On m’a volé une année de ma vie. On m’a volé une année de ma jeunesse. Tant de choses que j’aurais pu créer, entendre, apprendre, voir et vivre au cours de la dernière année ne sont pas remises à demain, elles sont perdues. Perdues au nom de la croissance économique effrénée.
Une responsabilité collective
Entendez-moi bien, je n’accuse pas la pandémie de nous avoir volé du temps. Ce n’est pas sa faute. La pandémie n’est pas une personne, elle n’est pas une entité, c’est un fait. Est-ce qu’on reproche au 11 septembre 2001 d’être une date ? Non, on reproche au fanatisme religieux de l’avoir marquée au fer rouge. Alors, qui est responsable de cette pandémie ? Qui a volé mon année ? C’est nous. Précisons d’emblée que je ne m’exclus pas de ce « nous » et très peu de personnes le peuvent. Mais pourquoi sommes-nous collectivement responsables ? Parce que sinon, qui le serait ? C’est notre société au rythme effréné qui a rendu le confinement si difficile. C’est notre société mondialisée qui refuse de prendre une pause et qui conçoit l’apaisement économique comme un drame qui a fait de cette maladie épidémique, une maladie pandémique. L’humanité est soumise à un test qu’elle est en train d’échouer, l’après-COVID nous le confirmera. Il est de notre devoir en tant qu’êtres humains d’écouter les autorités compétentes et d’agir en conséquence. Cette année comme tous les ans, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) nous lance des signaux d’alarme de plus en plus fracassants qui sont confirmés par des catastrophes climatiques, premiers symptômes du profond dérèglement planétaire qui nous mènera à une extinction de masse si rien n’est fait. C’est lorsqu’on observe les humains débonnaires ou négateurs face à ces nouvelles que l’on comprend que l’humanité est atteinte d’une cécité volontaire motivée par le confort et l’individualisme.
« Peut-être est-il nécessaire de faire la différence entre le contact humain et la consommation »
Je ne dis pas qu’il faille se flageller pour les torts du passé auxquels nous a mené l’ambition humaine, mais j’avance plutôt qu’il faut revoir notre manière de penser le développement économique de façon à utiliser l’ingéniosité qui nous est propre dans le but de faire mieux et non de faire plus.
Combien crachent sur le gouvernement parce qu’il prend la place du père d’une société infantile et infantilisée ? Combien ont maudit l’année 2020 et ont souhaité que tout se règle en un claquement de doigts ? Combien se sont dit qu’à la seconde où cette pandémie s’achèverait, ce serait enfin leur heure ? Leur heure pour profiter, voyager, vivre, ou autrement dit : consommer. Moi le premier, j’ai le désir de sortir dans les bars, de rencontrer des gens, de croiser des yeux qui ne sont pas les miens. Si souvent, j’ai envie de partir, de m’envoler loin, pour enfin vivre ma vie. Ai-je tort d’avoir de telles aspirations ? Peut-être qu’ici le devoir devrait supplanter le désir. Le monde se porterait sans doute mieux sans ces excitations immatures. Peut-être est-il nécessaire de faire la différence entre le contact humain et la consommation.
« L’humanité est soumise à un test qu’elle est en train d’échouer, l’après-COVID nous le confirmera »
La pandémie nous a offert sur un plateau d’argent une occasion de revoir nos habitudes de vie. Pourtant, alors que le « retour à la normale » s’amorce tranquillement, nous agissons comme des enfants qui, après avoir commis une faute, se sont fait priver de sortie par leurs parents sans toutefois rien apprendre de la leçon. Or, nous sommes sur le point de ne plus avoir « papa » derrière la porte pour nous empêcher de sortir. Aussitôt que le chemin sera libre, nous recommencerons nos bêtises avec la même ardeur aveugle et destructrice.
« Il faut revoir notre manière de penser le développement économique de façon à utiliser l’ingéniosité qui nous est propre dans le but de faire mieux et non de faire plus »
Un avenir sombre
Si la tendance se maintient, en plus de la surproduction et de la surconsommation, ce sera la prolifération des inégalités sociales et des extinctions d’espèces animales et végétales qui marqueront la période post-pandémique. Le mouvement est déjà entamé alors que le Fonds mondial pour la nature (WWF) nous prévient que 68 % de la faune sauvage a disparu en 50 ans et que l’Organisation des Nations unies nous alerte que les catastrophes naturelles se multiplient et font place à des vagues de migrants climatiques, coincés dans la pauvreté et la précarité en grande partie à cause des Occidentaux. La pandémie en soi est un avertissement, un exemple de ce que peut révéler la fonte du pergélisol – rétenteur de nombreux agents pathogènes – et la destruction d’habitats sauvages d’animaux porteurs de virus. Encore une fois, les deux mains sur les yeux, nous ignorons ces faits au profit de l’opulence et du confort. Si on prenait le temps de réfléchir, on se rendrait compte que nous ne sommes pas des enfants enfermés dans leur chambre, nous sommes des adultes, membres à part entière d’une société qui fonce dans le mur, pédale au tapis en achetant tous les accessoires inimaginables pour s’y rendre plus vite.
« Les deux mains sur les yeux, nous ignorons ces faits au profit de l’opulence et du confort »
Une remise en question s’impose
Je ne prétends pas être un expert. Je ne suis ni scientifique ni politicien. Je ne suis qu’un jeune homme de 21 ans sérieusement inquiet pour son avenir et celui de ses enfants. Je ne suis qu’un jeune homme de 21 ans effrayé par la tendance autodestructrice que l’humanité semble vouloir conserver malgré la pandémie. Je ne suis qu’un jeune homme, seul dans sa chambre, qui a perdu une année de sa vie et qui attend que « papa » ouvre la porte. Je ne suis qu’un des milliers de jeunes qui se questionnent sur ce qu’ils vont faire une fois dehors. Malgré toutes ces peurs et tous ces doutes, une chose me terrifie plus que tout au monde. Ce n’est ni la quatrième vague, ni le dernier variant, ni les mesures sanitaires restrictives ; c’est le futur. Ce qui m’horrifie, c’est qu’on a volé une année de nos vies et que malgré cela, on est sur le point de voler des décennies de celles des générations à venir. Si je n’avais qu’une seule demande à formuler, ce serait qu’on sorte notre regard de notre nombril et qu’on pense à l’avenir, au nôtre et à celui des prochaines générations. Parce qu’on méritait cette crise et parce qu’on se doit de mieux gérer la suite.