Dans son premier roman autofictionnel La fille d’elle-même, Gabrielle Boulianne-Tremblay raconte le parcours d’une femme trans qui tentera de « [donner] naissance à celle qui attendait dans la mort ». Le roman suit la narratrice de l’enfance à l’âge adulte sans jamais dévoiler son nom. La protagoniste est d’abord une enfant sans cesse comprise par ses pairs comme un garçon, puis une adolescente qui ne comprend pas pourquoi on s’efforce de l’appeler par un prénom « qui ne lui appartient pas ». Devenue adulte, elle s’affirmera pour elle-même.
Une écriture évocatrice
La fille d’elle-même débute avec « Le Manifeste de la femme trans », un poème écrit par Gabrielle Boulianne-Tremblay en 2018. Dans ce poème mis en préface, la répétition d’un « dites-moi donc que c’est pas normal » expose strophe après strophe la culture de la violence dirigée envers les personnes trans, mais une lueur d’espoir est annoncée par un « parlez-nous d’amour » vers la fin du poème. La richesse poétique de cette préface est coupée par le début du premier chapitre, où une écriture descriptive plus simple et didactique expose l’ampleur du mal-être et le jeune âge de la narratrice au début de l’histoire. Plus la narratrice s’ouvre à sa féminité et apprend à se connaître, plus l’autrice rallonge ses phrases et étoffe le roman de figures de style évocatrices qui rendent compte de l’entremêlement de crainte et d’espoir vécu par la narratrice. L’écriture semble alors davantage évoluer au rythme du processus de réalisation de soi de la narratrice qu’au rythme du vieillissement de cette dernière. Par exemple, lors de la rencontre avec un raton laveur où la narratrice, enfant, verbalise pour la première fois « je suis une fille », l’autrice inclut une première énumération remplie d’espoir qui expose le premier rapport positif au corps de la protagoniste : « je me vois avec des cheveux longs, une robe, des ongles nacrés, des bracelets de toutes les couleurs, je me vois et on me dit que je suis belle ».
Réfléchir à soi
Bien que le parcours de l’enfance à l’âge adulte de la protagoniste soit condensé dans les 344 pages du roman, le récit est agréablement ralenti par l’ajout d’extraits du journal intime de la narratrice. Ces derniers soulignent le refuge émancipateur que devient peu à peu l’écriture pour la narratrice. Les extraits du journal de la narratrice ponctuent le texte de réflexions et d’observations percutantes qui sensibilisent le lectorat à la violence créée par une société dans laquelle la transidentité est peu reconnue et représentée : « Je suis un beau petit gars, c’est ce qu’on attend de moi. Vous êtes servis. Vous n’avez plus qu’à me dévorer, il ne reste plus rien de moi. » En exposant l’ampleur du mal-être de la narratrice causé par la méconnaissance de sa transidentité par la société, La fille d’elle-même encourage le lectorat à réfléchir à ses propres préconceptions intériorisées de la transidentité et des personnes trans. Ces réflexions nécessaires sont abordées de façon accessible tout au long du roman grâce au détour par la fiction et à la plume poétique et claire de Gabrielle Boulianne-Tremblay.