Ce vendredi 1er octobre, nous sommes entrées dans l’auditorium de la Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ), fébriles d’y trouver des poètes que nous connaissions et d’autres qu’il était impératif de découvrir. Daria Colonna, Carole David, Lorrie Jean-Louis, Roxane Desjardins, Catherine Lalonde, Sina Queyras et Claudine Vachon : ce sont là des noms qui font frémir, des personnes aux voix fracassantes, toutes désignées pour porter sur scène la récente Anthologie de la poésie actuelle des femmes au Québec 2000–2020 conçue par Vanessa Bell et Catherine Cormier-Larose, puis parue aux Éditions du remue-ménage en 2021. La lecture de leurs œuvres respectives constituait donc le spectacle littéraire bruits textures – reprenant lui-même l’Anthologie – présenté dans le cadre du Festival international de la littérature (FIL).
Le livre de Bell et de Cormier-Larose regroupe et présente la pratique de 55 poètes œuvrant toujours de 2000 à 2020 et classé·e·s par ordre alphabétique. Cette nouvelle anthologie s’insère en continuité de l’Anthologie de la poésie des femmes au Québec, préparée par Nicole Brossard et Lisette Girouard et publiée en 1991 au Remue-ménage. L’idée de filiation est primordiale et constitue le cœur de l’anthologie de Vanessa Bell et de Catherine Cormier-Larose, laquelle se fait un point d’honneur de célébrer l’héritage et la diversité dans « une approche intersectionnelle et intergénérationnelle ». L’Anthologie souligne la mouvance du milieu poétique féminin en ce début de siècle, son essor, son bouillonnement, sa diversité, tout en célébrant le travail de celles dont les voix portent les poètes de la relève. « Mon éditeur me l’a dit, les filles vont sauver la poésie », proclame Maude Veilleux en exergue.
« Cette anthologie ne pouvait être pensée autrement que dans les possibilités qu’évoque le mot ‘‘femme’’ en 2020 », écrivent les éditrices de l’Anthologie. En effet, le mot « femme », dans les imaginaires, se doit de convoquer la pluralité infinie d’existences du féminin impossible à réduire à une vision univoque et patriarcale de sa nature. Et c’est pour cette raison que le projet de l’Anthologie de la poésie actuelle des femmes du Québec nous semble crucial. Le livre de Bell et de Cormier-Larose a en effet suivi la mouvance pluri-elle – pour reprendre un néologisme forgé par Nicole Brossard – de notre réalité contemporaine, mettant de l’avant des styles, des voix et des narrativités provenant d’horizons différents. Ce n’est qu’en prenant conscience de ce multiple du féminin, en témoignant de l’intersectionnalité qui en est à la source, qu’il est possible pour l’écriture poétique de forger un véritable « nous » sororal. Mères, filles, sœurs sont alors au rendez-vous ; les textes lus lors du spectacle reflètent particulièrement cette filiation qui est au cœur de la poésie des femmes au Québec.
« Cette anthologie ne pouvait être pensée autrement que dans les possibilités qu’évoque le mot ‘‘femme’’ en 2020 »
Vanessa Bell et Catherine Cormier-Larose
L’un·e à la suite de l’autre, les poètes se sont donné la parole dans une succession lente, pleine de douceur et de force tranquille – lenteur nécessaire pour absorber les mots, les laisser se déposer en soi, s’en imprégner. La trame sonore composée par Ylang Ylang (Catherine Debard), tout comme les vidéos conçues par Sonya Stefan et projetées derrières les poètes, poussaient un peu plus l’auditoire dans une sorte de transe. Un grand écran, des chaises dépareillées, quelques plantes ; toute en sobriété, la scène ne s’encombre pas de fioritures inutiles. Les poètes entrent s’y asseoir mais ne sont pas statiques – iels se déplacent parfois pour mieux voir telle ou telle performance, se tournent vers quiconque prenant parole et semblent boire les mots des autres. Leurs corps habitent la scène et la poésie qu’iels déclament tout naturellement, sans artifice – iels existent, authentiques, et occupent l’espace de toute la grandeur de leurs identités.
Cette authenticité ressort encore plus à travers les lectures elles-mêmes. Elle est essentielle, puisque les poètes livrent leurs propres mots au public et se doivent d’incarner leur performance. Chacun·e est unique, chaque lecture est pleine de le·a poète qui la livre : Daria Colonna est grande, digne, Sina Queyras transmet la fracassante douceur qu’iel irradie, Catherine Lalonde livre un discours tempétueux et chirurgical à couper le souffle et Claudine Vachon déclame en faisant la planche et des sit-up. Les traditions et les normes sont mises de côté pour poser une lumière sur les poètes, sur leurs singularités, sur leurs manières uniques et diverses d’être et de dire, dans un esprit de rencontre, de célébration et de filiation.
« Qui, avant elles a écrit pour qu’à leur tour, elles puissent écrire si rageusement, si librement ? »
Vanessa Bell et Catherine Cormier-Larose
La musique accompagne merveilleusement les lectures. La trame sonore douce et enveloppante berce la poésie et la fait flotter dans une forme de bruit blanc. Sans faire de l’ombre aux voix des poètes, la musique donne avant tout une texture supplémentaire à la poésie de chacun·e. Lors de la performance de Catherine Lalonde tout particulièrement, elle fait ressortir le rythme aiguisé des poèmes, découpant le souffle retenu du public. Du côté des spectateur·rice·s, la musique assourdit la salle. Elle donne à toutes et à tous l’impression de s’immiscer profondément dans la scène et même d’y trouver résidence, au même titre que les mots.
Le spectacle s’est terminé sur quelques discours notables, donc celui de Vanessa Bell, cocréatrice du spectacle, et celui de Stanley Péan, directeur du conseil d’administration du FIL. Leur émotion rejoignait la nôtre tandis qu’il·elle·s soulignaient le travail des poètes présent·e·s, leur poids dans le champ poétique québécois – le tout dans un esprit de sororité et de fierté, dans une atmosphère légère, familiale. Bien plus que de simplement « constater l’étendue de la poésie des femmes au Québec », bruits textures a surtout su mettre de l’avant un répertoire poétique varié et envoûtant qui dépasse la simple essentialisation du féminin. Il a d’autant plus mis l’accent sur l’importance d’une telle anthologie pour déconstruire les dynamiques de pouvoir au sein du milieu, pour défaire l’hégémonie et pour porter les voix des femmes au premier plan.