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Entre diplomatie et bureaucratie

Le chemin de croix des étudiant·e·s internationaux·les pour revenir à Montréal.

Henry Thong

« Je suis dans un état d’angoisse depuis deux mois et demi. Je suis en vacances, mais je dors très mal : à cause du décalage horaire, je me dis qu’on m’enverra peut-être un message pendant la nuit. Je me dis qu’il faut que je dorme moins, parce que s’ils me demandent d’envoyer un document, je veux réagir le plus vite possible pour qu’on puisse traiter ma demande »

Marie, étudiante originaire de France

Tandis que certaines universités canadiennes comme l’Université d’Ottawa ont choisi d’adopter un mode hybride pour leur session d’automne, accordant aux étudiant·e·s le choix d’assister à leurs cours en ligne ou en personne, McGill requiert que tous·tes ses étudiant·e·s soient présent·e·s sur le campus pour la rentrée. Si cette décision peut causer de l’anxiété chez certain·e·s étudiant·e·s québécois·es ou canadien·ne·s, elle représente surtout une montagne de complications pour plusieurs des étudiant·e·s internationaux·les qui doivent revenir au pays. Bien que les étudiant·e·s internationaux·les représentent plus de 30% du corps étudiant (soit le plus grand nombre d’étudiant·e·s de toutes les universités québécoises), le soutien qui leur est offert par McGill est, aux dires de plusieurs, insatisfaisant.

Javier*, un étudiant originaire du Mexique ayant commencé son baccalauréat en janvier dernier, a mis les pieds au Canada pour la première fois cet été. Le trajet qui devait être simple s’est révélé être « un processus horrible ».

En raison du nombre élevé de cas de COVID-19 au Mexique, quatrième pays le plus touché en termes absolus par la pandémie, le Canada a pris la décision d’y fermer son ambassade pour une durée de temps indéterminée. Il était donc impossible pour Javier et les autres étudiant·e·s mexicain·e·s de s’y procurer leur visa, document essentiel pour pouvoir atterrir à Montréal.

Très difficile aussi pour des gens d’âge universitaire de se faire vacciner au Mexique, en raison du faible nombre de doses disponibles dans le pays. Sans vaccin, Javier devrait faire une quarantaine de deux semaines à son arrivée au Canada.

Désemparé, il a interpelé à plusieurs reprises les services de McGill pour demander de l’aide, mais dit n’en avoir reçu aucune. « Ils me disaient tout le temps d’attendre après mon gouvernement, pour voir si la situation allait s’améliorer, raconte-t-il au Délit. Ils ne m’ont jamais donné de consignes sur ce que je devais faire. »

« Je n’avais aucune réponse. J’étais perdu, littéralement »

Javier, étudiant originaire du Mexique

La seule option qu’il lui restait s’il lui était impossible de se rendre à Montréal, lui a indiqué le Service aux étudiants étrangers (SEE), était de simplement reporter ses études en janvier. Pour Javier, ce n’était pas une solution souhaitable : cela aurait repoussé sa graduation au-delà de la période couverte par son permis d’étude.

Finalement, après avoir fait ses propres recherches, Javier s’est rendu à l’ambassade du Canada au Guatemala pour obtenir son visa. Après être retourné au Mexique, il a pris un vol vers les États-Unis, où il a pu à se faire vacciner, avant de finalement prendre l’avion pour le Canada. Tous ces vols se sont faits à ses frais. Une aide financière est disponible pour les étudiant·e·s internationaux·les dans une situation comme la sienne, mais Javier a été informé qu’elle n’est accessible qu’aux étudiant·e·s de deuxième année.

Pourtant, on lui a aussi refusé l’accès aux résidences étudiantes, en expliquant qu’elles ne sont disponibles qu’aux étudiant·e·s de première année – catégorie à laquelle il n’appartient pas non plus, puisqu’il a commencé son diplôme à la session de l’hiver dernier. Après être arrivé au Canada bien plus tard que prévu, Javier doit maintenant se trouver un appartement avant le début du semestre.

Il considère avoir de la chance, puisqu’il avait les moyens de payer les nombreux vols nécessaires à son voyage. Javier pense cependant aux étudiant·e·s qui sont plus démuni·e·s ou qui viennent de pays plus éloignés que le Mexique, pour qui la situation est encore pire. Obliger tous les étudiant·e·s internationaux·les à revenir à Montréal est, selon lui, totalement ridicule.

« La triste situation, c’est que l’Université voit les étudiant·e·s internationaux·les comme une business »

Javier, étudiant originaire du Mexique 

Il n’y a pas que les étudiant·e·s mexicain·e·s qui ont été forcé·e·s de faire des escales lors de leur route vers le Canada. Ç’a notamment été le cas d’étudiant·e·s habitant en Inde, dont Meera*, une étudiante en arts de troisième année.

En raison des nombreux cas de COVID-19 dans ce pays et en particulier de la prévalence du variant Delta, le gouvernement du Canada a suspendu tous les vols en provenance de l’Inde depuis le début de l’été. Cette mesure a déjà été renouvelée à plusieurs reprises et est supposée arriver à terme le 21 septembre, soit trois semaines après le début de la session.

De plus, le Canada ne reconnaît pas les tests de dépistage PCR de la COVID-19 effectués en Inde. Or, un test négatif est exigé avant d’embarquer dans tout avion en direction du Canada.

La seule façon de se rendre à Montréal à partir de l’Inde est donc de se rendre dans un tiers pays, s’y faire tester et attendre le résultat – ce qui nécessite souvent un délai de quelques jours – puis prendre un autre vol vers le Canada.

Cependant, les routes possibles ne sont pas nombreuses. En effet, la plupart des pays requièrent un visa pour atterrir sur leur territoire, même si ce n’est que pour faire un test de dépistage. Obtenir un visa est la plupart du temps un processus long et coûteux ; seule une poignée de pays peuvent en accorder à l’arrivée.

Après avoir considéré plusieurs options, Meera a décidé de transiter par les Maldives. Puisqu’il s’agit d’une destination populaire en Inde, les billets vers cette destination sont abordables, et ce pays accorde des visas à l’arrivée. La route Maldives-Canada, elle, est cependant peu fréquentée : les vols sont chers et peu nombreux. C’est malheureusement le propre de tous les itinéraires que Meera a étudiés, certains passant par l’Albanie ou encore par le Mexique, explique-t-elle. « C’est comme une partie d’échecs dans la vraie vie. »

« Pour beaucoup d’entre nous, c’est un pari risqué. C’est l’incertitude. Que se passe-t-il, par exemple, si on teste positif durant l’une de nos escales ? Qu’est-ce qu’on fait ? »

Meera, étudiante originaire de l’Inde

Comme beaucoup d’autres étudiant·e·s, retarder sa session n’est pas une solution envisageable pour Meera. Dans le cadre de son programme Honours, elle doit assister à un séminaire s’étirant sur deux sessions ; impossible, donc, de reprendre ses études en janvier si elle manque la session d’automne. Le prix à payer pour se rendre au Canada est extrêmement élevé, tant au plan financier que du risque sanitaire, mais elle n’a pas d’autre choix.

« Il y a deux semaines, j’aurais été furieuse. Là où je suis rendue, dans cette situation d’impuissance, je suis résignée au fait que je dois être au Canada et que je dois dépenser cet argent. »

Ayant déjà passé plusieurs années à McGill, Meera a la chance de connaître un conseiller avec qui elle est restée en contact. Ceci lui a permis d’obtenir du soutien financier de l’Université pour l’aider à payer son voyage. Malgré tout, cette aide est insuffisante pour couvrir ne serait-ce qu’un seul de ses vols, dont les prix ont explosé avec les restrictions sanitaires.

Si Meera se dit reconnaissante de ce soutien, il ne s’attaque pas au cœur du problème, en plus d’être insuffisant. « On dirait qu’ils essaient de jeter de l’argent vers le problème. Cela ne change rien au fait qu’on me demande tout de même d’être là, pour mes cours qui sont tous en personne. »

« J’ai juste l’impression que je ne devrais pas avoir à éprouver ce genre de stress seulement pour assister à mes cours universitaires »

Meera, étudiante originaire de l’Inde

Mais surtout, selon Meera, il y a de la part de McGill « une absence totale de reconnaissance du genre de restrictions de voyage auxquelles beaucoup d’étudiant·e·s doivent faire face ». Lorsqu’elle ou d’autres étudiant·e·s indien·ne·s ont demandé des accommodements à l’Université, on leur a répondu que les règles avaient été annoncées il y a longtemps et qu’ils auraient dû faire leurs plans plus à l’avance. Cependant, explique Meera, les restrictions sur les vols n’ont pas été annoncées d’un seul coup : elles ont été rallongées au début de chaque mois, ce qui a empêché toute planification. « Au début de l’été, il y avait de bonnes raisons de croire que la situation en Inde allait s’améliorer, et que les vols allaient être autorisés de nouveau – ou au moins pour les étudiant·e·s internationaux·les. »

De plus, lorsque des employé·e·s de McGill répondaient aux inquiétudes des étudiant·e·s internationaux·les dans le cadre d’assemblées publiques, il·elle·s semblaient compter sur le fait que les restrictions de voyage seraient levées pour tous les pays avant la rentrée. « Pour nous, explique Meera, ce n’était pas du tout rassurant, car on connaissait la situation sur le terrain. »

« Ce qu’il faut, c’est la volonté de reconnaître que la transition en personne ne sera pas aussi facile que prévu »

Meera, étudiante originaire de l’Inde 

Certain·e·s étudiant·e·s moins chanceux·ses ne savent toujours pas s’il·elle·s vont pouvoir participer à la rentrée à McGill en septembre.

C’est le cas de Marie*, une étudiante française supposée entrer en U0 cette année. Elle devait prendre l’avion le 18 août pour venir au Canada, mais elle a dû se résigner à retarder son vol puisqu’elle n’a toujours pas obtenu son permis d’étude.

Immigration, Réfugiés et Citoyennetés Canada (IRCC), l’agence responsable de l’émission de ce permis, a indiqué sur son site Web subir des retards de traitement de dossiers en raison de la pandémie. Il y est toutefois indiqué que toute personne ayant envoyé ses documents avant le 15 mai aurait reçu une réponse avant le 6 août. Pourtant, Marie affirme connaitre plusieurs étudiant·e·s ayant fait leur demande bien avant cette date qui n’ont toujours pas eu de réponse.

Pour sa part, Marie a dû renouveler son passeport avant de pouvoir déposer sa demande, un processus également ralenti par la COVID-19. Elle n’a donc pu soumettre son dossier qu’en début juin et n’a pas eu de nouvelles depuis. Elle a tenté à plusieurs reprises de contacter le bureau des visas pour obtenir des informations, sans succès.

« Le pire, c’est le manque de nouvelles, témoigne-t-elle. On n’a aucun moyen de suivre où est rendue notre demande et ça fait des mois et des mois que ça dure. Ce n’est pas facile à vivre. »

Marie s’est donc tournée vers McGill. Elle a envoyé un message au SEE une première fois en juillet pour demander s’il était possible d’entrer au Canada sans permis d’étude. Elle n’a pas reçu de réponse. Elle a essayé de nouveau le mois suivant, simplement pour demander de l’aide, ne sachant plus quoi faire : toujours le même silence radio. Finalement, elle a décidé d’appeler le SEE à ses frais depuis la France. On lui a dit alors qu’il y n’avait pas d’accommodement possible : si elle ne pouvait pas arriver à Montréal avant le 14 septembre, elle ne serait plus inscrite à McGill. Au moment où cette conversation avait lieu, la date limite pour que Marie puisse repousser son entrée à McGill à la session de l’hiver prochain avait déjà été dépassée.

« Je suis en détresse, je n’en peux plus. Je ne sais pas si je vais pouvoir aller à McGill, alors que ça fait trois ans que je travaille pour y arriver »

Marie, étudiante originaire de France

Heureusement, Marie a un plan B : elle est toujours inscrite à un programme en France si son permis d’étude n’arrive pas à temps. Mais, parmi les autres étudiant·e·s dans sa situation avec lesquel·le·s elle communique sur les réseaux sociaux, plusieurs n’ont pas cette chance et sont aujourd’hui en état de panique. « On n’a jamais imaginé que ça pourrait aller jusqu’à ce point, explique Marie. On ne s’est jamais dit que, mi-août, on ne saurait toujours pas où on allait faire notre rentrée. »

Alors qu’elle était en appel vidéo avec une employée du Point de Service de McGill pour une question liée à un autre sujet, Marie a décidé de saisir sa chance et de tenter une dernière fois d’obtenir de l’aide. Elle a partagé son problème et son angoisse à l’employée.

« Je lui ai dit : “Essayez de comprendre. Je ne suis pas là seule dans ma situation, on est des dizaines, voire des centaines là-dedans. Qu’est-ce qu’on peut faire ? Rien, à part attendre et se dire qu’il y a peut-être une mince chance qu’on atterrisse à McGill avant le 14 septembre.” Elle m’a dit : “Ce n’est pas mon travail, demandez au SEE.”»

Depuis, Marie attend toujours des nouvelles au sujet de son permis. Le date limite pour reporter sa rentrée au mois de janvier a finalement été repoussée jusqu’au 1er septembre, mais Marie ne compte utiliser cette option qu’en dernier recours.

McGill a aussi tout récemment rendu disponible un formulaire pour permettre aux étudiant·e·s qui arriveront en retard à Montréal de demander des accommodements à court terme. Pour Marie, pouvoir commencer ses cours en ligne représenterait un soulagement immense. Néanmoins, elle doute que le formulaire soit suffisant pour régler cette crise. « Ils disent qu’ils vont évaluer les situations des étudiants au cas par cas. Est-ce qu’ils se rendent compte véritablement de l’ampleur du problème ? Il y a beaucoup, beaucoup de gens qui sont dans ma situation. »

Marie dit surtout ne pas comprendre. Ne pas comprendre d’abord pourquoi le SEE accuse de tels retards. Ensuite, pourquoi McGill prend si peu de mesures pour aider les nombreux étudiant·e·s dans sa situation.

« Quand on voit l’étendue du problème, on se dit que McGill est théoriquement en train de perdre des dizaines, voire des centaines d’étudiant·e·s. Ils devraient traiter ça comme leur crise numéro 1 ! Pourtant, j’ai l’impression qu’ils s’en foutent, que ça ne leur fait ni chaud ni froid »

Marie, étudiante originaire de France

Certain·e·s étudiant·e·s sont coincé·e·s dans l’attente depuis plus longtemps encore que Marie. Mei*, une étudiante chinoise en dernière année, a fait sa demande de visa le 1er janvier 2021, et ne sait toujours pas, elle non plus, si elle le recevra à temps pour la rentrée.

« C’est ridicule, s’exclame-t-elle au Délit, ça fait déjà 8 mois ! Ce n’est pas un délai normal pour traiter une demande. » D’autant plus qu’une de ses connaissances a déposé sa demande en juin et a déjà obtenu une réponse : le délai de traitement semble totalement arbitraire.

Après avoir essayé de contacter l’ambassade du Canada en Chine, Mei a envoyé plus d’une vingtaine de messages à l’IRCC pour tenter d’avoir des explications. Elle n’a obtenu aucune réponse, sauf un message automatique expliquant qu’en raison de la pandémie, l’agence canadienne ne peut pas garantir une date à laquelle une réponse sera donnée.

McGill ne s’est pas non plus révélée d’une grande aide. Mei a posé des questions sur la plateforme Microsoft Teams du SEE, où on lui a simplement répondu de contacter l’IRCC pour leur expliquer sa situation. Cependant, il n’existe aucune façon de réellement parler à un·e employé·e de l’IRCC à partir de l’étranger : tout ce que l’on peut faire, c’est envoyer des formulaires électroniques.

Elle a également contacté sa faculté pour voir si des accommodements étaient possibles. La réponse ? On lui a demandé de bien s’assurer de ne plus être inscrite à des cours cette session si jamais elle ne pouvait être présente sur le campus avant le 14 septembre. Encore une fois, la seule option semble être de prendre une session ou une année sabbatique.

« Je me sens juste tellement frustrée. Simplement me dire d’attendre un an ? Ce n’est pas acceptable »

Mei, étudiante originaire de Chine

Cette année devait être sa dernière à McGill, et Mei comptait faire ses demandes d’admission à la maîtrise dans les mois à venir. Cette année sabbatique forcée l’oblige à repousser sa graduation, ce qui amène tout un lot de complications : elle sera obligée de renouveler son certificat d’acceptation du Québec, son permis d’étude, et tous les autres documents légaux arrivant à échéance à la date où elle devait initialement finir ses études.

 « Ma famille me dit que c’est seulement une année. C’est seulement une année, oui, mais c’est vraiment injuste que je doive la gaspiller à cause d’un problème de visa contre lequel je ne peux rien, un problème de l’IRCC. »

Le nouveau formulaire mcgillois permettant d’obtenir des d’arrangements à court terme pourra aider certain·e·s étudiant·e·s, pense Mei, mais pas tous·tes, et pas les gens dans sa situation. Elle ne peut pas demander d’accommodements précis puisqu’elle n’a aucune idée du moment où son visa arrivera : « ça peut être dans un mois, deux mois, ou après la fin de la session. »

Pour Mei, la seule solution serait de pouvoir assister à tous ses cours à distance. Mais elle a peu d’espoir qu’une telle mesure soit adoptée par McGill.

 « J’ai vraiment l’impression que notre situation a été ignorée par l’Université. On est juste des étudiant·e·s dans notre vingtaine, on ne sait rien. Et personne ne nous aide »

Mei, étudiante originaire de Chine

*Nom fictif. Les étudiant·e·s en question ont préféré rester anonymes.


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