Tout au long de la pandémie, l’éducation aux médias a été essentielle : la propagation des fausses nouvelles, la méfiance à l’égard de la science et le manque de confiance envers les médias traditionnels ont donné lieu à un débat plus large sur l’importance de la pensée critique. Cependant, les solutions apparemment simples que plusieurs présentent – « informez-vous » ou « allez à l’école » – ne tiennent pas compte du coût d’une éducation supérieure ou de l’accès à une information impartiale et de qualité. La question de la désinformation est complexe, et les solutions inaccessibles font partie du problème.
Alors que les frais de scolarité continuent d’augmenter au Canada (y compris ici, à McGill), les familles à faible ou moyen revenu sont obligées de choisir entre ne pas avoir de dette et ne pas avoir de diplôme, ou avoir un diplôme et une dette à long terme. Les frais de scolarité ont augmenté régulièrement chaque année au cours des trois dernières décennies, et comme l’aide gouvernementale varie énormément d’une province et d’un territoire à l’autre, de nombreux étudiants potentiels ne peuvent pas se permettre de fréquenter l’université. Le ratio entre les prêts et les bourses dépend de chaque province, tout comme les taux d’intérêt des prêts : alors que Terre-Neuve-et-Labrador a complètement éliminé les prêts étudiants en faveur de bourses non remboursables, la Saskatchewan, le Nouveau-Brunswick, la Colombie-Britannique et l’Alberta ont toutes des taux d’intérêt préférentiels de 2,5 % pour leurs prêts.
La question de l’accessibilité et de l’abordabilité a un impact encore plus important sur les étudiants marginalisés. Les étudiants handicapés sont statistiquement plus pauvres que la moyenne en raison des coûts liés à leur handicap, incluant le coût des médicaments, des aides à la mobilité, des soignants, et le coût pour pouvoir consulter des professionnels de la santé sans temps d’attente, ainsi qu’à cause du manque de possibilités d’emploi. Les personnes autochtones, noires et de couleur (PANDC) sont souvent piégées dans des cycles de pauvreté en raison du racisme systémique, ce qui a un impact sur leurs taux d’obtention de diplôme d’études secondaires ainsi que sur leur capacité financière de suivre des études supérieures. En général, les jeunes des classes sociales plus pauvres et ceux dont les parents n’ont pas fait d’études supérieures sont moins susceptibles d’en compléter eux-mêmes. Même si les étudiants des classes inférieures fréquentent l’université, ils sont souvent en situation d’insécurité financière. Le coût des manuels scolaires requis peut les empêcher de suivre certains cours – selon l’AÉUM, environ 23,5 % des étudiants de McGill considèreraient abandonner un cours en raison du coût du matériel didactique.
Même les formes plus informelles d’apprentissage – comme la consultation de sources d’information fiables – peuvent être soumises à des obstacles économiques. Au cours des dernières années, de plus en plus de journaux ont commencé à mettre en place des paywalls (verrous d’accès payant) sur leurs sites web, qui demandent aux lecteurs de s’abonner ou de payer un frais pour accéder à leurs articles. Plus des deux tiers des principaux journaux de l’Union européenne et des États-Unis utilisent désormais cette méthode – et cette proportion est en forte hausse depuis 2017. Bien que cela constitue un moyen efficace de financer le journalisme, une industrie qui a vu ses revenus diminuer continuellement au cours des dernières décennies, cette pratique restreint l’information de qualité aux personnes qui sont financièrement en mesure de se l’offrir. Cela finit par contraindre la partie de la population qui n’a pas les moyens de payer divers abonnements – qui est aussi la population la plus vulnérable aux théories du complot – à s’en remettre à des médias de moindre qualité et plus sensationnalistes, qui n’utilisent souvent pas de paywalls, ainsi qu’aux médias sociaux pour s’informer.
« En tant qu’étudiants, nous devons faire pression sur notre institution pour rendre l’éducation plus accessible à tous »
Une tendance similaire peut être observée dans le monde de la recherche. Les grandes compagnies d’édition – telles que Springer Nature ou Elsevier, qui possède environ 2 700 revues scientifiques – exigent des abonnements annuels pour accéder à leurs articles, qui peuvent coûter jusqu’à des milliers de dollars. La plupart des étudiants et des chercheurs peuvent consulter les articles par le biais de l’abonnement payé par leur université – mais pour les personnes en dehors de ces institutions, l’accès direct à la recherche scientifique est pratiquement impossible. De plus, l’argent dépensé pour ces abonnements ne sert pas à financer la recherche. Les scientifiques, ainsi que la plupart de ceux qui effectuent un processus de révision par les pairs, ne sont pas payés pour leurs contributions à ces revues – ils doivent en fait payer des frais pour soumettre et publier leurs recherches – et la recherche elle-même est en grande partie financée par les contribuables. Les frais d’abonnement servent plutôt à financer les bénéfices toujours croissants des sociétés d’édition et de leurs actionnaires – en 2018, Elsevier a réalisé plus du double du bénéfice net de Netflix.
Tout d’abord, en tant qu’étudiants, nous devons faire pression sur notre institution pour rendre l’éducation plus accessible à tous. Ce sera bientôt le 10e anniversaire de la grève étudiante de 2012, la plus longue de ce type de l’histoire du Québec et du Canada. Avec l’augmentation générale des actions de grève à l’échelle mondiale au cours de la dernière année, une tendance forte se dessine. Il faut se battre pour une baisse des frais de scolarité, de meilleures options d’aide financière et davantage de possibilités de subventions et de bourses (avec une priorité accordée aux étudiants marginalisés).
Le deuxième problème est celui de la hiérarchie des institutions coloniales. L’université est généralement considérée comme d’une plus grande valeur et plus intellectuelle, tandis que les formes libres d’éducation et les systèmes de connaissance non coloniaux sont méprisés et rejetés. En tant qu’étudiants universitaires, nous devons contribuer à démanteler cette idée de supériorité de l’université et soutenir les connaissances alternatives et les ressources libres pour faciliter l’amélioration de nos communautés. À l’échelle locale, la bibliothèque de ressources alternatives de QPIRG McGill « fournit des livres, des périodiques, des médias et des zines difficiles à trouver » et « favorise le développement personnel et le renforcement de la communauté par le partage et la préservation de diverses formes de connaissances ». Le nouveau siège du Comité des citoyens de Milton Parc, situé au 3516, avenue du Parc, dispose d’un espace bibliothèque accessible.
En ligne, il existe de nombreux moyens de contourner et de supprimer les paywalls ou d’accéder à l’information d’une autre manière. 12ft.io est un service qui supprime les paywalls sur les sites d’information et les magazines : il suffit de taper une URL pour avoir accès au texte intégral. Sci-hub fonctionne de manière similaire, en contribuant spécifiquement à améliorer l’accès aux documents scientifiques et académiques. Library Genesis est un site de partage de fichiers pour les livres d’intérêt général et les manuels scolaires. Z‑Library est une grande bibliothèque parallèle, qui contenait 9 335 968 livres et 84 837 646 articles en date du 26 novembre. Le partage de ces ressources est essentiel pour éliminer les obstacles économiques à l’information et réduire la présence et la circulation de fausses informations en ligne.