Dans Roland Barthes, par Roland Barthes, l’amoureux·se qui dit « je t’aime » est comparé·e à un·e argonaute qui, au cours de son voyage, remplace graduellement les pièces de son navire sans en changer le nom. Ses pièces changées, l’argot demeure un argot et la formule « je t’aime » renouvelle sa signification chaque fois qu’elle est prononcée puisque « le travail même de l’amour et du langage est de donner à une même phrase des inflexions toujours nouvelles. » (Roland Barthes, 1975) Telle est l’amorce des Argonautes, de Maggie Nelson.
Hybride entre l’essai et l’autofiction, Les argonautes se déploie comme un espace transitif, où les objets, les gestes et les corps sont amenés à sans cesse renouveler leurs significations. La grossesse, par exemple, est décrite comme une expérience fondamentalement queer en ce sens qu’elle provoque à la fois une intimité et une aliénation radicales avec son propre corps (Nelson, 2017). Les fragments qui composent l’œuvre ont été écrits au fil des années, de manière diffuse, d’abord sans intention de publication. Ainsi, les sujets, bien que rassemblés sous le couvert de la pensée queer, sont nombreux : mort, sexualité, transition, famille, écriture, parentalité, grossesse, amour, travail, pour ne nommer que les plus importants.
Deux événements conduisent tout de même le récit en faisant office de fil narratif : la transition d’Harry Dodge, l’époux de l’autrice et narratrice, laquelle se déroule conjointement avec le processus d’insémination artificielle et la grossesse de Nelson. Les réflexions entraînées par ces expériences du corps, consignées au sein des fragments, se nourrissent des pensées de bon nombre de théoricien·ne·s tel·le·s que Wittgenstein, Butler, Deleuze, Winnicott et Sedgwick. Même si les emprunts et les citations sont systématiquement rapportés à un nom en marge (à la manière de Butler), aucune bibliographie détaillée n’accompagne le texte, rendant difficile pour le lectorat d’approfondir les sujets qui y sont lancés. Les argonautes est une œuvre traversée par la pensée féministe queer qui, chez Nelson, excède les questions d’identités de genre et sexuelles. Le queerness correspond à un espace de resignification, de renouvellement, d’instabilité, desquels se dégage une vie soudée par l’amour.