Vingt kilomètres à pied est un balado théâtral et musical en cinq épisodes. Il retrace l’histoire de Reine, âgée de 17 ans lors du débarquement de Normandie, alors qu’elle fuit avec 150 enfants l’orphelinat dans lequel elle travaille. Le balado est inspiré de la vie réelle de Renée Lacour, la grand-mère de la créatrice et coautrice du balado, Bénédicte Bérubé. Le Délit a rencontré cette dernière afin de discuter du processus de création de Vingt kilomètres à pied et de l’importance des aîné·e·s dans le milieu artistique.
« J’ai créé une fiction à partir de faits véridiques qui retracent l’histoire de ma grand-mère lorsqu’elle avait 17 ans »
Le Délit (LD) : Comment t’est venue l’idée d’écrire un balado sur la vie de ta grand-mère ?
Bénédicte Bérubé (BB) : Je voyais que ma grand-mère vieillissait, qu’elle devenait plus fatiguée, sa mémoire n’était pas la même non plus. En revenant d’un stage d’un an en Biélorussie, j’ai commencé à aller la voir plus fréquemment avec l’idée d’écrire un spectacle, un monologue sur sa jeunesse en temps de Deuxième Guerre mondiale. Ça n’a pas été facile parce que ma grand-mère voulait s’accrocher aux souvenirs heureux plutôt qu’aux souvenirs plus sombres de sa vie. Il y avait bien sûr des trous à remplir dans ses récits. Je cherchais du matériel pour remplir ces trous-là et pour pouvoir construire une histoire.
Ma grand-mère avait 17 ans et travaillait dans un orphelinat en Normandie quand s’est déroulé le débarquement. Elle m’a prêté le livre Les orphelines de Normandie de Nancy Amis, on y trouve toute une histoire autour du récit de ma grand-mère et des orphelines dont elle s’occupait pour fuir les combats du débarquement. Le livre regroupe des témoignages de certaines enfants de l’orphelinat et des dessins réalisés par les fillettes et transmis à la grand-tante de Nancy Amis. En combinant les témoignages de ma grand-mère, de ceux du livre Les orphelines de Normandie et de certaines anecdotes provenant de ma famille du côté français, j’ai créé une fiction à partir de faits véridiques qui retracent l’histoire de ma grand-mère lorsqu’elle avait 17 ans.
LD : En plus de te baser sur le livre d’Amis, sur les témoignages de ta grand-mère et de ta famille, as-tu aussi entrepris un travail de recherche dans les archives de la Deuxième Guerre mondiale ?
BB : Je suis aussi allée consulter d’autres sources, notamment au Musée des civils, à Falaise, en France. J’ai aussi lu beaucoup d’articles et emprunté des livres à la bibliothèque pour me contextualiser un peu sur cette histoire-là. La source la plus marquante dans ma recherche a été une émission de radio qui rapportait des témoignages de personnes qui ont vécu la Deuxième Guerre mondiale, à l’occasion du 75e anniversaire du débarquement de Normandie.
Dans l’émission, il y avait des témoignages très détaillés et très touchants sur des événements absolument horribles. Pour moi, c’était la première fois que j’entendais l’horreur de la guerre par la bouche de gens qui l’ont vécue, qui ont vu des personnes mourir à un mètre d’eux. Ça m’a ouvert les yeux et ça m’a inspirée dans l’écriture, parce que j’ai accédé un peu à ce côté plus émotif, mais aussi au côté plus horrible de la guerre auquel ma grand-mère ne me permettait pas d’accéder. Elle a sûrement vu des morts, elle a sûrement vécu des choses vraiment traumatisantes, mais soit ces expériences étaient enfouies très loin dans sa mémoire, soit elle ne voulait pas y retourner.
« Le théâtre fait aussi partie de ma formation ; je le mêle au chant classique dans le balado »
LD : Ta formation au Conservatoire de musique de Montréal a‑t-elle influencé le processus de création derrière Vingt kilomètres à pied ?
BB : J’ai passé neuf ans au Conservatoire de musique de Montréal, dans un profil en chant classique. J’ai fait pas mal d’opéra là-bas, de toutes sortes de styles musicaux différents : j’ai notamment touché au baroque, à la mélodie française, à la mélodie allemande, mais j’ai beaucoup accroché sur la mélodie française, et c’est pour cette raison qu’il y a des pièces de Debussy et de Poulenc dans le balado. Je trouve que leurs compositions illustrent bien l’action qui s’y déroule. Le théâtre fait aussi partie de ma formation ; je le mêle au chant classique dans le balado. J’ai eu des cours de théâtre durant mon passage au Conservatoire, mais j’ai surtout suivi une formation en théâtre d’un an en Biélorussie, de 2017 à 2018. Et c’est au retour de cette formation-là que j’ai voulu commencer le balado pour allier tout ce que j’ai développé à travers mes formations.
« J’ai appris à voir le texte, la musique, les chansons comme un tout et non pas comme des choses fragmentées »
LD : Comment le processus de création de ton balado différait-il de ce dont tu étais habituée à créer auparavant ?
BB : Avant le balado, j’écrivais de la poésie et des chansons. Mais l’écriture dramatique, c’est vraiment autre chose. Il y a des codes différents à comprendre, à utiliser. J’ai vraiment appris ces spécificités-là à travers le projet Vingt kilomètres à pied. J’ai appris à voir le texte, la musique, les chansons comme un tout et non pas comme des choses fragmentées, contrairement au chant par exemple, où dans un concert de mélodies, c’est une chanson après l’autre.
« On entend souvent dire qu’il est dur de garder son nom, de rester vivant dans l’industrie artistique lorsqu’on vieillit »
LD : Pour réaliser ton balado, tu as travaillé avec « une équipe intergénérationnelle entièrement composée de femmes. » Pourquoi cet aspect intergénérationnel dans ton équipe était-il important pour toi ?
BB : Parce que j’avais envie d’apprendre. J’avais envie d’apprendre autant des gens qui avaient des années d’expérience derrière eux que des gens qui en avaient moins ; j’avais envie de collaborer avec des gens qui avaient différentes expériences, différents points de vue. Je trouvais aussi cela important, car on entend souvent dire qu’il est dur de garder son nom, de rester vivant dans l’industrie artistique lorsqu’on vieillit. Les écoles génèrent toujours de nouveaux·lles acteur·rice·s et chanteur·se·s, et c’est normal, c’est très bien qu’il y ait une relève. Mais c’était important pour moi de faire cohabiter cette relève-là avec des gens qui avaient plus d’expérience.
« Je vois la richesse de chaque génération, jusqu’à l’expérience que ces artistes ont acquise avec les années »
LD : Dirais-tu que ces rencontres avec des gens ayant plus d’expérience ont enrichi ta perception de l’art puisque, comme tu le relèves, il peut être difficile de demeurer « vivant » dans l’industrie artistique passé un certain âge ?
BB : Effectivement, en travaillant avec ma grand-mère, je pense que j’ai déjà une sensibilité, puis une ouverture vers les gens plus âgés. Je vois leur importance. Je pense que c’est pour ça que j’ai fait ce projet-là. C’est aussi pour ça que j’ai voulu travailler avec Kim Yaroshevskaya pour le balado ; j’avais envie qu’elle ait sa voix dans cette œuvre-là, qu’elle donne sa voix au personnage qui avait à peu près le même âge qu’elle. Mais oui, à travers le processus, à travers tout ce que j’ai appris de Maryse Pelletier (à l’écriture, ndlr) et de Lucie Caucho (à la musique, ndlr), je vois la richesse de chaque génération, jusqu’à l’expérience que ces artistes ont acquise avec les années. C’est ce qui fait des personnes plus âgées des allié·e·s de taille et de cœur ; ils et elles ont passé à travers tant d’expériences.
« Ils et elles ont passé à travers tant d’expériences »
Les cinq épisodes de Vingt kilomètres à pied sont disponibles gratuitement sur les plateformes Apple Podcasts, Breaker, Google Podcasts, Podbay, Spotify et Radio Public.