Dans 6.58 : Manifesto, Andrea Peña interroge les relations et les interactions entre le corps humain et l’artificialité dans une chorégraphie qui réunit neuf interprètes et la chanteuse soprano Erin Lindsay.
Vulnérabilité sur scène
Au moment de l’entrée en salle du public, quelques interprètes en sous-vêtements noirs s’installent déjà sur scène au rythme d’une musique de fond onirique. Le décor composé de quatre murs blancs et de chaises noires rappelle la sobriété d’une loge. C’est de cette façon que les interprètes l’utilisent, car certain·e·s s’étirent et s’échauffent alors que d’autres enfilent leur costume. Cette vulnérabilité montrée par ce parallèle entre la loge et la scène amorce la réflexion apportée par le spectacle : comment interagissons-nous avec l’artificialité et vice-versa ?
Le premier tableau de 6.58 : Manifesto débute par un message énoncé par une voix artificielle qui nomme les interprètes un·e à un·e et leur ordonne d’aller à un endroit précis. À la fin du tableau assez exigeant, les interprètes sont à bout de souffle, mais ne quittent pas le public du regard. Plutôt, ils et elles utilisent à nouveau la scène en tant que loges pour boire de l’eau et s’étirer.
La vulnérabilité des interprètes ainsi mise en scène s’avère être une intéressante façon d’explorer la relation entre le corps humain et l’artificialité. En demeurant sur scène, les interprètes demeurent assujetti·e·s à la chorégraphie de 6.58 : Manifesto et au regard du public, mais de façon parallèle, les mouvements souvent saccadés et le rythme rapide de la chorégraphie suggèrent que la fatigue des interprètes entre les tableaux nécessite de réels moments de pause. Cette ambiguïté quant à la nature artificielle ou non des transitions entre les tableaux crée alors un inconfort productif chez le public puisque le regard de ce dernier devient presque intrusif lorsqu’il observe les interprètes à bout de souffle. Néanmoins, en restant sur scène, les danseurs et danseuses invitent concurremment le public à les observer.
Intimes artifices
Dans les deuxième et troisième tableaux du spectacle, la chorégraphie se concentre davantage sur l’artificialité et les interactions humaines. Le deuxième tableau met notamment en scène les interprètes dans des mouvements très complémentaires et le troisième tableau rassemble les interprètes en paires dans une série de contacts physiques rapprochés. En raison du nombre impair d’interprètes, lorsque ces derniers et dernières sont rassemblé·e·s à deux, au moins un·e interprète doit effectuer les mouvements seul·e. Ce nombre impair devient alors aussi une façon d’explorer l’artificialité puisque la sensualité des contacts physiques entre les interprètes en paires crée l’impression qu’une grande intimité lie ces derniers et ces dernières. Cependant, puisque les interprètes seul·e·s effectuent les mêmes mouvements que ceux et celles placé·e·s en paires, la chorégraphie semble interroger la facticité de cette intimité chorégraphiée.
Malgré une exploration assez détaillée des interactions entre le corps humain et l’artificialité, les réflexions amenées par 6.58 : Manifesto demeurent ouvertes et la répétition des même tonalités de chant d’opéra qui accompagne les danseurs et danseuses dans le dernier tableau, quoique très puissantes, peut contribuer à laisser une impression d’inachevé. L’originalité de la chorégraphie d’Andrea Peña et l’important effort physique des interprètes et de la chanteuse soprano méritent cependant le détour.
6 : 58 Manifesto sera disponible en webdiffusion du 24 septembre au 2 octobre.