La nouvelle est tombée le 5 octobre dernier, dans un courriel envoyé par le premier vice-principal exécutif adjoint (études et vie étudiante) Fabrice Labeau : tous les échanges à l’étranger prévus pour la session d’hiver 2022 sont annulés sans exception, en raison d’une situation sanitaire qui demeure extrêmement variable d’un pays à l’autre. Cette décision inclut même les échanges en ligne qui, selon le communiqué, « n’offrent tout simplement pas le genre d’expérience internationale et d’enrichissement culturel » souhaité par l’administration de McGill. Elle est également finale, indépendamment de l’évolution de la situation sanitaire, en raison de la planification importante requise pour ces programmes d’échanges.
Le semestre hivernal 2022 sera donc la quatrième session d’affilée sans échanges étudiants à McGill depuis le début de la pandémie en mars 2020. Pour de nombreux·ses étudiant·e·s, la session d’hiver 2022 représentait la dernière chance de partir en échange. « C’est ça qui me frustre le plus », raconte au Délit Juliette Debray, une étudiante de la faculté de génie. « J’avais déjà postulé l’année dernière et ç’avait été annulé. Ça, c’était compréhensible : on était en pleine COVID, il n’y avait pas encore de vaccin. Mais cette fois-ci, ils nous ont fait faire plusieurs étapes dans le processus d’échanges – certain·e·s avaient déjà leur nomination, leur visa – et tout d’un coup, sorti de nulle part, on nous dit que c’est annulé. »
Max Garcia, un étudiant de troisième année qui devait partir à Paris, a lui aussi perdu sa dernière opportunité d’échange. « L’inscription à mon école d’accueil ouvrait le 5 octobre. Ce jour-là, j’attendais la notification qui allait indiquer l’ouverture des inscriptions ; à la place, j’ai reçu le courriel disant que tout était annulé. C’était définitivement un choc. »
Les deux étudiant·e·s ont lancé une pétition en ligne, le lendemain, pour dénoncer la décision de l’Université. Au moment d’écrire ces lignes, elle comptait plus de 800 signatures. Sur la page de la pétition, on dénonce entre autres le manque de consultation des étudiant·e·s et la rigidité de la décision, qui ne permet aucune exception. Le texte soulève aussi le fait que certains échanges ne commencent pas avant mars ou avril, étant donné que les calendriers scolaires diffèrent selon les pays. Prendre une décision finale pour ces échanges plus de six mois en avance semble ainsi « ridicule », selon les deux étudiant·e·s.
« La décision prise par l’Université McGill semble inconsidérée et précipitée, surtout si l’on considère qu’elle est actuellement seule avec cette déclaration dans la mer des autres grandes universités canadiennes »
Extrait de la pétition
À ce jour, le Canada émet toujours un avertissement de niveau trois aux voyageur·se·s à l’étranger, soit une recommandation d’éviter tous les voyages non essentiels. Cependant, la pétition souligne que le site internet du gouvernement du Canada sur les études à l’étranger indique encore que le Canada encourage de tels échanges – même après une mise à jour en juin 2021.
Si la position du gouvernement sur la question peut sembler confuse, l’administration de McGill a quant à elle statué que seuls les voyages nécessaires à la graduation sont considérés essentiels. « Si un échange est sans aucun doute une expérience enrichissante, ce n’est pas la seule façon d’obtenir un diplôme », a expliqué McGill Abroad dans un courriel à un étudiant. C’est pour cette raison, et parce que les échanges en temps de pandémie « présentent intrinsèquement un risque plus élevé que dans une situation normale », que la décision a été prise d’annuler les échanges. Pour Debray, cette décision est infantilisante. « On est censé avoir la maturité de partir en échange tout seul, argumente-t-elle. Dans ce cas-là, on a aussi la maturité de prendre la bonne décision, mais la bonne décision informée. »
Garcia partage ce point de vue. « J’aurais aimé qu’ils nous présentent les différentes options plutôt que de simplement décider à notre place. On comprend le risque ; mais on est prêt à le prendre pour notre enrichissement académique. »
Ce qui paraît surtout illogique aux yeux des deux étudiant·e·s est le fait d’avoir pris une décision générale devant une multitude de situations extrêmement variables, comme le souligne Fabrice Labeau lui-même dans son communiqué. « Pour moi, explique Debray, si les conditions sont trop différentes, ça oblige justement une approche au cas par cas. » Un cas par cas par pays, par université d’accueil, ou même par mois de départ : n’importe quelle option serait préférable à cette annulation généralisée, selon l’étudiante.
Une approche basée sur le choix individuel
L’Université McGill est pour l’instant la seule des grandes universités canadiennes à avoir annulé ses échanges pour l’hiver 2022 sans exception. Quelques jours après la décision de McGill, l’Université du Québec à Montréal (UQAM) a annoncé ses propres plans : les échanges étudiants demeurent annulés, sauf pour les étudiant·e·s dont c’est la dernière chance de partir ou les étudiant·e·s qui sont citoyen·ne·s du pays d’accueil. De plus, les échanges en ligne auront toujours lieu.
L’Université de Toronto a quant à elle annoncé la reprise de ses échanges étudiants à partir du 1er janvier 2022, bien que cette décision puisse changer selon l’évolution de la situation sanitaire. L’Université Queen’s, qui permettait déjà les échanges durant l’automne, maintiendra cette décision pour l’hiver prochain. Finalement, l’Université Concordia se trouve du côté opposé du spectre décisionnel : les échanges étudiants n’y ont jamais cessé depuis le début de la pandémie.
« À chaque session, il y a des étudiants qui sont partis », a confirmé au Délit Téo Blackburn, la directrice de Concordia International. Le nombre d’étudiant·e·s en échange a cependant beaucoup diminué : en effet, de nombreuses universités d’accueil ont cessé d’accepter les étudiant·e·s internationaux·les, ce qui a mené à de nombreuses annulations. Dans ces cas-là, Concordia International a souvent tenté de replacer les étudiant·e·s dans des échanges qui avaient toujours lieu, bien que cela n’ait pas toujours été possible. « Notre équipe s’est acharnée pour que toutes les personnes, surtout celles qui en étaient à leur dernière chance, aient la possibilité de partir si elles le voulaient. »
Cela ne signifie pas que Concordia International encourageait les étudiant·e·s à partir en échange, précise Blackburn, mais plutôt qu’on ne les empêchait pas de le faire. Cette position était basée sur deux axes principaux. « Premièrement, nous ne sommes pas des autorités en santé publique. Nous ne nous sentions pas à l’aise de décider quels pays étaient sécuritaires et lesquels ne l’étaient pas », explique-t-elle. Cette position était renforcée par le fait que les autorités gouvernementales elles-mêmes ne se prononçaient pas à ce sujet. Elle dictent que tout voyage non essentiel devrait être évité, peu importe le pays. Cependant, la définition de ce qui constitue un voyage essentiel est volontairement laissée au voyageur, précise-t-on sur le site du gouvernement du Canada. « Deuxièmement, la tolérance au risque est quelque chose de très personnel. On ne voulait pas dicter à nos étudiants, qui sont des adultes, la manière dont ils devraient gérer le risque : on voulait qu’ils prennent la décision par eux-mêmes selon leurs circonstances personnelles. On a donc beaucoup axé notre approche sur le consentement éclairé. »
Pour ce faire, Blackburn explique que de nombreuses mesures ont été prises pour informer les étudiant·e·s de la situation sanitaire dans les différents pays, ainsi que pour s’assurer que ceux·lles-ci soient prêt·e·s à n’importe quelle éventualité. Les étudiant·e·s ont notamment dû monter une planification d’urgence, s’inscrire dans le registre de déplacement de Concordia et répondre à des séries de questions décrivant divers scénarios de crise. « C’est devenu un peu plus difficile de partir, il fallait être acharné. »
Néanmoins, Blackburn affirme que les retours ont été très encourageants : les étudiant·e·s qui sont parti·e·s ont eu des expériences positives, et il n’y a pas eu de crise majeure. Durant la session d’automne, c’est une cinquantaine d’étudiant·e·s qui ont pu partir en échange de cette manière. Concordia International ne compte donc pas pour l’instant changer d’approche pour l’hiver 2022. « On a pris la décision de miser sur le choix individuel. Cette décision, on en est fier, même si c’est sûr que ça a imposé un certain volume de travail sur notre équipe. »
« On ne voulait pas dicter à nos étudiants, qui sont des adultes, la manière dont ils devraient gérer le risque : on voulait qu’ils prennent la décision par eux-mêmes selon leurs circonstances personnelles »
Téo Blackburn, directrice de Concordia International
Point de vue épidémiologique
L’approche de Concordia n’était toutefois pas sans risque et ne le sera toujours pas en hiver 2022. Dans la pétition de Garcia et Debray, des données de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) étaient citées, indiquant que le nombre de nouveaux cas de COVID-19 était en baisse à l’échelle mondiale depuis août dernier. Nimâ Machouf, épidémiologiste et chargée de cours à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, nuance toutefois l’idée que la situation mondiale serait en train de s’améliorer. « Dans certains pays du monde, ça va bien, mais dans le monde en général, ça va très mal, » a‑t-elle expliqué en entrevue avec Le Délit. « On vient de passer la cinquième vague au niveau mondial : on est dans la courbe descendante, parce qu’il y a beaucoup d’endroits où maintenant ça va mieux. Mais il pourrait y avoir une sixième vague. »
La situation reste surtout extrêmement variable d’une région à une autre, affirme la Dre Machouf. Il est impossible de se prononcer sur le risque que représente un échange étudiant en général. De plus, la situation peut changer énormément le temps d’un échange. « On ne peut pas dire que parce qu’aujourd’hui ça va, ça va bien aller plus tard. Il y a trois mois, au Vietnam, il n’y avait rien ; et maintenant ça va mal. » Le principal danger, selon elle, serait une fermeture inattendue des frontières qui pourrait coincer des étudiant·e·s dans un pays étranger. Dans ce cas-là, souligne-t-elle, l’université qui les aurait laissé partir serait inévitablement tenue responsable de la situation, même si les étudiant·e·s avaient déclaré accepter les risques ou avaient même signé une décharge au préalable.
Néanmoins, il demeure possible de distinguer les régions plus sécuritaires des moins sécuritaires, notamment en se basant sur les taux de vaccination nationaux. De nouvelles vagues peuvent bel et bien frapper les pays adéquatement vaccinés ; mais elles font beaucoup moins de morts, de cas graves ou d’hospitalisations. Selon la Dre Machouf, l’Université McGill aurait pu décider d’utiliser le taux de vaccination comme barème et permettre des échanges dans les lieux ayant des taux suffisants. « McGill a choisi la voie la plus facile, qui est de dire : il y a trop d’incertitude, on ne prend pas ce risque-là. C’est un peu paternaliste, mais chaque université décide quel risque elle veut ou ne veut pas prendre. »
« McGill a choisi la voie la plus facile, qui est de dire : il y a trop d’incertitudes, on ne prend pas ce risque-là. C’est un peu paternaliste, mais chaque université décide quel risque elle veut ou ne veut pas prendre »
Nimâ Machouf, épidémiologiste et chargée de cours à l’École de santé publique de l’Université de Montréal
Un manque de cohérence
Au-delà de l’annulation des échanges en personne, la pétition dénonçait aussi la décision de McGill d’empêcher de suivre des cours en ligne d’une université étrangère. Pour Debray et Garcia, ce n’était pas à McGill de décider que ce genre d’échange ne représente pas une expérience culturelle enrichissante, puisqu’il existe selon les deux étudiant·e·s de nombreuses variables qui peuvent influencer la valeur des études en ligne pour chaque personne.
La Dre Machouf se montre aussi très surprise de cette position. Outre l’aspect culturel, elle souligne que les échanges permettent aux étudiant·e·s d’accéder à des cours qui ne se donnent pas dans leur université. « Je ne vois pas pourquoi ce genre d’échange serait annulé », ajoute-t-elle. McGill est d’ailleurs la seule des principales universités canadiennes à avoir annulé les échanges en ligne. Interrogée par Le Délit à ce sujet, Frédérique Mazerolle, agente des relations avec les médias, a choisi de ne pas répondre à la question.
De nombreux·ses étudiant·e·s ont aussi soulevé ce qu’il·elle·s considèrent comme une incohérence entre, d’un côté, la sévérité des mesures sanitaires de McGill pour ce qui a trait aux échanges étudiants et, de l’autre côté, son laxisme pour ce qui a trait à la sécurité sur le campus. En effet, plusieurs voix se sont levées depuis le début de la session d’automne – dont celle de l’Association étudiante de l’Université McGill (AÉUM) – pour demander l’instauration d’un passeport vaccinal afin d’accéder au campus, sans succès jusqu’à présent. Similairement, l’absence d’une option d’enseignement entièrement en ligne, également réclamée par l’AÉUM, a forcé de nombreux·ses étudiant·e·s internationaux·les à voyager pour revenir sur le campus et met potentiellement en danger les étudiant·e·s immunosupprimé·e·s.
« Je suis d’accord que c’est incohérent, » affirme la Dre Machouf. Bien que la plupart des étudiant·e·s souhaitent étudier en personne, l’option en ligne devrait selon elle être offerte, surtout si la vaccination n’est pas obligatoire pour assister aux cours. « Il y a peut-être des gens qui ne se sentent pas en sécurité à l’université. Maintenant qu’on a les infrastructures nécessaires pour l’enseignement en ligne et qu’on a appris comment le faire, pourquoi ne pas en profiter ? »
Une affaire de réputation ?
Au final, Debray et Garcia ne se font pas d’illusions : ni l’une ni l’autre n’ont espoir que McGill revienne sur sa décision. Pour Debray, le but de la pétition était surtout de faire comprendre à l’Université que sa décision était « illogique, voire insensée ».
« C’est le choix de la facilité et le choix de préserver l’image de l’Université »
Juliette Debray
« Il y a la possibilité de faire autrement, les autres universités ont bien prouvé ça. Si Concordia et l’UQAM ont réussi à faire du cas par cas, je ne vois pas pourquoi McGill ne pourrait pas le faire », ajoute-t-elle. Le Délit a demandé à Mcgill Abroad pourquoi des exceptions similaires à celles qu’offre l’UQAM n’ont pas pu être implantées, comme permettre les départs des étudiant·e·s pour qui c’est la dernière opportunité de faire un échange. Dans sa réponse, Frédérique Mazerolle a esquivé la question.
« J’ai l’impression que c’est un peu un écran de fumée que de dire que cette décision est pour notre bénéfice, conclut Debrey, et c’est ça qui m’horripile. Ce n’est pas vrai : c’est une question de réputation. »
Pour la Dre Machouf, la décision de McGill relève sûrement d’un « excès de prudence ». Mais Debray en a une vision différente : c’est le choix « de la facilité et le choix de préserver l’image de l’Université. » Il reste à voir si d’autres universités – comme l’Université de Montréal, qui n’a pas encore annoncé ses plans pour la session d’hiver 2022 – marcheront dans les pas de McGill ou si celle-ci restera la seule grande université canadienne à avoir fait ce choix conservateur.