écho de nos tempêtes

nous avalons le vent, déchaînons nos humeurs, fixons la fin de nos flots
lapidaires. au bout du rivage, nos secrets se créent des univers avec tout
ce qu’ils contiennent de failles, d’excès. ils alimentent nos brasiers,
courent

    longtemps
sans pour autant s’essouffler
sans pour autant s’éteindre

nous sommes des jardinières de crépuscule suspendues au tonnerre. nous
sommes l’imprévisible. des flambées qui touchent ciel, des confins
inatteignables. devant nos fureurs, je frissonne, électrique. tu refuses
d’arrêter le jeu, et dans les flammes frénétiques naufragent nos ombres,
mes lueurs bleues

    des fissures creusent nos peaux-porcelaines
nous crépitons, exaltés
nos échanges illusoires deviennent cri ardent
les ouragans stagnent –

fuir n’est jamais une option quand c’est toi
qui tiens les allumettes


Nos vicissitudes
Ketzali Yulmuk-Bray (troisième place)

Nos remords sont exhumés par les intempéries
Et la chasse ne sert qu’aux enfants
Qui préparent soupe et thé
En y crachant goulument nos grandes légendes
L’expiation s’écoule plus facilement par les trous

Ce qui est à venir ne nous regarde pas
Du moment que les bêtes s’attroupent
Ou se dispersent
Nous serrerons les dents, les coudes aussi
Rien ne s’oublie grâce à l’écorce
Sur laquelle sont écrites nos aptitudes

Nous apprenons tôt à fabriquer les couvertures
À tisser la honte sur le bas de nos crânes
Pour que vienne s’y abreuver l’oiseau de proie

(Je me souviens de ton grand saut, mon frère)

Nous bénissons nos terres d’origine
Chaque saison, l’arbre du temps fait sonner ses cloches
Et leur écho se répercute jusqu’aux confins de la zone
Ainsi se déroulent nos vies

Certains disent que nous devrions tout mettre en feu.


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